Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 28 février 1989 et 28 juin 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMPAGNIE FINANCIERE ET INDUSTRIELLE DES AUTOROUTES (COFIROUTE), dont le siège est ..., représentée par ses représentants légaux en exercice ; la COMPAGNIE FINANCIERE ET INDUSTRIELLE DES AUTOROUTES (COFIROUTE) demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 88-1208 du 30 décembre 1988 relatif aux péages autouroutiers ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ;
Vu l'article L.122-4 du code de la voirie routière ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Lévis, Maître des requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, avocat de la COMPAGNIE FINANCIERE ET INDUSTRIELLE DES AUTOROUTES (COFIROUTE),
- les conclusions de M. Legal, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes du 1er et du 2ème alinéa de l'article 1er de l'ordonnance susvisée du 1er décembre 1986 : "L'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 est abrogée. Les prix des biens, produits et services relevant antérieurement de ladite ordonnance sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison, soit de situation de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut règlementer les prix après consultation du conseil de la concurrence" ; qu'aux termes de l'article L.122-4 du code de la voirie routière, la convention de concession d'exploitation d'une autoroute et son cahier des charges "peuvent autoriser le concessionnaire à percevoir des péages en vue d'assurer le remboursement des avances et des dépenses de toute nature faites par l'Etat et les collectivités ou établissements publics, l'exploitation et, éventuellement, l'entretien et l'extension de l'autoroute, la rémunération et l'amortissement des capitaux investis par la concessionnaire" ;
Considérant que le décret attaqué, pris sur le fondement du 2ème alinéa précité de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dispose, par son article 1er que "le ministre chargé de l'économie fixe, chaque année, après consultation du ministre chargé de l'équipement, le montant des péages prévus par les cahiers des charges des concessions, sur proposition de chaque société concessionnaire" ; que son article 2 prévoit que "le montant des péages d'autoroute varie en moyenne et pour chaque société en fonction de l'évolution de la structure du réseau, des charges financières, des coûts de travaux et d'entretien, des salaires, des charges fiscales et du trafic" ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant que la requête sommaire et le mémoire complémentaire présentés par la société requérante ne contenaient que des moyens relatifs à la légalité interne du décret attaqué ; que si, dans son mémoire en réplique, enregistré le 23 octobre 1991, la COMPAGNIE FINANCIERE ET INDUSTRIELLE DES AUTOROUTES (COFIROUTE) a soulevé le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait intervenu sur une procédure irrégulière, ce moyen, relatif à la légalité externe du décret attaqué et énoncé dans un mémoire enregistré après l'expiration du délai de recours contentieux, alors même que les circonstances sur lesquelles s'appuie ce moyen n'ont été révélées à la société requérante que par un mémoire en défense produit par l'administration postérieurement à l'expiration du délai de recours, est irrecevable ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
Sur la légalité de l'article 1er :
Considérant, d'une part, qu'eu égard aux critères qui président au choix de leur tracé, il ne saurait y avoir, comme le prétend la société requérante, concurrence entre les différentes autoroutes ;
Considérant, d'autre part, qu'en raison de ses modalités d'utilisation spécifiques et des règles de circulation qui lui sont propres, l'autoroute ne peut être regardée comme un équipement de même nature que la route, ni comme offrant des services comparables ; que, dès lors, le prix du service rendu par l'autoroute n'est pas principalement fonction du choix qu'aurait l'usager entre l'autoroute et la route ; qu'il en va de même, a fortiori, pour ce qui concerne les transports par autoroutes et d'autres moyens de transport ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le secteur autoroutier constituait, dans la situation prévalant à la date du décret attaqué, un secteur où "la concurrence par les prix était limitée", au sens du 2ème alinéa précité de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant que ledit alinéa ne subordonne la faculté, pour le gouvernement, de réglementer les prix dans un secteur qu'à l'unique condition que la concurrence par les prix dans ce secteur soit limitée en raison, soit de situation de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires ; que, lorsque cette condition est remplie, le gouvernement peut faire usage de sa faculté de réglementation ; qu'ainsi qu'il a été dit, le secteur autoroutier constituait, à la date d'intervention du décret attaqué, un secteur où la concurrence par les prix était limitée, au sens des dispositions précitées ; qu'il s'ensuit que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la règle posée par l'article 1er du décret attaqué n'aurait pu être légalement édictée que si le jeu des clauses tarifaires des contrats de concession n'avait pas donné des résultats satisfaisants au regard des impératifs de la concurrence ; que la société requérante ne peut davantage prétendre que l'Etat aurait été tenu, pour atteindre l'objectif auquel répond la règle susmentionnée, d'agir par la voie contractuelle ;
Considérant que la règle fixée à l'article 1er du décret attaqué, laquelle entre dans les prévisions des dispositions d'ordre public du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance précitée, si elle peut avoir pour effet de faire obstacle à l'application des clauses tarifaires des conventions de concession, ne modifie pas, par elle-même, lesdites clauses ; que dès lors le moyen tiré de ce que les auteurs du décret attaqué se seraient substitués aux parties par une décision qui modifierait, par elle-même, les conventions de concession, ne saurait être accueilli ;
Sur la légalité de l'article 2 :
Considérant qu'en déterminant les critères à prendre en compte pour la variation des péages, le gouvernement ne s'est pas écarté des finalités en vue desquelles ont été édictées les dispositions du 2ème alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant que les dispositions de l'article 2 du décret attaqué ne font pas obstacle à ce que le montant des péages permette d'assurer la rémunération et l'amortissement des capitaux investis par un concessionnaire ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de la disposition précitée de l'article L.122-4 du code de la voirie routière doit être écarté ;
Considérant que les dispositions de l'article 2 du décret attaqué s'appliquent également à toutes les sociétés concessionnaires d'autoroutes ; qu'ainsi, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions introduiraient entre lesdites sociétés une discrimination constitutive d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques ;
Considérant que l'article 2 du décret attaqué ne porte pas, à la liberté du commerce et de l'industrie, une atteinte qui ne soit justifiée par les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance du principe de cette liberté ne saurait être accueilli ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMPAGNIE FINANCIERE ET INDUSTRIELLE DES AUTOROUTES (COFIROUTE) n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué est entaché d'excès de pouvoir ;
Article 1er : La requête de la COMPAGNIE FINANCIERE ET INDUSTRIELLE DES AUTOROUTES (COFIROUTE) est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la COMPAGNIE FINANCIERE ET INDUSTRIELLE DES AUTOROUTES (COFIROUTE), au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.