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29/12/1989 | FRANCE | N°86656

France | France, Conseil d'État, 1 ss, 29 décembre 1989, 86656


Vu, 1°), sous le n° 86 656, la requête, enregistrée le 13 avril 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société GANTOIS, dont le siège social est à Saint-Dié (88105), représentée par son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- à titre principal, rectifie les erreurs matérielles contenues dans le jugement en date du 10 février 1987, par lequel le tribunal administratif d'Amiens a partiellement rejeté sa demande dirigée contre une décision du directeur régional du travail

et de l'emploi de Picardie en date du 9 mars 1984 confirmant pour partie la ...

Vu, 1°), sous le n° 86 656, la requête, enregistrée le 13 avril 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société GANTOIS, dont le siège social est à Saint-Dié (88105), représentée par son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- à titre principal, rectifie les erreurs matérielles contenues dans le jugement en date du 10 février 1987, par lequel le tribunal administratif d'Amiens a partiellement rejeté sa demande dirigée contre une décision du directeur régional du travail et de l'emploi de Picardie en date du 9 mars 1984 confirmant pour partie la décision de l'inspecteur du travail de Compiègne en date du 25 octobre 1983 relative au règlement intérieur établi par la société requérante pour son établissement de Clairvoix (Oise), et, à titre subsidiaire, annule ce jugement,
- annule pour excès de pouvoir ces décisions,
Vu, 2°), sous le n° 87 014, le recours enregistré le 30 avril 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE L'EMPLOI et tendant à ce que le Conseil d'Etat annule le jugement en date du 10 février 1987 par lequel le tribunal administratif d' Amiens a partiellement rejeté la demande de la société GANTOIS dirigée contre la décision du directeur régional du travail et de l'emploi en date du 9 mars 1984, confirmant pour partie la décision de l'inspecteur du travail en date du 25 octobre 1983 relative au règlement intérieur établi par la société Gantois pour son établissement de Clairvoix (Oise),
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Dutreil, Auditeur,
- les observations de Me Delvolvé, avocat de la société anonyme GANTOIS,
- les conclusions de M. Tuot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la requête de la société GANTOIS et le recours du MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE L'EMPLOI sont dirigés contre le même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'après avoir affirmé dans ses motifs, d'une part, que la décision du directeur régional du travail et de l'emploi de Picardie en date du 9 mars 1984 devait être annulée en tant qu'elle imposait la modification des articles 111 et 123 du règlement intérieur de l'établissement de Clairvoix de la société GANTOIS et, d'autre part, que cette société n'était pas fondée à demander l'annulation de ladite décision en tant qu'elle exigeait de modifier l'article 121 du règlement intérieur, le tribunal administratif d' Amiens a, par l'article 1er du dispositif du jugement attaqué, annulé la décision litigieuse en tant qu'elle impose à la société d modifier l'article 121 du règlement intérieur, et, par l'article 2 du dispositif, rejeté le surplus des conclusions de la société, dont celles dirigées contre les dispositions de la décision du directeur régional du travail et de l'emploi relatives aux articles 111 et 123 du règlement intérieur ; qu'ainsi, le jugement du tribunal administratif d' Amiens en date du 10 février 1987 est entaché de contradiction entre les motifs et le dispositif ; que, par suite, le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE L'EMPLOI est fondé à demander l'annulation de ce jugement en tant qu'il statue sur les conclusions de la société tendant à l'annulation de la décision du 9 mars 1984 du directeur régional du travail et de l'emploi ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société GANTOIS devant le tribunal administratif d' Amiens, en tant qu'elle est dirigée contre la décision du directeur régional du travail et de l'emploi en date du 9 mars 1984 ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 122-34 du code du travail : "Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : - Les mesures d'application de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement ; - Les règles générales et permanentes relatives à la discipline ..." ; qu'aux termes de l'article L. 122-35 du même code : "Le règlement intérieur ne peut contenir de clause contraire aux lois et règlements ... Il ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché" ; qu'en vertu de l'article L. 122-37, l'inspecteur du travail peut exiger le retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles L. 122-34 et L. 122-35 ; qu'enfin, l'article L. 122-38 dispose que "la décision de l'inspecteur du travail ... peut faire l'objet dans les deux mois d'un recours auprès du directeur régional du travail et de l'emploi ..." ;
Sur l'étendue de la compétence de la juridiction administrative :
Considérant que, lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation de décisions prises par les autorités administratives chargées de contrôler la conformité d'un règlement intérieur aux articles L. 122-34 et L. 122-35 précités du code du travail, le juge administratif est compétent pour apprécier cette conformité, alors même que le règlement intérieur litigieux a été établi par un employeur qui n'est pas chargé de la gestion d'un service public et ne dispose d'aucune prérogative de puissance publique ; que, dès lors, la société GANTOIS n'est pas fondée à soutenir que cette appréciation constitue une question préjudicielle dont l'examen devrait être renvoyé à l'autorité judiciaire ;
Sur la légalité de la décision contestée du directeur régional du travail et de l'emploi de Picardie :
En ce qui concerne l'article 111 du règlement intérieur :

Considérant que l'article 111 du règlement intérieur établi par la société GANTOIS prévoit que "tout salarié qui aura un motif raisonnable de penser qu'une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé devra, après avoir informé son responsable hiérarchique ... consigner par écrit toutes les informations concernant le danger estimé grave et imminent" ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 231-8 du code du travail : "Le salarié signale immédiatement à l'employeur ou à son représentant toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ..." et qu'aux termes de l'article L. 231-8-1 du même code : "Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un groupe de salariés qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux. Le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur définie à l'article L. 468 du code de la sécurité sociale est de droit pour le salarié ou les salariés qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé" ; que si ces dispositions obligent le salarié à signaler immédiatement à l'employeur l'existence d'une situation de travail qu'il estime dangereuse, elles ne lui imposent pas de le faire par écrit ; qu'en obligeant le salarié à faire une déclaration écrite, l'article 111 du règlement intérieur établi par la société GANTOIS impose aux salariés de l'entreprise, dans l'exercice de leur droit de retrait d'une situation de travail qu'ils estiment dangereuse, une sujétion qui n'est pas justifiée par les nécessités de la sécurité dans l'entreprise ; que, par suite, la société GANTOIS n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du directeur régional du travail et de l'emploi en tant qu'elle exige la modification de l'article 111 du règlement intérieur litigieux ;
En ce qui concerne l'article 121 du règlement intérieur :

Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article R. 232-24 du code du travail : "Les armoires individuelles doivent être munies d'une serrure ou d'un cadenas. Elles sont nettoyées dans les conditions fixées par le règlement d'atelier" ;
Considérant que l'article 121 du règlement intérieur litigieux prévoit que "la direction se réserve le droit de faire ouvrir à tout moment ... afin d'en contrôler l'état et le contenu", les vestiaires ou armoires individuelles mis à la disposition de chaque salarié pour ses vêtements et ses objets personnels ;
Considérant qu'en dehors des opérations périodiques de nettoyage prévues par les dispositions de l'article R. 232-24 précitées et dont les salariés intéressés doivent être prévenus à l'avance, l'employeur ne peut faire procéder au contrôle de l'état et du contenu des vestiaires ou armoires individuelles, en présence des intéressés sauf cas d'empêchement exceptionnel, que si ce contrôle est justifié par les nécessités de l'hygiène ou de la sécurité ;
Considérant que faute de contenir ces précisions et de prévoir les garanties dont ce contrôle doit être assorti, l'article 121 du règlement intérieur litigieux excède l'étendue des restrictions que l'employeur peut légalement apporter aux droits des personnes en vue d'assurer l'hygiène et la sécurité dans l'entreprise ; que, par suite, la société GANTOIS n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du directeur régional du travail et de l'emploi en tant qu'elle lui demande de modifier l'article 121 de son règlement intérieur ;
En ce qui concerne l'article 123 du règlement intérieur :

Considérant que le deuxième alinéa de l'article 123 du règlement intérieur dispose que "en raison de l'obligation faite au chef d'entreprise d'assurer la sécurité dans son entreprise, la direction pourra imposer l'alcootest aux salariés occupés à l'exécution de certains travaux ou à la conduite de certains engins ou machines, dans les cas où l'état d'imprégnation alcoolique constitue un danger pour les intéressés ou leur environnement rappelés par note de service en annexe" ;
Considérant que la soumission à l'épreuve de l'alcootest prévue par le règlement intérieur ne pouvant avoir pour objet que de prévenir ou de faire cesser immédiatement une situation dangereuse, et non de permettre à l'employeur de faire constater par ce moyen une éventuelle faute disciplinaire, l'administration ne peut légalement exiger que les salariés aient la faculté de demander qu'il soit procédé à une contre-expertise de leur état ; que la société GANTOIS est donc fondée à demander l'annulation de la décision du directeur régional du travail et de l'emploi en tant qu'elle lui demande de modifier l'article 123 de son règlement intérieur ;
Article 1er : Le jugement en date du 10 février 1987 du tribunal administratif d' Amiens est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la société GANTOIS dirigées contre la décision du directeur régional du travail et de l'emploi de Picardie en date du 9mars 1984.
Article 2 : La décision du directeur régional du travail et de l'emploi de Picardie en date du 9 mars 1984 est annulée en tant qu'elle exige la modification de l'article 123 du règlement intérieurétabli par la société GANTOIS pour son établissement de Clairvoix.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par la société GANTOIS devant le tribunal administratif d' Amiens et des conclusions de sa requête ainsi que le surplus des conclusions durecours du ministre des affaires sociales et de l'emploi sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société GANTOIS et au ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.


Type d'affaire : Administrative

Analyses

66-03-01-01 TRAVAIL ET EMPLOI - CONDITIONS DE TRAVAIL - REGLEMENT INTERIEUR - CONTROLE PAR L'INSPECTEUR DU TRAVAIL - (1) Compétence du juge administratif pour apprécier, à la suite de l'inspecteur du travail, la conformité du règlement intérieur aux articles L122-34 et L122-35 du code du travail. (2) Disposition imposant au salarié, en cas de danger grave et imminent, de consigner par écrit, après avoir informé son supérieur hiérarchique, toutes les informations concernant ce danger - Illégalité. (3) Disposition permettant à l'employeur d'ouvrir à tout moment, et sans information des salariés concernés, les vestiaires ou armoires individuelles - Illégalité.


Références :

Code du travail L122-34, L231-8, R232-24, L122-35, L231-8-1


Publications
Proposition de citation: CE, 29 déc. 1989, n° 86656
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Dutreil
Rapporteur public ?: Tuot

Origine de la décision
Formation : 1 ss
Date de la décision : 29/12/1989
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 86656
Numéro NOR : CETATEXT000007759737 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1989-12-29;86656 ?
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