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21/12/1990 | FRANCE | N°111417

France | France, Conseil d'État, Assemblee, 21 décembre 1990, 111417


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 10 novembre 1989 et le 12 mars 1990, présentés pour l'Association pour l'objection de conscience à toute participation à l'avortement (A.O.C.P.A.), dont le siège social est sis ... à Rueil-Malmaison (92502) Cédex et représentée par son président en exercice et pour l'Association des médecins pour le respect de la vie, dont le siège social est sis ... et représentée par son président en exercice ; l'Association pour l'objection de conscience à toute participat

ion à l'avortement et l'Association des medecins pour le respect de ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 10 novembre 1989 et le 12 mars 1990, présentés pour l'Association pour l'objection de conscience à toute participation à l'avortement (A.O.C.P.A.), dont le siège social est sis ... à Rueil-Malmaison (92502) Cédex et représentée par son président en exercice et pour l'Association des médecins pour le respect de la vie, dont le siège social est sis ... et représentée par son président en exercice ; l'Association pour l'objection de conscience à toute participation à l'avortement et l'Association des medecins pour le respect de la vie demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale en date du 28 décembre 1988 autorisant la mise sur le marché de la Mifégyne 200 mg ainsi que la décision du même ministre rejetant leur recours gracieux contre cette décision ;
2°) d'annuler ladite autorisation de mise sur le marché ;
3°) de décider qu'il sera sursis à l'exécution de cette décision ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la déclaration universelle des droits de l'homme publiée le 9 février 1949 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifiée en vertu de la loi n° 73-1227 du 31 décembre 1973 et publiée par décret du 3 mai 1974 ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 notamment son article 2 bis ;
Vu le décret n° 74-27 du 14 janvier 1974 ;
Vu le décret n° 87-390 du 15 juin 1987 modifiant le décret n° 47-233 du 23 janvier 1947 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de Mme Maugüé, Auditeur,
- les observations de Me Delvolvé, avocat de l'Association pour l'objection de conscience à toute participation à l'avortement et de l'Association des médecins pour le respect de la vie,
- les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement ;

Sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée :
Considérant que par arrêté du 22 juillet 1988 publié au Journal Officiel de la République française du 26 juillet, le ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale a donné à sept directeurs et chefs de service du ministère et notamment à M. Pierre Ambroise- X..., directeur de la pharmacie et du médicament, délégation permanente à l'effet de signer, en son nom, tous actes, arrêtés ou décisions à l'exclusion des décrets ; qu'en l'absence d'autre précision, cet arrêté doit être interprété comme ayant donné délégation à chacune des personnes qu'il désigne, pour signer les décisions relevant des attributions de sa direction ou de son service et que l'absence d'indication en ce sens, dans l'arrêté, est sans incidence sur la légalité de celui-ci ;
Considérant que les autorisations de mise sur le marché des médicaments prévus à l'article R. 5135 du code de la santé publique, relèvent des attributions de la direction de la pharmacie et du médicament ; qu'ainsi M. Ambroise- X... était compétent pour signer, au nom du ministre, l'arrêté attaqué ;
Considérant qu'en déclarant qu'il est de tradition que le ministre suive l'avis rendu par la commission d'autorisation de mise sur le marché, le ministre ne s'est pas déclaré lié par cet avis et n'a nullement entendu renoncer à son pouvoir de décision en la matière ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'au cas d'espèce, le fonctionnaire qui a pris la décision au nom du ministre ait commis une erreur sur l'étendue de sa compétence en se croyant lié par l'avis favorable de la commission ;
Sur les vices de forme :

Considérant, d'une part, que si les associations requérantes soutiennent que la décision d'autorisation de mise sur le marché a été en réalité prise le 28 octobre 1988 et non le 28 décembre 1988, il résulte des pièces du dossier que la date du 28 décembre 1988 que porte la décision est bien celle à laquelle elle a été réellement prise ;
Considérant, d'autre part, que dans son article 1er, la loi du 11 juillet 1979 n'exige la motivation que des seules décisions administratives individuelles défavorables qu'elle énumère ; que l'appréciation du caractère défavorable d'une décision doit se faire en fonction des seules personnes physiques ou morales qui sont directement concernées par elle ; que s'agissant d'une demande d'autorisation de mise sur le marché d'une spécialité pharmaceutique, cette qualité n'appartient qu'à la société ou aux sociétés auteurs de la demande ; que, dès lors, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la décision du 28 décembre 1988 qui accorde à la société Roussel-Uclaf l'autorisation sollicitée devait être motivée par application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article L. 645 du code de la santé publique :
Considérant que l'article L. 645 du code de la santé publique dispose qu'"il est interdit à toute personne d'exposer, d'offrir, de faire offrir, de vendre, de mettre en vente ... les remèdes et substances ... susceptibles de provoquer ou de favoriser l'avortement, dont la liste est établie par un règlement d'administration publique" ; qu'en vertu de l'article R. 5242 du code, pris en application de l'article susmentionné, lesdites dispositions s'appliquent aux médicaments qui sont de nature à provoquer ou favoriser l'avortement et qui consistent dans des préparations pharmaceutiques, préparées sur prescription médicale simples ou composées à base de substances énumérées par cet article ; que cette énumération ne vise que les préparations officinales et non les médicaments fabriqués par les laboratoires pharmaceutiques ; que ces derniers font l'objet d'une réglementation spécifique, définie aux articles L. 601 et suivants du code de la santé publique et consistant dans la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché par le ministre de la santé ; que cette réglementation est applicable à toutes les spécialités pharmaceutiques ; que la Mifégyne qui se trouve par ailleurs, du fait de ses propriétés abortives, soumise aux conditions d'emploi définies par les articles L.162-1 et suivants du code de la santé publique, constitue une spécialité pharmaceutique et doit comme telle être soumise uniquement à la réglementation applicable à ces spécialités ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L.645 du code de la santé publique ne saurait être accueilli ;
Sur le moyen tiré de ce que le ministre aurait fait une inexacte appréciation du danger que présente le produit :

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des conditions mises à l'utilisation de la Mifégyne et notamment des dispositions de l'annexe jointe à la décision attaquée, qui prévoient d'une part qu'une consultation de contrôle doit avoir lieu impérativement dans un délai de 8 à 10 jours suivant la prise de Mifégyne afin de vérifier l'efficacité de ladite prise et d'autre part qu'en cas d'échec, il sera toujours proposé à la patiente de pratiquer une interruption de la grossesse par une autre méthode, que l'appréciation portée par le ministre sur l'absence de danger que présenterait la mise sur le marché du produit dont il s'agit n'est pas entachée d'erreur manifeste ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article L. 647 du code de la santé publique :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 162-3 du code de la santé publique, le médecin sollicité par une femme en vue de l'interruption de grossesse doit informer celle-ci des risques médicaux qu'elle encourt pour elle-même et pour ses maternités futures ; que le ministre de la santé a fait une exacte application de ces dispositions et ne saurait avoir méconnu celles de l'article L. 647 du code de la santé publique qui prohibent la propagande en faveur de l'interruption de grossesse, en précisant que les patientes recourant à l'interruption de grossesse par médicament sont informées des risques de malformation du f etus au cas où, après échec de cette méthode, elles décideraient de mener la grossesse à son terme ;
Sur le moyen tiré de la violation de la loi du 17 janvier 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse et de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

Considérant que la Mifégyne est un produit ayant la propriété d'interrompre la grossesse ; que son emploi est dès lors soumis de plein droit, aux règles posées en la matière par les articles L.162-1 à L.162-14 du code de la santé publique issus des lois des 17 janvier 1975 et 31 décembre 1979 relatives à l'interruption volontaire de grossesse ; que la décision attaquée n'édicte aucune disposition violant ces textes mais, au contraire, rappelle les conditions posées, en ce domaine, par le législateur pour qu'il puisse être procédé à une interruption de grossesse ;
Considérant que l'article 2-4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée en vertu de la loi du 31 décembre 1973 et publiée par décret du 3 mai 1974, stipule que "le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement" ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 17 janvier 1975 : "La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions et limites définies par la présente loi" ; qu'eu égard aux conditions ainsi posées par le législateur, les dispositions issues des lois des 17 janvier 1975 et 31 décembre 1979 relatives à l'interruption volontaire de grossesse, prises dans leur ensemble, ne sont pas incompatibles avec les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'Association pour l'objection de conscience à toute participation à l'avortement et l'Association des médecins pour le respect de la vie ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision en date du 28 décembre 1988 par laquelle le ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale a accordé à la société Roussel-Uclaf l'autorisation de mettre sur le marché le produit abortif dénommé Mifégyne et, par voie de conséquence, la décision implicite par laquelle le ministre a rejeté le recours gracieux formé par les associations requérantes à l'encontre de ladite autorisation ;
Article 1er : La requête de l'Association pour l'objection de conscience à a toute participation à l'avortement (A.O.C.P.A.) et de l'Association des médecins pour le respect de la vie (A.M.R.F.) est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association pour l'objection de conscience à toute participation à l'avortement (A.O.C.P.A.), à l'Association des médecins pour le respect de la vie (A.M.R.V.), à la société Roussel-Uclaf, à la société des Laboratoires Roussel et au ministre délégué auprès du ministre des affaires sociales et de la solidarité, chargé de la santé.


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - DIFFERENTES CATEGORIES D'ACTES - ACCORDS INTERNATIONAUX - APPLICATION PAR LE JUGE FRANCAIS.

ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES ADMINISTRATIFS - COMPETENCE - DELEGATIONS - SUPPLEANCE - INTERIM - DELEGATION DE SIGNATURE.

SANTE PUBLIQUE - PROTECTION SANITAIRE DE LA FAMILLE ET DE L'ENFANCE - PROTECTION MATERNELLE ET INFANTILE - INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE.

SANTE PUBLIQUE - PHARMACIE - PRODUITS PHARMACEUTIQUES - AUTORISATIONS DE MISE SUR LE MARCHE.


Références :

Arrêté du 22 juillet 1988
Code de la santé publique R5135, L645, R5242, L601, L162-1, L647, L162-3, L162-1 à L162-14
Décret 74-360 du 03 mai 1974
Loi 73-1227 du 31 décembre 1973
Loi 75-17 du 17 janvier 1975 art. 1
Loi 79-1204 du 31 décembre 1979
Loi 79-587 du 11 juillet 1979 art. 1


Publications
Proposition de citation: CE, 21 déc. 1990, n° 111417
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Maugüé
Rapporteur public ?: Stirn

Origine de la décision
Formation : Assemblee
Date de la décision : 21/12/1990
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 111417
Numéro NOR : CETATEXT000007780652 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1990-12-21;111417 ?
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