Vu la requête enregistrée le 1er juillet 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Nallathamby X..., élisant domicile au cabinet de Me Y..., ... ; M. X... demande au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement en date du 6 juin 1991 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 3 juin 1991 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a décidé sa reconduite à la frontière ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée notamment par la loi n° 89-548 du 2 août 1989 et la loi n° 90-34 du 10 janvier 1990 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il résulte de l'article 31-2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 que les Etats parties ne peuvent appliquer aux déplacements des réfugiés en situation irrégulière que les restrictions nécessaires "en attendant que le statut de ces réfugiés dans le pays d'accueil ait été régularisé ou qu'ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays" ; qu'en vertu de la loi du 25 juillet 1952 portant création de l'office français de protection des réfugiés et apatrides il appartient à cet office de statuer, sous le contrôle de la commission des recours, sur les demandes tendant à ce que soit reconnue à un étranger la qualité de réfugié au sens de l'article 1er de la convention du 28 juillet 1951 précitée ;
Considérant que ces dispositions impliquent nécessairement que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande ; qu'en l'absence de dispositions législatives et réglementaires déterminant les modalités d'application de ce principe, il appartient à l'autorité administrative de prendre les mesures nécessaires à sa mise en oeuvre ; que dans l'exercice de ce pouvoir cette autorité doit également tenir compte des autres intérêts généraux dont elle a la charge en vue d'éviter un usage abusif des droits ainsi reconnus aux personnes qui demandent le bénéfice de la Convention de Genève ; que, par suite, les personnes qui sollicitent la qualité de réfugié doivent recevoir des documents leur permettant, après avoir saisi l'office français de protection des réfugiés et apatrides de séjourner régulièrement en France jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande par l'office et, le cas échéant, par la commission des recours des réfugiés, sauf dans les cas où cette demande a manifestement pour seul objet de faire échec à une mesure d'éloignement susceptible d'être prise à l'encontre d'un étranger déjà entré sur le territoire national et se trouvant en situation irrégulière ;
Considérant que M. X..., ressortissant srilankais, est entré en France le 31 mai 1991 avec un passeport dépourvu de visa et était, dès lors, susceptible de faire l'objet, en application de l'article 22-1°) de l'ordonnance du 2 novembre 1945, d'un arrêté de reconduite à la frontière ;
Considérant que, lors de son interpellation par les services de la police urbaine de Nice, le 3 juin 1991, M. X..., faisant état de son appartenance au peuple tamoul et de tortures qu'il aurait subies pour ce motif, a déclaré solliciter l'asile politique en France ; que des imprimés lui ont alors été remis afin qu'il puisse constituer un dossier destiné à l'office français de protection des réfugiés et apatrides ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'asile de M. X... ait eu manifestement pour seul objet de faire échec dans un but dilatoire à la mesure de reconduite à la frontière susceptible d'être prise à son encontre ; que M. X... devait donc être autorisé à séjourner en France jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette demande ; que l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes qui a prononcé sa reconduite immédiate à la frontière est, dès lors, entaché d'excès de pouvoir ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Nice, a rejeté sa demande ;
Article 1er : Le jugement susvisé du conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Nice en date du 6 juin 1991 et l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes en date du 3 juin 1991 sont annulés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X..., au préfet des Alpes-Maritimes et au ministre de l'intérieur et de la sécurité publique.