La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/05/1991 | FRANCE | N°62405

France | France, Conseil d'État, 10/ 8 ssr, 06 mai 1991, 62405


Vu la requête introductive d'instance et le mémoire complémentaire enregistrés les 7 septembre 1984 et 7 janvier 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Automobiles Citroën et la société commerciale Citroën, dont les sièges sociaux sont sis ..., et représentés par le président du conseil d'administration en exercice ; ces deux sociétés demandent que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 27 juin 1984 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision rejetant

leur recours gracieux et à la condamnation de l'Etat à leur verser une i...

Vu la requête introductive d'instance et le mémoire complémentaire enregistrés les 7 septembre 1984 et 7 janvier 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Automobiles Citroën et la société commerciale Citroën, dont les sièges sociaux sont sis ..., et représentés par le président du conseil d'administration en exercice ; ces deux sociétés demandent que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 27 juin 1984 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision rejetant leur recours gracieux et à la condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité de 459 834 000 F et les intérêts de droit en réparation des préjudices causés par l'inaction des forces de police et par le rejet de leur demande de concours de la force publique pour exécuter la décision de justice ordonnant la dispersion des groupes d'obstruction aux accès de l'usine d'Aulnay-sous-Bois ;
2°) déclare l'Etat responsable des préjudices subis par les requérantes dans leur établissement d' Aulnay-sous-Bois en raison de l'inaction des forces de police du 26 avril 1982 au 2 juin 1982 et de la non-exécution de l'ordonnance de référé du 6 mai 1982 ;
3°) condamne l'Etat à verser à la société Automobiles Citroën une indemnité de : 451 175 000 F et à la société commerciale Citroën une indemnité de 8 659 000 F, avec les intérêts de droit à compter du 3 juin 1982 ;
4°) condamne l'Etat à verser à ces deux sociétés, à titre de provision, 45 117 500 F pour la société Automobiles Citroën et 865 900 F pour la société commerciale Citroën ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Touvet, Auditeur,
- les observations de la S.C.P. Delaporte, Briard, avocat de la société Automobiles Citroën et de la société commerciale Citroën,
- les conclusions de Mme Denis-Linton, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la demande formée par la société Automobiles Citroën et par la société commerciale Citroën tend à ce que l'Etat soit condamné à réparer le préjudice qu'elles auraient subi en raison, d'une part, de la carence des autorités de police à assurer, entre le 26 avril et le 11 mai 1982, le libre accès à leur établissement industriel d'Aulnay-sous-Bois en dispersant les piquets de grève et en faisant obstacle aux agissements de groupes s'opposant, au voisinage de l'établissement, à ce libre accès et, d'autre part, du défaut de concours de la force publique pour assurer du 12 mai au 1er juin 1982 l'exécution d'une ordonnance de référé rendue le 11 mai 1982 par le président du tribunal de grande instance de Bobigny et prescrivant la dispersion des piquets de grève ou rassemblements qui empêchaient l'accès des salariés sur les lieux de travail ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, s'agissant d'un conflit collectif de travail qui a donné lieu le 20 mai 1982 à la désignation d'un médiateur et le 1er juin 1982 à l'intervention d'un accord permettant la reprise normale du travail le 2 juin 1982, et compte tenu de la situation créée par la présence à proximité ou au voisinage de l'usine d'Aulnay-sous-Bois de groupes ou de rassemblements qui n'ont d'ailleurs pas entravé toute circulation entre l'usine et ses abords, les autorités de police, qui ont mis en place des éléments de surveillance, ne peuvent être regardées comme ayant commis, dans l'exercice de leur mission de maintien de l'ordre public, une faute lourde de nature à engager, envers les sociétés requérantes, la responsabilité de l'Etat ;

Mais considérant que les justiciables nantis d'une décision de justice dûment revêtue de la formule exécutoire sont en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui leur a été ainsi délivré ; que si l'autorité administrative peut, dans certaines circonstances, refuser le concours de la force publique, le préjudice qui peut naître de ce refus entraîne pour le bénéficiaire de la décision de justice une charge anormale rompant l'égalité devant les charges publiques, si ce refus s'est prolongé au-delà du délai dont l'autorité administrative doit disposer pour l'accomplissement de la mission qui lui incombe ; qu'en l'espèce, il est constant que l'autorité de police, saisie le 12 mai 1982 d'une demande de concours de la force publique n'a pris aucune mesure jusqu'au 1er juin 1982, pour assurer l'exécution de la décision de justice du 11 mai 1982 ; que, par suite, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir qu'elles ont subi, à leur usine d'Aulnay-sous-Bois, un préjudice de caractère anormal et spécial justifiant la mise à la charge de l'Etat, même en l'absence de faute, d'une indemnité correspondant au préjudice certain directement imputable à l'inaction des autorités de police ; qu'eu égard aux pièces justificatives produites par les sociétés requérantes, il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'Etat à verser aux sociétés requérantes une indemnité de 40 000 000 F ; qu'il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ;

Sur les intérêts :
Considérant que les sociétés requérantes ont droit aux intérêts de la somme de 40 000 000 F à compter du jour de la réception par le ministre de leur demande d'indemnité ;
Sur les intérêts des intéréts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 7 janvier 1985 et 5 septembre 1988 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 27 juin 1984 est annulé.
Article 2 : l'Etat est condamné à verser conjointement à la société Automobiles Citroën et à la société commerciale Citroën la somme de 40 000 000 F. Cette somme portera intérêts à compter du jour de la réception par le ministre de la demande d'indemnité des sociétés requérantes. Les intérêts échus les 7 janvier 1985 et 5 septembre 1988 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par la société Automobiles Citroën et la société commerciale Citroën devant le tribunal administratif de Paris est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Automobiles Citroën, à la société commerciale Citroën et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 10/ 8 ssr
Numéro d'arrêt : 62405
Date de la décision : 06/05/1991
Sens de l'arrêt : Annulation indemnité
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICES DE POLICE - SERVICES DE L'ETAT - ABSTENTION DES FORCES DE POLICE - Barrages ou entraves à la liberté de circulation résultant de l'action de manifestants dans le cadre de mouvements sociaux - Blocage de l'accès à un établissement industriel - Absence de faute lourde - BLocage de l'accès pendant quinze jours.

60-02-03-01-02 La société automobiles Citroën et la Société commerciale Citroën demandent réparation du préjudice qu'elles estiment avoir subi du fait de la carence des autorités de police à assurer, entre le 26 avril et le 11 mai 1982, le libre accès à leur établissement industriel d'Aulnay-sous-Bois en dispersant les piquets de grève et en faisant obstacle aux agissement de groupes s'opposant, au voisinage de l'établissement, à ce libre accès. Dans les circonstances de l'espèce, s'agissant d'un conflit collectif de travail qui a donné lieu le 20 mai 1982 à la désignation d'un médiateur et le 1er juin 1982 à l'intervention d'un accord permettant la reprise normale du travail le 2 juin 1982, et compte tenu de la situation créée par la présence a proximité ou au voisinage de l'usine d'Aulnay-sous-Bois de groupes ou de rassemblements qui n'ont d'ailleurs pas entravé toute circulation entre l'usine et ses abords, les autorités de police, qui ont mis en place des éléments de surveillance, ne peuvent être regardées comme ayant commis, dans l'exercice de leur mission de maintien de l'ordre public, une faute de nature à engager, envers les sociétés requérantes, la responsabilité de l'Etat.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICES DE POLICE - SERVICES DE L'ETAT - EXECUTION DES DECISIONS DE JUSTICE - Refus de concours de la force publique - Ordonnance de dispersion des piquets de grève ou rassemblements empêchant l'accès des salariés sur les lieux de travail - Abstention des autorités de police pendant 18 jours - Existence d'un préjudice anormal et spécial.

60-02-03-01-03, 60-04-01-05-01 Si les justiciables nantis d'une décision de justice dûment revêtue de la formule exécutoire sont en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui leur a été ainsi délivré, l'autorité administrative peut toutefois, dans certaines circonstances, refuser le concours de la force publique. Le préjudice qui peut naître de ce refus entraîne pour le bénéficiaire de la décision de justice une charge anormale rompant l'égalité devant les charges publiques, si ce refus s'est prolongé au-delà du délai dont l'autorité administrative doit disposer pour l'accomplissement de la mission qui lui incombe. En l'espèce, l'autorité de police, saisie le 12 mai 1982 d'une demande de concours de la force publique, n'a pris aucune mesure jusqu'au 1er juin 1982, pour assurer l'exécution de l'ordonnance de référé rendue le 11 mai 1982 par le président du tribunal de grande instance de Bobigny et prescrivant la dispersion des piquets de grève ou rassemblements qui empêchaient l'accès des salariés sur les lieux de travail. Par suite, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir qu'elles ont subi, à leur usine d'Aulnay-sous-Bois, un préjudice de caractère anormal et spécial justifiant la mise à la charge de l'Etat, même en l'absence de faute, d'une indemnité correspondant au préjudice certain directement imputable à l'inaction des autorités de police.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - CARACTERE SPECIAL ET ANORMAL DU PREJUDICE - PREJUDICE PRESENTANT CE CARACTERE - Existence - Abstention des autorités de police - Refus du concours de la force publique - Ordonnance de dispersion des piquets de grève ou rassemblements empêchant l'accès des salariés sur les lieux de travail - Abstention des autorités de police pendant 18 jours.


Références :

Code civil 1154


Publications
Proposition de citation : CE, 06 mai. 1991, n° 62405
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Bauchet
Rapporteur ?: M. Touvet
Rapporteur public ?: Mme Denis-Linton
Avocat(s) : SCP Delaporte, Briard, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1991:62405.19910506
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award