Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 15 mars 1988 et 5 mai 1988 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la VILLE DE SAINT-TROPEZ (83900), représentée par son maire en exercice ; la VILLE DE SAINT-TROPEZ demande au Conseil d'Etat :
1° d'annuler le jugement en date du 24 décembre 1987 par lequel le tribunal administratif de Nice l'a condamnée à verser à M. Fernand A... une indemnité de un million de francs en réparation du préjudice subi par lui du fait de la non-réalisation par la VILLE DE SAINT-TROPEZ du projet qu'elle l'avait chargé d'établir pour les terres-pleins du nouveau port ;
2° de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nice ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil, et notamment son article 1154 ;
Vu le décret n° 73-207 du 28 février 1973 relatif aux conditions de rémunération des missions d'ingénierie et d'architecture remplies pour le compte des collectivités publiques par des prestataires de droit privé ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Seban, Auditeur,
- les observations de la SCP Defrénois, Lévis, avocat de la VILLE DE SAINT-TROPEZ et de la S.C.P. Ancel, Couturier-Heller, avocat des consorts A...,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. A..., architecte, a établi à la demande du maire un avant-projet d'aménagement des terre-pleins du nouveau port de Saint-Tropez ; que, par délibération en date du 19 mai 1982, le conseil municipal a renoncé à ce projet ; que M. A... n'ayant pu obtenir de la VILLE DE SAINT-TROPEZ le règlement des honoraires qu'il estimait lui être dus, a demandé le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi ;
Considérant que si la VILLE DE SAINT-TROPEZ soutient que M. A... avait accepté de travailler à titre gracieux en considération des relations amicales qu'il entretenait avec le maire, il résulte de l'instruction que M. A..., qui a demandé à la ville le paiement de ses honoraires par lettre reçue le 6 octobre 1982, n'avait pas entendu effectuer bénévolement des travaux de l'importance de ceux dont s'agit ; que, si aucun contrat n'a été régulièrement passé entre la VILLE DE SAINT-TROPEZ et M. A..., il résulte de l'instruction, notamment de la délibération du conseil municipal du 26 février 1978, que la ville a donné son accord de principe à l'avant-projet présenté, lequel avait été établi en tenant compte des instructions données par le maire à l'architecte ; que, par la suite, la ville a demandé des modifications du projet, qui ont été apportées par M. A... ; que la ville a ensuite renoncé, en 1982, à réaliser ls ouvrages prévus sur la base du projet dressé par M. A... sans régulariser ses rapports avec celui-ci et sans lui verser d'honoraires ; que la VILLE DE SAINT-TROPEZ a ainsi commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard de M. A... ;
Considérant toutefois que M. A... a commis une imprudence en établissant un avant-projet sur la base d'engagements dont il ne pouvait ignorer la précarité ; que les premiers juges ont procédé à une juste appréciation des circonstances de l'espèce en mettant à la charge de la ville les deux tiers du préjudice indemnisable ;
Considérant que M. A... peut prétendre non seulement au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la ville, mais également à la réparation de l'ensemble du dommage imputable à la faute de celle-ci, dans la limite des honoraires auxquels il aurait eu droit en application de la réglementation régissant la rémunération des dépenses d'ingéniérie et d'architecture ; qu'il résulte de l'instruction que les divers chefs de préjudice dont justifie M. A... s'élèvent à la somme de 3 505 199,95 F ; qu'il y a lieu, compte tenu du partage de responsabilité retenu, de fixer à la somme de 2 336 800 F l'indemnité qui est due aux ayants-droits de Mme A... ;
Sur les intérêts :
Considérant que les consorts A... ont droit aux intérêts de la somme de 2 336 800 F à compter du 6 octobre 1982, jour de la réception par la VILLE DE SAINT-TROPEZ de leur demande ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que les consorts A... ont demandé le 21 janvier 1991 la capitalisation des intérêts afférents à l'indemnité qui leur est due ; qu'à cette date, au cas où le jugement attaqué n'aurait pas encore été exécuté, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Article 1er : La somme de 1 000 000 F que la VILLE DE SAINT-TROPEZ a été condamnée à verser aux consorts A... par jugement du tribunal administratif de Nice en date du 24 décembre 1987 est portée à 2 336 800 F. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 6 octobre 1982. Les intérêts échus le 21 janvier 1991 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêt.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 24 décembre 1987 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : La requête de la VILLE DE SAINT-TROPEZ et le surplusdes conclusions du recours incident des consorts A... sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la VILLE DE SAINT-TROPEZ, à Mme Y... veuve A..., à Mme Marguerite A... épouse Z..., à Mme Anne-Marie A... épouse B..., à Mme Claude A... épouse Z..., à M. François A..., à Mlle Catherine A..., à Mlle Eugénie X... et au ministre de l'équipement, du logement et des transports.