La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/06/1991 | FRANCE | N°76598

France | France, Conseil d'État, 3 / 5 ssr, 21 juin 1991, 76598


Vu le recours du MINISTRE DE L'URBANISME, DU LOGEMENT ET DES TRANSPORTS enregistré le 13 mars 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande que le Conseil d'Etat :
1°- annule le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, en date du 14 novembre 1985, en tant d'abord que ce jugement a retenu la responsabilité de l'Etat à l'origine du décès accidentel de M. X... et l'a condamné, solidairement avec les entreprises Colas, Y... et Cluzel, à payer aux ayants-droit de la victime, la somme de 325 788,91 F (sous réserve que cette condamnation n'ent

raîne pas une réparation supérieure au préjudice subi par eu...

Vu le recours du MINISTRE DE L'URBANISME, DU LOGEMENT ET DES TRANSPORTS enregistré le 13 mars 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande que le Conseil d'Etat :
1°- annule le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, en date du 14 novembre 1985, en tant d'abord que ce jugement a retenu la responsabilité de l'Etat à l'origine du décès accidentel de M. X... et l'a condamné, solidairement avec les entreprises Colas, Y... et Cluzel, à payer aux ayants-droit de la victime, la somme de 325 788,91 F (sous réserve que cette condamnation n'entraîne pas une réparation supérieure au préjudice subi par eux) et en tant qu'il a limité la garantie de l'entreprise Colas à 70 % seulement des sommes que l'Etat pourrait être amené à verser aux consorts X...,
2°- rejette la demande présentée au tribunal administratif de Clermont-Ferrand par les consorts X...,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Labarre, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Toutée, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'en regardant la demande des consorts X... comme tendant à étendre à l'Etat la condamnation conjointe et solidaire de MM. Z... et Y... prononcée par un arrêt de la cour d'appel de Riom en date du 19 juin 1980, à leur payer certaines indemnités, alors que les consorts X... se bornaient à demander la condamnation de l'Etat à leur payer certaines sommes en réparation des conséquences de l'accident mortel survenu à M. X... le 8 juin 1976, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand s'est mépris sur la portée des conclusions dont il était saisi ; que son jugement doit, dès lors, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par les consorts X... devant le tribunal administratif ;
Sur la responsabilité de l'Etat vis à vis des consorts X... :
Considérant que l'accident dont a été victime M. X..., préposé de l'entreprise Cluzel, s'est produit lors du déchargement de matériaux sur une aire de fabrication d'enrobés, la benne du camion que conduisait M. X... ayant pendant cette opération heurté une ligne électrique à moyenne tension ; qu'en s'abstenant d'exercer une surveillance suffisante sur la sécurité du fonctionnement du chantier, les ingénieurs des travaux publics de l'Etat ont commis une négligence constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, maître de l'ouvrage, à l'égard de M. X..., participant au travail public ;

Considérant que si, en vue d'être exonéré totalement ou partiellement de cette responsabilité, l'Etat se prévaut des fautes qu'aurait commises la société routière Colas en déplaçant l'aire prévue par l'administration pour le déchargement des matériaux sans prendre les mesures nécessaires pour que ce changement ne mette pas en danger la sécurité des personnes participant à ces opérations, les fautes commises par des tiers, si elles les exposent à une action en garantie du maître de l'ouvrage sont, dans le domaine des dommages de travaux publics, en principe sans influence sur les obligations du maître de l'ouvrage à l'égard de la victime ou de ses ayants-droit, même dans le cas où sa responsabilité est engagée à l'égard de la victime sur le fondement de la faute ; qu'il suit de là que l'Etat ne saurait utilement se prévaloir pour atténuer sa responsabilité de la faute éventuellement commise par la société routière Colas ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'aucune faute ou imprudence de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat ne peut être reprochée à M. X..., qui ne connaissait pas les lieux ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Etat doit supporter la totalité des conséquences dommageables qu'a eues pour les consorts X... l'accident dont M. X... a été victime le 8 juin 1976 ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts X... sont fondés à demander la condamnation de l'Etat à leur payer les indemnités qu'ils réclament et dont le montant n'est pas contesté, soit 135 585,05 F à Mme Joëlle X..., 170 203,68 F à M. Denis X... et 20 000,00 F à Mme Huguette X... ; que, toutefois, le paiement de ces sommes sera subordonné à la subrogation de l'Etat par les consorts X..., à concurrence des mêmes montants, dans les droits qui résulteraient pour eux de condamnations qui seraient ou auraient été définitivement prononcées à leur profit et à l'encontre des autres responsables des dommages par l'autorité judiciaire ;
Sur les intérêts :

Considérant que les consorts X... ont droit aux intérêts des sommes qui viennent d'être fixées ci-dessus à compter du 8 octobre 1980, date de la réception de leur demande par le ministre de l'environnement et du cadre de vie ;
Sur les conclusions en garantie présentées par l'Etat contre la société routière Colas :
Considérant qu'aux termes de l'article 31 du décret du 28 décembre 1968 incorporé par l'arrêté du ministre de l'équipement, en date du 10 novembre 1975, au cahier des prescriptions communes applicable aux marchés dont la société routière Colas était titulaire : "Si la conduite ou les modalités d'exécution des travaux entraînent des désordres ou des dommages aux personnes ou aux biens, autres que les dégradations aux voies publiques visées à l'article précédent, la responsabilité de l'entrepreneur est engagée. Celui-ci ne peut dégager sa responsabilité qu'autant qu'il apporte la preuve que la conduite ou les modalités d'exécution des travaux mises en cause résultent d'une manière impérative des dispositions du marché ou d'ordres de service du maître d'oeuvre maintenus malgré les réserves qu'il a faites" ; qu'il ressort de ces dispositions que la société routière Colas est tenue de supporter la réparation de tous les dommages causés aux personnes par le fonctionnement du chantier, à la seule exception de ceux qui résulteraient d'un cas de force majeure, d'une faute lourde de l'Etat ou de modalités d'exécution des travaux imposés par le marché ou par les ordres de service maintenus malgré les réserves des entreprises ;

Considérant que, d'une part, le défaut de négligence fautif des ingénieurs de l'Etat n'est pas en l'espèce, constitutif d'une faute lourde de l'Etat ; qu'il résulte, d'autre part, de l'instruction que la conduite et les modalités d'exécution des travaux qui ont été à l'origine de l'accident dont a été victime M. X... ne résultaient pas d'une manière impérative des dispositions du marché ou d'ordres de service maintenus malgré les réserves de la société routière Colas ; que l'Etat est donc fondé à demander à être intégralement garanti par la société routière Colas de la condamnation prononcée à son encontre par la présente décision ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, en date du 14 novembre 1985 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme Joëlle X... la somme de 135 585,05 F, à M. Denis X... la somme de 170 203,68 F et à Mme Huguette X... la somme de 20 000 F. Ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 8 octobre 1980. Leur paiement est subordonné à la subrogation de l'Etat, à concurrence des mêmes montants, dans les droits qui résulteraient pour les consorts X... des condamnations définitivement prononcées à leur profit à l'encontre des autres responsables des dommages par l'autorité judiciaire.
Article 3 : La société routière Colas est condamnée à garantir intégralement l'Etat des condamnations prononcées par l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'équipement, du logement, des transports et de l'espace, à Mme Joëlle X..., à M. Denis X..., à Mme Huguette X... et à la société routière Colas.


Synthèse
Formation : 3 / 5 ssr
Numéro d'arrêt : 76598
Date de la décision : 21/06/1991
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

- RJ1 TRAVAUX PUBLICS - REGLES COMMUNES A L'ENSEMBLE DES DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE - QUALITE DE PARTICIPANT - Responsabilité pour faute - Faute du tiers sans influence sur les obligations du maître de l'ouvrage vis-à-vis de la victime - Tiers n'ayant pas la qualité d'employeur de la victime (1).

67-02-02-01, 67-02-04-04 L'accident dont a été victime M. B., préposé de l'entreprise Cluzel, s'est produit lors du déchargement de matériaux sur une aire de fabrication d'enrobés, la benne du camion que conduisait M. B. ayant pendant cette opération heurté une ligne électrique à moyenne tension. En s'abstenant d'exercer une surveillance suffisante sur la sécurité du fonctionnement du chantier, les ingénieurs des travaux publics de l'Etat ont commis une négligence constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, maître de l'ouvrage, à l'égard de M. B., participant au travail public. Si, en vue d'être exonéré totalement ou partiellement de cette responsabilité, l'Etat se prévaut des fautes qu'aurait commises la société routière Colas en déplaçant l'aire prévue par l'administration pour le déchargement des matériaux sans prendre les mesures nécessaires pour que ce changement ne mette pas en danger la sécurité des personnes participant à ces opérations, les fautes commises par des tiers, si elles les exposent à une action en garantie du maître de l'ouvrage sont, dans le domaine des dommages de travaux publics, en principe sans influence sur les obligations du maître de l'ouvrage à l'égard de la victime ou de ses ayants-droit, même dans le cas où sa responsabilité est engagée à l'égard de la victime sur le fondement de la faute. Par suite, l'Etat ne saurait se prévaloir, pour atténuer sa responsabilité, de la faute éventuellement commise par la société routière Colas.

- RJ1 TRAVAUX PUBLICS - REGLES COMMUNES A L'ENSEMBLE DES DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS - CAUSES D'EXONERATION - FAIT DU TIERS - Faute du tiers sans influence sur les obligations du maître de l'ouvrage vis-à-vis de la victime - Tiers n'ayant pas la qualité d'employeur de la victime (1).


Références :

1.

Cf. 1961-05-19, Chambre de commerce de Nantes, p. 561 ;

1967-10-04, Service d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes c/ Luciani, T.p. 949 ;

1973-11-14, E.D.F. c/ Leynaert, p. 646


Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 1991, n° 76598
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Combarnous
Rapporteur ?: M. Labarre
Rapporteur public ?: M. Toutée

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1991:76598.19910621
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award