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10/03/1993 | FRANCE | N°87255;87256

France | France, Conseil d'État, 4 / 1 ssr, 10 mars 1993, 87255 et 87256


Vu 1°) sous le n° 87 255, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 11 mai 1987 et 11 septembre 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le PREFET DE POLICE DE PARIS ; il demande au Conseil d'Etat :
- d'annuler un jugement en date du 19 mars 1986, par lequel le tribunal administratif de Paris a déclaré l'Etat responsable d'un sixième des conséquences dommageables pour M. Marc de X... de l'accident survenu le 3 mai 1984 à Paris, avenue de la Grande Armée, et ordonné une expertise avant de statuer sur la demande d'indemnité

;
- de mettre l'Etat hors de cause ;
- de rejeter la demande prés...

Vu 1°) sous le n° 87 255, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 11 mai 1987 et 11 septembre 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le PREFET DE POLICE DE PARIS ; il demande au Conseil d'Etat :
- d'annuler un jugement en date du 19 mars 1986, par lequel le tribunal administratif de Paris a déclaré l'Etat responsable d'un sixième des conséquences dommageables pour M. Marc de X... de l'accident survenu le 3 mai 1984 à Paris, avenue de la Grande Armée, et ordonné une expertise avant de statuer sur la demande d'indemnité ;
- de mettre l'Etat hors de cause ;
- de rejeter la demande présentée par M. de X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu, 2°) sous le n° 87 256 la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat les 11 mai 1987 et 11 septembre 1987, présentés pour le PREFET DE POLICE DE PARIS, en sa qualité de représentant de l'Etat ; il demande au Conseil d'Etat d'annuler un jugement en date du 3 mars 1987 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine la somme de 600 279,98 F et à M. Marc de X... la somme de 150 000 F portant intérêt à compter du 3 mars 1987 et a mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des communes ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Roger-Lacan, Auditeur,
- les observations de la S.C.P. Lemaitre, Monod, avocat du PREFET DE POLICE DE PARIS et de la SCP Mattei-Dawance, avocat de M. Marc de X...,
- les conclusions de M. Kessler, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes présentées par le PREFET DE POLICE DE PARIS sous les numéros 87 255 et 87 256 sont relatives aux conséquences du même accident ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les conclusions du PREFET DE POLICE DE PARIS reprises par le ministre de l'intérieur, dirigées contre les jugements du 19 mars 1986 et du 3 mars 1987 :
Considérant que M. Marc de X... a été victime le 3 mai 1984 d'un accident de la circulation à Paris ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 131-3 du code des communes : "Le maire a la police de la circulation sur les routes nationales, les chemins départementaux et les voies de communication à l'intérieur des agglomérations (...)" ; qu'aux termes de l'article L. 184-13 du même code, applicable à la ville de Paris : "Les pouvoirs conférés au maire par l'article L. 131-3 et L. 131-4 sont exercés par le Préfet de police" ; que ces dispositions, qui confèrent au PREFET DE POLICE DE PARIS des compétences de police municipale comprenant notamment la réglementation de la circulation, n'ont pas pour effet de substituer la responsabilité de l'Etat à celle de la ville de Paris dans le cas où celle-ci se trouve engagée du fait des dommages causés par l'exercice desdites compétences ; qu'il suit de là que c'est à tort que, par les jugements attaqués des 19 mars 1986 et 3 mars 1987, le tribunal administratif de Paris a imputé à l'Etat la responsabilité d'une part des dommages subis par M. Marc de X... à la suite de l'accident dont il a été victime, l'a condamné à verser des indemnités à celui-ci ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine et a mis à sa charge les frais d'expertise ; que, par suite, si le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation du jugement susvisé du 19 mars 1986 en tant qu'il déclare l'Etat responsable et du jugement susvisé du 3 mars 1987, les conclusions des appels incidents des ayants droit de M. Marc de X... et de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine dirigées contre l'Etat doivent être rejetées ;
Sur les conclusions des appels provoqués des ayants droit de M. Marc de X... et de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine dirigées contre la ville de Paris :
Sur la recevabilité des conclusions des ayants-droit de M. Marc de X... :

Considérant que, par la voie de l'appel provoqué, les ayants droit de M. Marc de X... et la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine demandent que la ville de Paris soit condamnée à réparer les conséquences dommageables de l'accident dont a été victime M. Marc de X... ;
Considérant que si M. Marc de X... a indiqué, au cours de l'instruction de sa demande de première instance, que dans le cas où la responsabilité engagée par le défaut de signalisation auquel il attribuait l'accident dont il a été victime serait celle de l'Etat, et non celle de la ville de Paris, il entendait diriger contre l'Etat ses conclusions indemnitaires, il ne peut de ce seul fait être réputé s'être désisté de ses conclusions dirigées contre la ville ; qu'ainsi les premiers juges n'ont pas commis d'erreur en ne donnant pas acte à M. Marc de X... d'un tel désistement ; qu'il suit de là que les conclusions dirigées contre la ville de Paris sont recevables en appel ;
Sur les conclusions d'appel provoqué de MM. Y... et Laurent de X... tendant à l'indemnisation de la douleur morale résultant pour eux du décès de M. Marc de X... :
Considérant que les conclusions d'appel provoqué ne sont recevables que lorsqu'elles émanent de parties au litige dont l'appel principal, quoique dirigé contre une tierce partie, est susceptible d'affecter la situation, telle qu'elle résulte du jugement dont il est fait appel ; que l'indemnisation de la douleur morale résultant pour MM. Y... et Laurent de X... du décès de M. Marc de X..., n'ayant pas été demandée devant les premiers juges, était, par suite, insusceptible d'être affectée par l'appel introduit par l'Etat contre les jugements du tribunal administratif de Paris des 19 mars 1986 et 3 mars 1987 ; que, par suite, les conclusions tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice ne peuvent être présentées par la voie de l'appel provoqué ;
Sur les responsabilités :

Considérant que le véhicule automobile qui a heurté M. Marc de X... alors qu'il circulait dans Paris en motocyclette arrivait d'une rue située à la droite de la victime et tentait de tourner à gauche en traversant l'avenue sur laquelle circulait M. Marc de X... ; qu'il résulte de l'instruction qu'une telle manoeuvre présentait un danger manifeste pour les usagers de la voie publique, du fait de la largeur de ladite avenue, de l'intensité habituelle de la circulation automobile sur celle-ci et de l'absence de feux tricolores à la hauteur du croisement des voies concernées, alors que les véhicules arrivant de la rue précitée étaient autorisés à traverser l'avenue en cause pour tourner à gauche sur cette dernière ; que, dans ces conditions, la ville de Paris n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'entretien normal de la voie publique ; que, par suite, sa responsabilité se trouvait engagée dans la survenance de l'accident litigieux ;
Considérant, toutefois, qu'il n'est pas contesté que M. Marc de X... circulait sur la partie gauche de la chaussée ; que si sa vitesse ne semble pas avoir été excessive avant l'accident, il aurait dû la réduire davantage à l'approche du carrefour dangereux ; que faute de l'avoir fait, il n'a pas fait preuve d'une maîtrise suffisante de son véhicule ; qu'en dépit de la difficulté dans laquelle il se trouvait de voir arriver le véhicule qui l'a heurté et que masquaient plusieurs files de véhicules, les fautes par lesquelles il a ainsi concouru à la réalisation de l'accident justifient qu'une part de responsabilité soit laissée à sa charge ; qu'il en sera fait une exacte appréciation en la fixant aux deux tiers ;
Sur l'indemnisation :

Considérant que M. Marc de X... est décédé le 31 août 1991 ; que le préjudice ayant cessé à cette date, doit être évalué au 31 août 1991 ;
Considérant que les frais médicaux, de transport et d'hospitalisation correspondant aux sommes versées par la caisse primaire d'assurance maladie, s'élèvent à 1 363 483,81 F ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise médicale réalisée à la demande des premiers juges, que M. Marc de X..., qui était âgé de dix-huit ans à l'époque des faits, a souffert d'une incapacité temporaire totale du 3 mars 1984 au 11 décembre 1985 ; que le déficit fonctionnel qu'il présentait à l'issue de cette période correspondait à un taux d'incapacité permanente de 95 % ; que son état exigeait l'assistance permanente d'une tierce personne et avait nécessité l'adaptation de son logement à ses conditions d'existence ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces troubles physiologiques et de leurs conséquences en évaluant à 1 360 000 F le préjudice correspondant ; qu'il résulte en outre de l'expertise que les souffrances physiques subies par M. Marc de X... peuvent être qualifiées de très importantes et son préjudice esthétique d'important ; que l'invalidité dont il restait atteint a comporté jusqu'au 31 août 1991, des conséquences graves sur sa vie personnelle et sur les activités professionnelles dont il a été privé ; qu'il sera fait une juste appréciation de la part personnelle du préjudice subi par M. Marc de X... en l'évaluant à 1 200 000 F ;
Considérant que le montant de l'ensemble des conséquences dommageables de l'accident dont a été victime M. Marc de X... s'élève à la somme de 3 923 483,81 F ; que compte tenu du partage de responsabilité, il y a lieu de mettre à la charge de la ville de Paris le versement d'une somme de 1 267 827,90 F en réparation des conséquences dommageables de cet accident ;

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine justifie de débours d'un montant de 1 363 483,81 F ; que la fraction de l'indemnité sur laquelle est susceptible de s'imputer la créance de la caisse se monte à 867 827,90 F ; que cette somme étant inférieure à la créance de la caisse, il y a lieu de l'attribuer entièrement à celle-ci ;
Considérant que les ayants droit de M. Marc de X... ont droit à l'indemnité correspondant à la part personnelle du préjudice subi par celui-ci, soit 400 000 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que les ayants droit de M. Marc de X... ont droit aux intérêts au taux légal sur les sommes ci-dessus mentionnées à compter de la date de réception par la ville de Paris de la demande d'indemnisation du 28 novembre 1984, que lui a adressée M. Marc de X... ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 30 décembre 1987, 19 juin 1991 et 24 juin 1992 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins un an d'intérêts ; que dès lors, conformément à l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à chacune de ces demandes ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise à la charge de la ville de Paris ;
Article 1er : L'article 1er du jugement susvisé du tribunal administratif de Paris du 19 mars 1986 et le jugement susvisé du même tribunal du 3 mars 1987 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions des appels incidents susvisés des ayants droit de M. Marc de X... et de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine dirigées contre l'Etat sont rejetées.
Article 3 : La ville de Paris est condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine la somme de 867 827,93 F et aux ayants droit de M. Marc de X... la somme de 400 000 F.
Article 4 : La somme de 400 000 F due aux ayants droit de M. Marc de X... portera intérêt à compter de la date de réception parla ville de Paris de la demande d'indemnisation du 28 novembre 1984, que lui a adressée M. Marc de X.... Les intérêts échus seront capitalisés les 30 décembre 1987, 19 juin 1991 et 24 juin 1992 pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Le surplus des conclusions des appels provoqués susvisés des ayants-droit de M. Marc de X... et de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine est rejeté.
Article 6 : Les frais d'expertise, d'un montant de 2 076,50 F, sont mis à la charge de la ville de Paris.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et de la sécurité publique, au PREFET DE POLICE DE PARIS, à M. Maurice de X..., à M. Laurent de X..., à la caisse primaire d'assurance maladie et à la ville de Paris.


Synthèse
Formation : 4 / 1 ssr
Numéro d'arrêt : 87255;87256
Date de la décision : 10/03/1993
Sens de l'arrêt : Annulation indemnité
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

- RJ1 PROCEDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - POUVOIRS DU JUGE DE PLEIN CONTENTIEUX - Octroi à la victime des intérêts moratoires sur la somme versée en exécution d'une décision modifiant en appel la décision sur l'imputabilité - Existence.

54-07-03, 60-04-04-04 Jugement ayant condamné l'Etat à réparer le préjudice subi par l'usager d'une voie publique. Appel ayant eu pour effet de mettre hors de cause l'Etat et de retenir la responsabilité de la ville de Paris. Droit de la victime aux intérêts moratoires sur la somme versée par la ville. Existence (1).

- RJ2 PROCEDURE - VOIES DE RECOURS - APPEL - CONCLUSIONS RECEVABLES EN APPEL - APPEL PROVOQUE - Irrecevabilité - Conclusions des ayants-droit de l'auteur d'une demande en tant qu'elles tendent à l'indemnisation - non demandée devant les premiers juges - de la douleur morale causée par le décès de celui-ci (2).

54-08-01-02-04 Les conclusions d'appel provoqué ne sont recevables que lorsqu'elles émanent de parties au litige dont l'appel principal, quoique dirigé contre une tierce partie, est susceptible d'affecter la situation, telle qu'elle résulte du jugement dont il est fait appel. L'indemnisation de la douleur morale résultant pour des ayants-droits du décès de l'auteur de la demande n'ayant pas été demandée devant les premiers juges, était, par suite, insusceptible d'être affectée par l'appel introduit par l'Etat contre les jugements de première instance. Par suite, des conclusions tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice ne peuvent être présentées par la voie de l'appel provoqué.

- RJ1 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - MODALITES DE LA REPARATION - INTERETS - Droit aux intérêts moratoires - Existence - Droit de la victime aux intérêts moratoires d'une somme versée en exécution d'une décision modifiant en appel la collectivité publique responsable à son égard (1).


Références :

Code civil 1154
Code des communes L131-3, L184-13

1.

Rappr. Section 1984-05-04, Maternité régionale A. Pinard, p. 165. 2.

Rappr. 1964-11-13, Département des Deux-Sèvres, T. p. 983


Publications
Proposition de citation : CE, 10 mar. 1993, n° 87255;87256
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Bauchet
Rapporteur ?: M. Roger-Lacan
Rapporteur public ?: M. Kessler

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1993:87255.19930310
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