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28/06/1991 | FRANCE | N°77921

France | France, Conseil d'État, Assemblee, 28 juin 1991, 77921


Vu le recours du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget enregistré le 24 avril 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 16 décembre 1985 par lequel le tribunal administratif de Paris a accordé à la Société Générale décharge des impositions supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1976 à 1979 ;
2°) remette ces impositions et les pénalités correspondante

s à la charge de la Société Générale ;
3°) rejette les conclusions de la demande d...

Vu le recours du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget enregistré le 24 avril 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 16 décembre 1985 par lequel le tribunal administratif de Paris a accordé à la Société Générale décharge des impositions supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1976 à 1979 ;
2°) remette ces impositions et les pénalités correspondantes à la charge de la Société Générale ;
3°) rejette les conclusions de la demande de la Société Générale devant le tribunal administratif portant sur l'exercice 1980,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 65-554 du 10 juillet 1965, modifiée notamment par la loi n° 69-1161 du 24 décembre 1969 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Scanvic, Auditeur,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, avocat de la Société Générale,
- les conclusions de M. Chahid-Nouraï, Commissaire du gouvernement ;

Sur l'imposition établie au titre de l'année 1980 :
Considérant que la Société Générale a demandé au tribunal administratif de Paris la décharge des impositions résultant de la réintégration, par l'administration, de provisions qu'elle avait déduites au titre des exercices clos au cours des années 1976 à 1980 ; que le tribunal administratif a omis de se prononcer sur les conclusions relatives à l'imposition établie au titre de l'année 1980 ; que le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget est sans intérêt à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas statué sur ces conclusions, ledit jugement qui n'a prononcé aucune décharge ou réduction de l'imposition en cause ne faisant pas grief à l'Etat sur ce point ; que si, par la voie du recours incident, la Société Générale a présenté des conclusions aux mêmes fins, lesdites conclusions figurant dans un mémoire en défense enregistré après l'expiration du délai d'appel sont irrecevables par voie de conséquence de l'irrecevabilité des conclusions principales du ministre sur ce point ;
Sur les impositions établies au titre des années 1976 à 1979 :
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment : ... 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables ..." ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise ; qu'en outre, en ce qui concerne les provisions pour charges, elles ne peuvent être déduites au titre d'un exercice que si se trouvent comptabilisés, au titre du même exercice, les produits afférents à ces charges et qu'en ce qui concerne les provisions pour perte, elles ne peuvent être déduites que si la perspective de cette perte se trouve établie par la comparaison, pour une opération ou un ensemble d'opérations suffisamment homogènes, entre les coûts à supporter et les recettes escomptées ;

Considérant que le régime de l'épargne-logement, institué par la loi susvisée du 10 juillet 1965 modifiée par la loi du 24 décembre 1969, comprend des plans d'épargne-logement dont les modalités sont strictement réglementées par des dispositions aux termes desquelles les établissements conventionnés qui gèrent ces plans sont tenus de consentir, si la demande leur en est faite à l'échéance des plans, des prêts à taux réglementé, préfixé et privilégié ; que ces mêmes établissements sont également tenus d'affecter en priorité à ces prêts les ressources collectées, dans le cadre des plans en cours, à taux faible et réglementé ; qu'ainsi les plans d'épargne-logement constituent, pour les établissements en cause, un ensemble d'opérations de dépôts et de prêts qui est homogène, du point de vue des droits et des obligations qui les caractérisent et distinct des autres opérations bancaires ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la Société Générale a constitué, au titre des exercices clos au cours de chacune des années 1976 à 1979, des "provisions pour pertes ultérieures sur plans d'épargne-logement" déterminées en fonction des opérations de prêt qu'elle effectue à ce titre ; qu'elle a calculé le montant de ces provisions en fonction de l'écart existant entre, d'une part, les intérêts au taux légalement limité que doivent lui procurer les prêts consentis au titre de l'épargne-logement et, d'autre part, le coût des ressources qu'elle estimait nécessaires pour en assurer le financement, ce coût étant évalué, par elle, au taux moyen du marché monétaire au cours de l'exercice ; que ces provisions ont été remises en cause par l'administration au motif qu'elles ne pouvaient être constituées ni au titre de charges ni au titre de pertes ;

Considérant, en premier lieu, que les prêts consentis aux titulaires de plans d'épargne-logement entraînent le versement, au profit de l'établissement prêteur, d'intérêts qui ne peuvent être comptabilisés qu'au fur et à mesure des échéances du prêt et non pas en totalité au cours de l'exercice pendant lequel la décision d'octroyer le prêt est intervenue ; que, dès lors, le ministre est fondé à soutenir qu'en tout état de cause, aucune provision pour charge ne saurait être constituée, au titre des prêts d'épargne-logement, par les établissements qui les consentent ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne résulte d'aucune disposition relative à l'épargne-logement que le législateur aurait entendu exclure, par principe, la constitution de provisions à raison de pertes probables sur prêts résultant, pour les établissements conventionnés, de leurs obligations à l'égard des titulaires de plans d'épargne-logement ayant demandé un prêt relevant de ce régime ; que le ministre n'est pas non plus fondé à soutenir que les avantages que peuvent escompter les établissements bancaires lorsqu'ils demandent leur conventionnement excluent pour eux le droit de déduire ultérieurement de telles provisions si elles remplissent les conditions fixées par la loi ;
Considérant, toutefois que, parmi ces conditions, celle qui concerne la probabilité de la perte, et qui doit être appréciée en fonction des événéments en cours à la clôture de l'exercice, ne peut être regardée comme remplie que s'il apparaît, eu égard aux circonstances de fait constatées à cette date, et notamment au fait qu'une part seulement des titulaires de plans fait valoir ses droits à l'obtention d'un prêt, que l'établissement ne pourra faire face à ses engagements de prêts en cours qu'en y affectant des ressources d'un coût supérieur au taux consenti aux emprunteurs ; qu'une telle probabilité dépend elle-même d'une part, eu égard aux règles susrappelées d'affectation obligatoire des ressources provenant de l'épargne-logement aux prêts de ce régime, de l'importance des ressources obtenues à faible taux grâce aux plans qui n'ont pas donné lieu à l'octroi de prêts et d'autre part, du coût moyen réel auquel l'établissement se procure ses autres ressources ;

Considérant que les éléments de calcul proposés par la Société Générale pour justifier la constitution des provisions contestées reposent sur des données concernant, pour les unes, les exercices en cause, pour les autres, des exercices postérieurs ; que les premières de ces données ne prennent pas en considération les ressources à faible taux susceptibles d'être affectées en priorité aux prêts et font référence, en outre, à un taux de refinancement qui n'est pas le taux moyen des ressources de l'établissement ; que, par suite, ces données ne permettent pas d'établir, dans les conditions ci-dessus définies, la probabilité d'une perte à la date de la clôture desdits exercices ; que les autres données fournies, du seul fait qu'elles ne se rapportent pas aux exercices 1976 à 1979, ne peuvent en tout état de cause être utilement invoquées ; que, par suite, les provisions litigieuses ne pouvaient être régulièrement déduites par la Société Générale au titre des exercices en cause ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, d'une part, que le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant que, par ledit jugement, le tribunal administratif de Paris a accordé à la société requérante la décharge des impositions contestées établies au titre des années 1976 à 1979 et, d'autre part, en ce qui concerne l'année 1980, que ni le ministre ni la Société Générale ne sont recevables à demander l'annulation du même jugement ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 16 décembre 1985 est annulé en tant qu'il a déchargé la Société Générale des impositions à l'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignées au titre des années 1976, 1977, 1978 et 1979.
Article 2 : La Société Générale est rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés, au titre des années 1976, 1977, 1978 et 1979, à raison de l'intégralité des droits et pénalités qui lui avaient été assignés.
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du ministre et le recours incident de la Société Générale sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre délégué au budget et à la Société Générale.


Sens de l'arrêt : Droits maintenus
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

19-04-02-01-04-04 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - BENEFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - DETERMINATION DU BENEFICE NET - PROVISIONS -Principes - Pertes et charges ne pouvant faire l'objet de provisions déductibles - Pertes ou charges dépourvues de caractère probable - Pertes des établissements bancaires gestionnaires des plans d'épargne-logement du fait des prêts spéciaux consentis aux titulaires de ces plans.

19-04-02-01-04-04 Le droit pour les établissements bancaires gestionnaires des plans d'épargne-logement de provisionner fiscalement les pertes qu'ils pourraient être amenés à supporter du fait des prêts spéciaux consentis aux titulaires de ces plans ne peut être exclu, si les conditions générales fixées par le C.G.I. peuvent se trouver remplies. Parmi ces conditions, figurent notamment celle qui concerne la probabilité des pertes, appréciée à la clôture de l'exercice ou la provision est constituée, et celle qui concerne la précision du calcul de la provision. Au regard de la condition de probabilité les provisions déduites par la Société générale au cours des années 1976 à 1979 ne peuvent être admises. L'établissement bancaire concerné n'établit pas, en effet, qu'à la clôture de chacun des exercices en cause, il se trouvait exposé, à raison des prêts spéciaux d'épargne-logement qu'il avait consentis, à un risque de perte découlant de la nécessité pour lui de refinancer ces prêts avec des ressources d'un coût supérieur au taux consenti aux emprunteurs, alors que les établissements gestionnaires des plans d'épargne-logement souscrivaient l'engagement d'affecter les ressources provenant des dépôts effectués au titre des plans d'épargne-logement aux prêts spéciaux de ce régime.


Références :

CGI 39, 209
Loi 65-554 du 10 juillet 1965
Loi 69-1161 du 24 décembre 1969 Finances pour 1970


Publications
Proposition de citation: CE, 28 jui. 1991, n° 77921
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Long
Rapporteur ?: M. Scanvic
Rapporteur public ?: M. Chahid-Nouraï
Avocat(s) : SCP Célice, Blancpain, Avocat

Origine de la décision
Formation : Assemblee
Date de la décision : 28/06/1991
Date de l'import : 06/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 77921
Numéro NOR : CETATEXT000007627934 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1991-06-28;77921 ?
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