La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/07/1989 | FRANCE | N°70704

France | France, Conseil d'État, 5 / 3 ssr, 21 juillet 1989, 70704


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 22 juillet 1985 et 22 novembre 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE PILOT-FRANCE, dont le siège social est ..., agissant poursuites et diligences de son Président en exercice et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 22 mai 1985 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le préfet de Seine-Saint-Denis s

ur la demande d'indemnité qui lui a été adressée le 21 juillet 1983...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 22 juillet 1985 et 22 novembre 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE PILOT-FRANCE, dont le siège social est ..., agissant poursuites et diligences de son Président en exercice et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 22 mai 1985 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le préfet de Seine-Saint-Denis sur la demande d'indemnité qui lui a été adressée le 21 juillet 1983 ;
2°) condamne l'Etat à lui payer une indemnité de 6 272 000 F ainsi que les intérêts au taux légal et les intérêts des intérêts en réparation du préjudice résultant pour elle du refus de concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision de justice ensemble ladite décision ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Damien, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Liard, avocat de la SOCIETE PILOT-FRANCE,
- les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la SOCIETE PILOT-FRANCE a été mise en règlement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Versailles du 22 décembre 1981, que son personnel a été licencié et qu'un projet de transfert des installations de l'établissement de Montreuil (Seine-Saint-Denis) à Thisy (Rhône) où le groupe possède un autre établissement, a été envisagé ; qu'à la suite de ces décisions, une partie du personnel de l'usine de Montreuil, ainsi que des personnes étrangères à la société, ont occupé les locaux le 30 décembre 1981 et refusé de vider les lieux malgré une ordonnance de référé du Président du tribunal de Bobigny du 21 janvier 1982, ordonnant leur expulsion ; que le préfet de Seine-Saint-Denis, régulièrement requis par l'entreprise d'accorder le concours de la force publique pour assurer l'exécution de la décision de l'autorité judiciaire, s'est abstenu de le faire ; qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que l'attitude de l'administration ne saurait être regardée, dans les circonstances de l'affaire, comme fautive, eu égard aux troubles que pouvait entraîner l'exécution forcée de la décision de justice ; que le refus d'accorder le concours de la force publique est cependant de nature à engager la responsabilité de l'Etat en vertu de la rupture de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;
Considérant que si la SOCIETE PILOT-FRANCE soutient que l'impossibilité où elle s'est trouvée de disposer des locaux et du matériel lui a causé des pertes d'exploitation qu'elle évalue, sur la base de son activité antérieure, à 16 860 F par jour, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que cette société avait été placée en règlement judiciaire et que son personnel de l'établissement de Montreuil avait été licencié, avant toute occupation des lieux ; qu'ultérieurement le personnel a occupé les locaux où s'exerçait le travail et ce à partir du 30 décembre 1981, mais que la SOCIETE PILOT-FRANCE ayant elle-même renoncé à cette date à exploiter cet établissement, elle ne saurait se prévaloir de ce que le personnel occupant les locaux avait repris l'exploitation de l'établissement au moyen du matériel et des stocks de marchandises qui y étaient entreposés, sans qu'elle établisse d'ailleurs que cette exploitation était bénéficiaire, pour demander l'indemnisation d'un manque à gagner tant sur l'exploitation de cet établissement que sur les perspectives de développement de l'activité de la société dans la région du Rhône qu'aurait entraîné le transfert à Thizy de l'usine de Montreuil ;

Considérant que l'attribution de la prime de 681 444 F accordée à la SOCIETE PILOT-FRANCE par le Fonds européen de développement régional, était liée au transfert effectif de l'usine de Montreuil à Thizy ; que cette opération de transfert a échoué non pas du fait de la prolongation de l'occupation de l'usine de Montreuil imputable au refus de concours de la force publique mais parce qu'antérieurement à cette occupation des locaux, la SOCIETE PILOT-FRANCE avait été mise en règlement judiciaire et que le personnel de l'établissement de Montreuil, qui avait refusé son transfert à Thizy, avait été licencié ; qu'ainsi la perte de cette prime et l'obligation dans laquelle la société se trouve de restituer l'acompte de 256 000 F qui lui avait été versé, ne sont pas la conséquence directe du refus du concours de la force publique ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que durant la période d'occupation de l'usine de Montreuil, du matériel, du mobilier de bureau et des stocks de marchandises ont disparu ou sont devenus inutilisables ; que, sur la base des seules pièces figurant au dossier, jointes au procès-verbal du recolement du 13 juillet 1983, le montant de ces pertes s'élève à la somme de 1 754 000 F et non à 3 694 000 F comme le soutient la société requérante ; que ces disparitions, dégradations et vols ont eu pour cause l'impossibilité où, du fait du refus du concours de la force publique, la société s'est trouvée d'assurer la sauvegarde de ses biens et que le préjudice ainsi subi est la conséquence directe de l'abstention des forces de police ; qu'en admettant que la SOCIETE PILOT-FRANCE ait négocié avec la société coopérative de production que ses anciens ouvriers avaient constituée pour exploiter l'usine, le rachat de ce matériel et de ces marchandises, il est constant que ces négociations n'ont pas abouti et que la coopérative se trouve elle-même en règlement judiciaire ; qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée à demander qu'une indemnité de 1 754 000 F lui soit accordée à ce titre ;

Considérant que si la SOCIETE PILOT-FRANCE demande à être garantie par l'Etat de toute condamnation qu'elle pourrait encourir au profit de la société Ferd-Ruesch et de la société Surtex à raison de toutes dégradations que subiraient des machines louées à la société et entreprosées dans les locaux occupés, un tel préjudice éventuel ne saurait ouvrir droit à réparation ;
Considérant enfin qu'en ce qui concerne les loyers dus par la SOCIETE PILOT-FRANCE à son propriétaire, pour les locaux qu'elle occupait à Montreuil, la requérante justifie d'une condamnation, par un jugement du 14 septembre 1983 rendu par le juge d'instance du tribunal d'instance de Montreuil à la demande de la Société Sindus à payer à ladite société la somme de 108 480,90 F, correspondant à des loyers dus pour la période ouvrant droit à indemnisation ; que le fait que la coopérative ouvrière, la Scopimec, qui s'était installée dans les lieux postérieurement à l'éviction matérielle de la société Pilot, ait été condamnée à garantir desdites condamnations la SOCIETE PILOT-FRANCE, ne saurait faire disparaître la créance de celle-ci compte tenu de ce que ces sommes n'ont jamais pu être payées par la société Scopimec, elle-même admise au bénéfice du règlement judiciaire ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE PILOT-FRANCE est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a estimé qu'aucun préjudice n'était imputable au défaut de concours de la force publique et a, en conséquence, rejeté la demande de cette société ; qu'il y a lieu de fixer à 1 862 480,90 F le préjudice dont elle est fondée à demander réparation à l'Etat ; que cette somme doit porter intérêts au taux légal à compter de la réception par le préfet de la Seine-Saint-Denis de la demande d'indemnité que la SOCIETE PILOT-FRANCE lui a présentée le 21 juillet 1983 ;

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 22 juillet 1985 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;

Article 1er : Le jugement du 22 mai 1985 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la SOCIETE PILOT-FRANCE la somme de 1 862 480,90 F. Cette somme portera intérêtsau taux légal à compter de la date de réception par le préfet de la Seine-Saint-Denis de la demande d'indemnité présentée le 21 juillet 1983. Les intérêts échus au 22 juillet 1985 seront capitalisés à cette date pour produire eux-même intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE PILOT-FRANCE et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 5 / 3 ssr
Numéro d'arrêt : 70704
Date de la décision : 21/07/1989
Type d'affaire : Administrative

Analyses

60-02-03-01-03 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICES DE POLICE - SERVICES DE L'ETAT - EXECUTION DES DECISIONS DE JUSTICE -Refus du concours de la force publique - Absence de faute - Préjudices imputables au défaut de concours de la force publique - Loyers dus et disparitions, dégradations et vols de matériel, mobilier et stocks de marchandises durant la période d'occupation des locaux.


Références :

Code civil 1154


Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 1989, n° 70704
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Damien
Rapporteur public ?: Stirn

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1989:70704.19890721
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award