La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/03/1990 | FRANCE | N°41059

France | France, Conseil d'État, 9 / 8 ssr, 16 mars 1990, 41059


Vu le recours enregistré le 25 mars 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'économie et des finances, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° réforme le jugement en date du 29 octobre 1981 en tant que par ce jugement le tribunal administratif de Paris a déchargé la société anonyme "Ford-France" des impositions complémentaires auxquelles elle avait été assujettie au titre de l'impôt sur les sociétés pour les exercices clos en 1962, 1963, 1964, 1968 et 1969,
2° rétablisse les impositions précitées,
3° subsidiaireme

nt, rétablisse la société au rôle de l'impôt sur les sociétés à concurrence des...

Vu le recours enregistré le 25 mars 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'économie et des finances, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° réforme le jugement en date du 29 octobre 1981 en tant que par ce jugement le tribunal administratif de Paris a déchargé la société anonyme "Ford-France" des impositions complémentaires auxquelles elle avait été assujettie au titre de l'impôt sur les sociétés pour les exercices clos en 1962, 1963, 1964, 1968 et 1969,
2° rétablisse les impositions précitées,
3° subsidiairement, rétablisse la société au rôle de l'impôt sur les sociétés à concurrence des impositions supplémentaires qui avaient été acceptées par elle,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. d'Harcourt, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Ryziger, avocat de la société Ford-France,
- les conclusions de Mme Liébert-Champagne, Commissaire du gouvernement ;

En ce qui concerne l'amortissement des brevets :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par convention en date du 27 août 1954, la société anonyme "Ford-France", qui avait été créée en 1954 pour exploiter la concession d'importation de véhicules Ford en France dont la société "Ford-Saf" était auparavant titulaire, a racheté à la société SIMCA, pour le prix global de 870 millions d'anciens francs, divers éléments incorporels qui étaient nécessaires à son activité, et notamment la marque "Ford" et 173 brevets d'invention, que la société SIMCA détenait elle-même depuis le 1er janvier 1954 du fait de l'absorption à laquelle elle avait procédé, avec effet à cette date, de la société "Ford-Saf" ; que la société "Ford-France" a inscrit ces brevets, comme immobilisations, à l'actif de son bilan pour une valeur d'origine de 400 millions d'anciens francs, soit 4 millions de nouveaux francs, et pratiqué sur ces immobilisations, un amortissement ;
Considérant que la valeur d'un brevet à la date de son acquisition dépend des perspectives de profit qu'il offre à cette date et ne peut être évaluée rétrospectivement par référence aux profits qu'il a, une fois acquis, procurés effectivement à l'entreprise cessionnaire ; qu'il ressort des documents produits par la société "Ford-France", et notamment du rapport de l'expert X..., qu'eu égard au grand intérêt technique et économique des 173 brevets en cause pour l'industrie automobile, la valeur marchande desdits brevets était au moins égale à 4 millions de nouveaux francs en 1954 ; que si, pour apprécier cette valeur, l'expert s'est appuyé notamment sur des données de fait postérieures à 1954, a prise en compte de ces éléments, qui entraient dans le champ des prévisions normales des parties à la convention du 27 août 1954, a servi à corroborer l'anticipation qui pouvait être faite à cette date, de manière raisonnable, des profits escomptés ; que si l'administration fait valoir la situation particulière, pendant les années d'imposition, de la société "Ford-France", qui, ne se livrant à l'époque qu'à une activité commerciale d'importation de véhicules Ford, n'aurait pu attacher à un tel portefeuille de brevets qu'une valeur "défensive" contre la concurrence, il ressort du rapport de l'expert que la valeur "offensive" des brevets cédés est nécessairement entrée en ligne de compte dans la négociation engagée en 1954 avec la société SIMCA, qui renonçait, par la cession, à une exploitation industrielle des brevets ; que compte tenu surtout de ce que l'acquisition des brevets de la société SIMCA était nécessaire à la poursuite de l'activité d'importation de la société, celle-ci doit être regardée comme établissant l'exactitude de la ventilation à laquelle elle a procédé du prix d'acquisition global de 8 700 000 F, à raison de 4 millions de francs pour les brevets et du surplus pour les autres éléments incorporels non amortissables ; qu'en se bornant à alléguer que la société "Ford-France" n'aurait pu attacher aux brevets qu'une "valeur défensive", l'administration, n'apporte pas la preuve de ce que l'acquisition des brevets pour la valeur susmentionnée aurait relevé d'une gestion anormale ;

Considérant que, ni le prix des cessions qui ont ramené la valeur du portefeuille à 3 948 900 F, ni le coefficient de réévaluation, ni la durée d'amortissement des brevets n'étant contestés, la société "Ford-France" justifie dans leur principe comme dans leur montant des amortissements pratiqués ; qu'il suit de là que le ministre requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a, par le jugement attaqué, accordé à la société "Ford-France" la décharge des impositions contestées ayant procédé des redressements sur amortissements pratiqués par l'administration au titre des exercices 1962, 1963, 1964, 1967, 1968 et 1969 ;
En ce qui concerne les autres redressements :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'outre les redressements sur amortissements dont il vient d'être question, l'administration a rehaussé les résultats de l'exercice déficitaire 1967 et des exercices bénéficiaires 1968 et 1969 d'honoraires d'audit, de majorations sur rappels d'impositions et de cadeaux passés en charges et de provisions pour créances douteuses ; que, dans sa réclamation du 13 juin 1977, la société "Ford-France" n'a contesté, mis à part le problème des amortissements, que les redressements sur honoraires d'audit ; que, par lettre du 10 novembre 1978, elle a rectifié sa réclamation en acceptant sur ce dernier point un redressement limité à 20 % ; que le directeur, statuant sur la réclamation, a, par sa décision du 13 juin 1979, accordé le dégrèvement des sommes excédant le montant ainsi accepté ; que, dès lors, les conclusions présentées devant le juge administratif et relatives à d'autres redressements non contestés dans la réclamation à l'administration étaient irrecevables ; qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a accordé décharge des impositions, dont les montants non contestés en droits simples sont de 149 345 F pour 1968 et de 95 500 F pour 1969, ayant procédé de ces autres redressements, d'évoquer, et de rejeter les conclusions y afférentes ;
Article 1er : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Paris, en date du 29 octobre 1981, est annulé en tant qu'il a accordé à la société "Ford-France" décharge totale des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1968 et 1969.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée devant le tribunal administratif de Paris par la société "Ford-France" relatives aux impositions des années 1968 et 1969 sont rejetées en tant qu'elles ne visent pas seulement les redressements sur amortissements.
Article 3 : La société "Ford-France" sera rétablie aux rôles de l'impôt sur les sociétés de la ville de Rueil-Malmaison, Hauts-de-Seine, des années 1968 et 1969 à raison de droits simples de149 345 F et 95 500 F respectivement.
Article 4 : Le surplus des conclusions du recours susvisé du ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget et à la société "Ford-France".


Synthèse
Formation : 9 / 8 ssr
Numéro d'arrêt : 41059
Date de la décision : 16/03/1990
Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - BENEFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - EVALUATION DE L'ACTIF - THEORIE DU BILAN - ACTIF SOCIAL - Evaluation - Eléments incorporels - Brevets d'invention - Prise en considération non pas seulement de la valeur "défensive" mais aussi de la valeur "offensive".

19-04-02-01-03-01-01, 19-04-02-01-04-082 La société anonyme "Ford France", qui avait été créée en 1954 pour exploiter la concession d'importation de véhicules Ford en France dont la société "Ford-Saf" était auparavant titulaire, a racheté en 1954 à la société Simca divers éléments incorporels qui étaient nécessaires à son activité, et notamment la marque "Ford" et 173 brevets d'invention, que la société Simca détenait elle-même depuis le 1er janvier 1954 du fait de l'absorption à laquelle elle avait procédé, avec effet à cette date, de la société "Ford-Saf". La société "Ford France" a inscrit ces brevets, comme immobilisations, à l'actif de son bilan pour une valeur d'origine de 400 millions d'anciens francs, soit 4 millions de nouveaux francs. Si l'administration fait valoir la situation particulière, pendant les années d'imposition, de la société "Ford-France", qui, ne se livrant à l'époque qu'à une activité commerciale d'importation de véhicules Ford, n'aurait pu attacher à un tel portefeuille de brevets qu'une valeur "défensive" contre la concurrence, il ressort du rapport de l'expert que la valeur "offensive" des brevets cédés est nécessairement entrée en ligne de compte dans la négociation engagée en 1954 avec la société Simca, qui renonçait, par la cession, à une exploitation industrielle des brevets. L'acquisition des brevets de la société Simca était nécessaire à la poursuite de l'activité d'importation de la société. En se bornant à alléguer que la société "Ford-France" n'aurait pu attacher aux brevets qu'une "valeur défensive", l'administration n'apporte pas la preuve de ce que l'acquisition des brevets pour la valeur susmentionnée aurait relevé d'une gestion anormale.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - BENEFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - DETERMINATION DU BENEFICE NET - ACTE ANORMAL DE GESTION - Autres dépenses - Absence de gestion anormale - Acquisition de brevets - Prix d'acquisition.


Publications
Proposition de citation : CE, 16 mar. 1990, n° 41059
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Rougevin-Baville
Rapporteur ?: M. d'Harcourt
Rapporteur public ?: Mme Liébert-Champagne
Avocat(s) : Me Ryziger, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1990:41059.19900316
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award