Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 19 juin 1985 et 21 octobre 1985 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Sucre-Union, dont le siège social est ..., et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 26 mars 1985 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à obtenir l'annulation d'un état exécutoire émis à son encontre le 11 août 1981 par le fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre (F.I.R.S.) ;
2°) annule cet état exécutoire pour excès de pouvoir ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Faure, Maître des requêtes,
- les observations de Me Guinard, avocat de la société Sucre-Union,
- les conclusions de M. Le Chatelier, commissaire du gouvernement ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant que si, en vertu de l'article 1er du décret n° 68-816 du 9 juillet 1968 portant création d'un établissement public pour l'organisation du marché du sucre, le fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre (F.I.R.S.) est un établissement public à caractère industriel et commercial, les litiges nés tant du versement par cet organisme des restitutions prévues pour les exportations hors communauté économique européenne que de la récupération, par la voie d'un état exécutoire, des sommes indûment versées à ce titre, relèvent de la compétence du juge administratif ; qu'ainsi, c'est à bon droit que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris s'est reconnu compétent pour statuer sur l'opposition formée par la société requérante à l'encontre de l'état exécutoire émis le 11 août 1981 par le directeur du fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre ;
Sur la compétence du fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre :
Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 9 juillet 1968 modifié le fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre "est notamment chargé d'exécuter sur le territoire français les interventions sur le marché du sucre qui comportent la mise en oeuvre de ressources communautaires" ; qu'il résulte de ces dispositions que le fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre, contrairement à ce que soutient la société requérante, était compétent pour engager une action en vue d'obtenir le remboursement de sommes versées indûment au titre des restitutions prévues pour les exportations hors communauté économique européenne ;
Sur la procédure :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions combinées des articles 164 et 201 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique que, lorsque les créances d'un établissement public à caractère industriel et commercial doté d'un agent comptable n'ont pu être recouvrées à l'amiable, les poursuites peuvent être conduites selon la procédure de l'état exécutoire ; qu'aux termes du décret du 9 juillet 1968 susmentionné, le fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre est un établissement public à caractère industriel et commercial doté d'un agent comptable ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'impossibilité, par le fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre, de recourir à la procédure de l'état exécutoire doit être écarté ;
Considérant, en second lieu, qu'aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'imposait au fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre d'observer une procédure contradictoire avant d'établir ledit état exécutoire ; que, dès lors, le moyen tiré de l'absence de procédure contradictoire ne saurait être retenu ;
Au fond :
Sur la prescription qui, en tout état de cause, atteindrait la créance litigieuse :
Considérant que l'article 189 bis du code du commerce, dans sa rédaction applicable à la date de l'état exécutoire contesté, dispose que "les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes" ; que, toutefois, la créance litigieuse représente des sommes que le fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre a versées à la société Sucre-Union à titre de restitutions pour des exportations de sucre destinées à des pays tiers et qu'il entend recouvrer en vertu de la répétition de l'indû ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient ladite société, les sommes en litige ne résultent pas d'une obligation qui serait née entre elle et le fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre à l'occasion de leur commerce ; qu'il suit de là que la prescription décennale ne saurait atteindre la créance du fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre, laquelle n'est pas soumise davantage à une autre prescription spéciale ; que, dans ces conditions, ladite créance est soumise à la prescription trentenaire de droit commun de l'article 2262 du code civil et que, à la date où l'état exécutoire a été émis, cette créance n'était, en tout état de cause, pas prescrite ;
Sur le bien-fondé de l'état exécutoire :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que certaines exportations de sucre pratiquées par la société Sucre-Union pour la campagne 1970-1971, apparemment destinées à la Suisse, pays tiers par rapport à la communauté économique européenne, ont été en fait acheminées vers l'Italie ; qu'il n'y avait pas lieu dans ces conditions, pour le fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre, de verser à la société Sucre-Union les restitutions prévues, en vertu du règlement communautaire n° 1041-67 du 21 décembre 1967, dont les termes sont clairs, pour les exportations hors communauté économique européenne ; que la société Sucre-Union ne saurait sérieusement soutenir qu'elle n'avait pas eu connaissance de la véritable destination des marchandises exportées ; qu'en outre, le seul fait que les marchandises ont été retrouvées dans un pays appartenant à la communauté économique européenne interdisait à la société requérante de bénéficier desdites institutions ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de saisir d'une question préjudicielle la Cour de justice des communautés européennes, la société Sucre-Union n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté son opposition à l'état exécutoire émis à son encontre le 11 août 1981 par le directeur du fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre ;
Article 1er : La requête de la société Sucre-Union est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Sucre-Union, au fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre et au ministre de l'agriculture et de la forêt.