Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 6 janvier 1987 et 5 mai 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la commune de Saint-Victoret (Bouches-du-Rhône), représentée par son maire en exercice ; la commune demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 6 novembre 1986 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de la commune de Saint-Victoret tendant à ce que la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille et l'Etat soient déclarés responsables du préjudice que lui cause le fonctionnement de l'aéroport de Marseille-Marignane et condamnés à lui verser une indemnité de 20 500 000 F avec les intérêts en réparation dudit préjudice ;
2°) fasse droit à ces conclusions ;
3°) lui accorde la capitalisation des intérêts à la date du 6 janvier 1987 ;
4°) mette les frais d'expertise à la charge de la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille et de l'Etat ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le décret n° 77-1066 du 22 septembre 1977 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Faure, Maître des requêtes,
- les observations de la S.C.P. Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Saint-Victoret et de la S.C.P. Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille,
- les conclusions de M. Le Chatelier, Commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions de la commune de Saint-Victoret tendant à la condamnation de la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille et de l'Etat :
Considérant que si la commune de Saint-Victoret invoque la nécessité dans laquelle se trouvent ses habitants de protéger leurs logements contre le bruit et demande qu'une indemnité lui soit accordée afin de lui permettre de faire procéder, elle-même, à ces travaux d'isolation, elle ne saurait se substituer aux habitants de la commune pour obtenir la réparation des dommages subis par ceux-ci individuellement ;
Considérant que si la commune fait valoir qu'à la suite de la directive d'aménagement national relative à la construction dans les zones de bruit des aérodromes, approuvée par décret du 22 septembre 1977, une partie de son territoire a été classée en zone inconstructible et qu'il en serait résulté une diminution importante de ses recettes fiscales, elle ne justifie pas de l'existence du préjudice allégué ; qu'ainsi, en tout état de cause, les prétentions de la commune sur ce point doivent être rejetées ;
Considérant que les allégations de la commune selon lesquelles, en raison du nombre important des maladies nerveuses et des troubles auditifs causés par le bruit des avions, elle aurait dû renforcer l'infrastructure médico-sociale et supporter ainsi une chage financière importante, ne sont assorties d'aucune justification ;
Considérant, en revanche, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que, eu égard à l'intensité et à la fréquence des bruits causés par le trafic aérien au-dessus de la commune de Saint-Victoret, les occupants et les usagers de ses bâtiments publics, situés dans l'axe de la piste principale rallongée en 1979, subissent des inconvénients qui excèdent ceux que peuvent être appelés à subir les habitants des communes situés à proximité d'un aéroport ; qu'ainsi, la commune est fondée à demander réparation du préjudice anormal et spécial qu'elle subit du fait des dépenses qu'elle doit supporter pour réaliser l'insonorisation de ces bâtiments ; que si la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille fait valoir que la plupart desdits bâtiments ont été construits alors que l'aéroport fonctionnait déjà, cette circonstance n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité dès lors que tous les bâtiments dont il s'agit ont été construits avant 1979 date à laquelle l'aménagement de la piste susmentionnée a entraîné un accroissement important des nuisances sonores ; que, dans ces conditions, la commune est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à ce que la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille, seule responsable à l'égard des tiers, en sa qualité de concessionnaire, soit condamnée à lui verser une indemnité de 4,5 millions de francs correspondant au montant non contesté des dépenses nécessaires à l'insonorisation des bâtiments publics communaux ;
Sur les intérêts :
Considérant que la commune a droit aux intérêts de la somme de 4,5 millions de francs à compter du 31 décembre 1980, date de sa demande d'indemnité à la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 12 septembre 1986, 6 janvier 1987, 13 juin 1991 et 17 juin 1992 ; qu'à la première, la troisième et la quatrième de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêt ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande en tant qu'elle porte sur les dates du 12 septembre 1986, du 13 juin 1991 et du 17 juin 1992 et de la rejeter pour le surplus ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Victoret est fondée à demander que les frais de l'expertise ordonnée par les premiers juges soient mis à la charge de la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille ;
Sur l'appel en garantie de l'Etat par la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille :
Considérant qu'aux termes de l'article 10 du cahier des charges de la concession de l'exploitation de l'aéroport de Marseille-Marignane : "La chambre de commerce a à sa charge ... toutes les indemnités qui pourraient être dues à des tiers par suite de l'exécution de l'entretien et du fonctionnement des ouvrages concédés, à l'exception de celles qui pourraient être réclamées du fait de l'existence même de l'aéroport" ; que le préjudice résultant pour la commune de Saint-Victoret de la nécessité de réaliser l'insonorisation de ses bâtiments publics en raison des bruits causés par le trafic aérien de l'aéroport de Marseille-Marignane trouve directement son origine dans le fonctionnement de cet ouvrage et non, comme le soutient la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille, concessionnaire dudit ouvrage, dans son existence ; que, par suite, la chambre de commerce et d'industrie de Marseille n'est pas fondée à demander qu'en application des stipulations précitées de l'article 10 du cahier des charges, l'Etat soit condamné à la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;
Article 1er : La Chambre de commerce et d'industrie de Marseille est condamnée à verser à la commune de Saint-Victoret la somme de 4,5 millions de francs avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 1980. Les intérêts échus les 12 septembre 1986, 13 juin 1991 et 17 juin 1992 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Les frais d'expertise d'un montant de 226 960,29 F sont mis à la charge de la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 6 novembre 1986 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de Saint-Victoret contre la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille et ses conclusions dirigées contre l'Etat sont rejetés.
Article 5 : Les conclusions de la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille tendant à ce que l'Etat la garantisse des condamnations prononcées à son encontre sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Victoret, à la Chambre de commerce et d'industrie de Marseille et au ministre de l'équipement, du logement et des transports.