La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/01/1990 | FRANCE | N°80664

France | France, Conseil d'État, 5 / 3 ssr, 17 janvier 1990, 80664


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 28 juillet 1986 et 28 novembre 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Suzanne X..., demeurant à Manneville, la Pipard à Pont-L'Evêque (14130), agissant, tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur légal de son fils mineur Aurélien X..., Mme X... demande au Conseil d'Etat :
1°) de réformer le jugement du 27 mai 1986 par lequel le tribunal administratif de Caen en tant qu'il a condamné le centre hospitalier de Lisieux à verser à Aurélien X... une rente annuell

e indexée de 90 000 F jusqu'à sa majorité et une somme de 70 000 F ré...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 28 juillet 1986 et 28 novembre 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Suzanne X..., demeurant à Manneville, la Pipard à Pont-L'Evêque (14130), agissant, tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur légal de son fils mineur Aurélien X..., Mme X... demande au Conseil d'Etat :
1°) de réformer le jugement du 27 mai 1986 par lequel le tribunal administratif de Caen en tant qu'il a condamné le centre hospitalier de Lisieux à verser à Aurélien X... une rente annuelle indexée de 90 000 F jusqu'à sa majorité et une somme de 70 000 F réparant le préjudice esthétique et la douleur physique et à Mme X... une indemnité de 70 000 F, somme qu'elle estime insuffisante, en réparation du préjudice que lui ont causé les infirmités dont souffre l'enfant à la suite de conditions fautives dans lesquelles s'est déroulé l'accouchement,
2°- de porter la rente à 140 000 F, de reporter à la majorité de l'enfant l'indemnisation définitive des troubles dans les conditions d'existence, le pretium doloris et le préjudice esthétique, en lui allouant une provision de 50 000 F avec intérêt, de porter à 150 000 F l'indemnité allouée à Mme X... en y ajoutant une somme de 75 000 F pour les frais d'adaptation du logement et de prononcer la capitalisation des intérêts échus,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil, notamment son article 1154 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Latournerie, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Liard, avocat de Mme Suzanne X... et de la SCP le Prado, avocat du Centre hospitalier de Lisieux,
- les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il n'est pas contesté en appel que le centre hospitalier de Lisieux est responsable des conséquences dommageables pour l'enfant Aurélien X... et pour ses parents de la faute lourde commise lors de l'accouchement de sa mère par l'équipe obstétricale de cet établissement ;
Sur les droits de l'enfant Aurélien X... :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport des experts nommés par le tribunal administratif, que le jeune Aurélien X... présente une infirmité motrice cérébrale grave avec quadriplégie spastique, hémiplégie droite et arriération psychomotrice très lourde, entraînant une incapacité totale nécessitant l'assistance permanente d'une tierce personne ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence découlant de cet état de santé en portant la rente annuelle due à l'intéressé, jusqu'à l'âge de sa majorité, à la somme de 140 000 F dont le motant sera indexé comme il a été jugé par le tribunal administratif ; que cette rente indemnise, jusqu'à la majorité de l'enfant, la totalité des chefs de préjudice découlant de son invalidité ; qu'en conséquence il n'y a pas lieu de lui allouer en plus, comme l'a fait le tribunal administratif, dont le jugement doit être annulé sur ce point, une somme au titre des souffrances physiques et du préjudice esthétique ;
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados, régulièrement mise en cause, n'a pas produit de mémoire devant le Conseil d'Etat ; que, toutefois, les sommes que, selon le centre hospitalier de Lisieux, elle supporte pour financer les frais d'éducation du jeune Aurélien X... dans un établissement spécialisé devront s'imputer sur la fraction de la rente définie par la présente décision qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime et qui, dans les circonstances de l'affaire, s'élève aux trois-quarts du montant de cette rente ;

Sur les droits de Mme X... :
Considérant que les premiers juges ont fait une juste appréciation des troubles apportés dans les conditions d'existence de Mme X... par les infirmités de son fils, ainsi que de la douleur morale qui en découle, en fixant la réparation de ces chefs de préjudice à la somme de 70 000 F tous intérêts compris ; qu'en revanche, c'est à tort qu'ils ont écarté toute demande de remboursement des frais d'aménagement spécial du nouveau logement familial dans la mesure où il a dû être tenu compte du handicap de l'enfant pour y adapter notamment ses possibilités de circulation en fauteuil roulant ; qu'au vu des pièces du dossier, l'indemnité complémentaire due à ce titre peut être fixée à 50 000 F y compris tous intérêts au jour de la présente décision ;
Considérant, en conséquence, que Mme X... est fondée à demander, dans les limites ci-dessus précisées, la réformation du jugement attaqué et que, par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de Lisieux est fondé à demander l'annulation de l'article 2 de ce jugement ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 28 juillet 1986 et 4 septembre 1989 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts sur les arrérages de la rente échue depuis une année au cas où ceux-ci n'auraient pas été versés et sur la somme de 70 000 F allouée à Mme X... par l'article 3 du jugement attaqué dans le cas, où à ces dates, ce jugement n'aurait pas encore été exécuté ; qu'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, de décider que les intérêts afférents aux arrérages de la rente échus depuis au moins un an les 28 juillet 1986 et 4 septembre 1989 et à la somme de 70 000 F due à Mme X... seront capitalisés à ces dates pour porter eux-mêmes intérêts ;
Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Caen du 27 mai 1986 est annulé.
Article 2 : Le montant de la rente annuelle que le centre hospitalier de Lisieux a été condamné à verser à Mme X... pour son fils Aurélien par le jugement du tribunal administratif de Caen en date du 27 mai 1986 est porté à 140 000 F. Les sommes versées par la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados pour assurer l'entretien et l'éducation du jeune Aurélien X... s'imputeront sur cette rente dans la limite des trois quarts de celle-ci.
Article 3 : Le centre hospitalier de Lisieux paiera à Mme X..., en remboursement des frais d'aménagement spécial du logement familial consécutifs au handicap de son fils Aurélien, une somme de 50 000 F, tous intérêts compris à la date de la présente décision.
Article 4 : Les sommes allouées aux articles 2 et 3 ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la présente décision.
Article 5 : Les intérêts afférents aux arrérages de la rente mentionnée à l'article 1er, échus depuis au moins un an les 28 juillet 1986 et 4 septembre 1989, et à la somme de 70 000 F due à Mme X... seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 6 : Les articles 1 et 3 du jugement du tribunal administratif de Caen en date du 27 mai 1986 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire à la présente décision.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme X..., de la demande des consorts X... devant le tribunal administratif de Caen et le surplus du recours incident du centre hospitalier de Lisieux sont rejetés.
Article 8 : La présente décision sera notifiée à Mme X..., au centre hospitalier de Lisieux, à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados et au ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale.


Synthèse
Formation : 5 / 3 ssr
Numéro d'arrêt : 80664
Date de la décision : 17/01/1990
Sens de l'arrêt : Annulation partielle réformation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RECOURS OUVERTS AUX DEBITEURS DE L'INDEMNITE - AUX ASSUREURS DE LA VICTIME ET AUX CAISSES DE SECURITE SOCIALE - DROITS DES CAISSES DE SECURITE SOCIALE - IMPUTATION DES DROITS A REMBOURSEMENT DE LA CAISSE - ARTICLE L - 376-1 (ANCIEN ARTICLE L - 397) DU CODE DE LA SECURITE SOCIALE - Droits de la caisse - Frais d'éducation d'un jeune handicapé moteur dans un établissement spécialisé.

60-05-04-01-01 Enfant atteint d'une infirmité motrice cérébrale grave, entraînant une incapacité totale nécessitant l'assistance permanente d'une tierce personne, à raison de la faute lourde commise par le praticien d'un établissement hospitalier. Les sommes que la caisse primaire d'assurance maladie supporte pour financer les frais d'éducation dans un établissement spécialisé doivent s'imputer sur la fraction de la rente qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE MATERIEL - Aménagement d'un appartement pour l'adapter aux besoins d'un enfant handicapé.

60-04-03-02 Enfant atteint d'une infirmité motrice cérébrale grave, entraînant une incapacité totale nécessitant l'assistance permanente d'une tierce personne, à raison de la faute lourde commise par le praticien d'un établissement hospitalier. Droit des parents au remboursement des frais d'aménagement spécial du nouveau logement familial dans la mesure où il a dû être tenu compte du handicap de l'enfant pour y adapter notamment ses possibilités de circulation en fauteuil roulant (Indemnité due à ce titre évaluée à 50 000 F y compris tous intérêts au jour de la décision).


Références :

Code civil 1154


Publications
Proposition de citation : CE, 17 jan. 1990, n° 80664
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Coudurier
Rapporteur ?: M. Latournerie
Rapporteur public ?: M. Stirn
Avocat(s) : S.C.P. Lyon-Caen, Fabiani, Liard, S.C.P. Le Prado, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1990:80664.19900117
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award