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02/07/1993 | FRANCE | N°124960

France | France, Conseil d'État, Assemblee, 02 juillet 1993, 124960


Vu la requête, enregistrée le 11 avril 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Alain X..., demeurant ... ; M. X... demande que le Conseil d'Etat annule la décision en date du 23 janvier 1991 par laquelle la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 14 juin 1988 par laquelle le conseil régional de l'ordre des médecins de Picardie lui a infligé la sanction du blâme ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi 76-1181

du 22 décembre 1976 et le décret 78-501 du 31 mars 1978 ;
Vu le décret n...

Vu la requête, enregistrée le 11 avril 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Alain X..., demeurant ... ; M. X... demande que le Conseil d'Etat annule la décision en date du 23 janvier 1991 par laquelle la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 14 juin 1988 par laquelle le conseil régional de l'ordre des médecins de Picardie lui a infligé la sanction du blâme ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi 76-1181 du 22 décembre 1976 et le décret 78-501 du 31 mars 1978 ;
Vu le décret n° 63-706 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Roger-Lacan, Auditeur,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. Alain X... et de la SCP Vier, Barthélémy, avocat du Conseil National de l'Ordre des Médecins,
- les conclusions de M. Kessler, Commissaire du gouvernement ;

Sur le moyen tiré de ce que la décision attaquée a été rendue en audience non publique :
Considérant, d'une part, que M. X... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance par la section disciplinaire des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que, par la décision attaquée, la section n'a pas statué en matière pénale ni tranché de contestation sur des droits et obligations de caractère civil ; que, d'autre part, aucun principe général du droit n'impose la publicité des débats dans le cas où une juridiction statue en matière disciplinaire ; qu'ainsi, M. X... n'est pas fondé à soutenir que la décision de la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins, prise après que les débats ont eu lieu, conformément à l'article 26 du décret du 26 octobre 1948 dans sa rédaction alors en vigueur, en audience non publique, serait intervenue dans des conditions irrégulières ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
Considérant que, pour confirmer le blâme infligé au Dr X... par le conseil régional de l'ordre des médecins de Picardie, la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a estimé que l'expérimentation effectuée par le requérant constituait une violation des articles 2, 7 et 19 du décret susvisé du 28 juin 1979 portant code de déontologie médicale ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 dudit code "le médecin au service de l'individu et de la santé publique exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine" ; qu'aux termes de l'article 7 du même texte "la volonté du malade doit toujors être respectée dans toute la mesure du possible. Lorsque le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, ses proches doivent, sauf urgence ou impossibilité être prévenus et informés" ; qu'enfin aux termes de l'article 19 "l'emploi sur un malade d'une thérapeutique nouvelle ne peut être envisagé qu'après les études biologiques adéquates sous une surveillance stricte et seulement si cette thérapeutique peut présenter pour la personne un intérêt direct" ; que les juges du fond ont estimé ces dispositions applicables au cas de M. X..., qui avait pratiqué une expérimentation sur un sujet maintenu en survie somatique, bien que ledit sujet fût en état de mort cérébrale ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'état du patient dont il s'agit avait fait l'objet d'un ensemble d'examens pratiqués par des médecins autres que le docteur X..., qui avaient procédé à deux artériographies les 1er et 2 février 1988 et à deux électroencéphalogrammes les 31 janvier et 4 février 1988 ; que ces procédés, reconnus valables par le ministre chargé de la santé en application de l'article 21 du décret du 31 mars 1978 susvisé, constituent des modes de preuve dont les résultats concordants permettaient de conclure à la mort de l'intéressé ; que, par suite, en estimant que M. X... avait méconnu les dispositions précitées des articles 2, 7 et 19 du code de déontologie, qui ne peuvent s'appliquer qu'à des personnes vivantes, la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a entaché sa décision d'erreur de droit ;
Mais considérant que les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui s'imposent au médecin dans ses rapports avec son patient ne cessent pas de s'appliquer avec la mort de celui-ci ; qu'en particulier, ces principes font obstacle à ce que, en dehors des prélèvements d'organes opérés dans le cadre de la loi du 22 décembre 1976, et régis par celle-ci, il soit procédé à une expérimentation sur un sujet après sa mort, alors que, d'une part, la mort n'a pas été constatée dans des conditions analogues à celles qui sont définies par les articles 20 à 22 du décret du 31 mars 1978 ; que, d'autre part, ladite expérimentation ne répond pas à une nécessité scientifique reconnue, et qu'enfin, l'intéressé n'a pas donné son consentement de son vivant ou que l'accord de ses proches, s'il en existe, n'a pas été obtenu ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis à la section disciplinaire que M. X... a procédé à des expérimentations, comme l'ont relevé les juges du fond, sans que toutes ces conditions aient été remplies ; que les faits ainsi retenus à l'encontre de M. X... constituaient un manquement aux principes ci-dessus rappelés et étaient de nature à justifier légalement l'application d'une sanction disciplinaire ; que le requérant n'est, dès lors, pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ;
Article 1er : La requête de M. X... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X..., au conseil national de l'Ordre des médecins et au ministre d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville.


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - LIBERTES PUBLIQUES - DROITS DE LA PERSONNE - Droits de la personne après la mort - Application des principes fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine - Cas des expérimentations pratiquées par un médecin sur un mort - Conditions.

26-03-11, 55-03-01-02, 61-05-02 Les principes fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui ne cessent pas de s'appliquer avec la mort du patient, ne permettent de pratiquer une expérimentation sur une personne après sa mort, hors le cas des prélèvements d'organes régis par la loi du 22 décembre 1976, que si trois conditions sont réunies : constatation de la mort dans des conditions analogues à celles définies par les articles 20 à 22 du décret du 31 mars 1978, nécessité scientifique reconnue, consentement de la personne exprimé de son vivant ou à défaut accord de ses proches, s'il en existe.

PROCEDURE - VOIES DE RECOURS - CASSATION - CONTROLE DU JUGE DE CASSATION - REGULARITE INTERNE - ERREUR DE DROIT - EXISTENCE - Discipline professionnelle - Sanction infligée à un médecin ayant pratiqué des expérimentations.

55-04-02-01-01 Médecin ayant pratiqué une expérimentation sur un sujet en état de mort cérébrale maintenu en survie somatique. La section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a commis une erreur de droit en infligeant une sanction fondée sur une violation des articles 2, 7 et 19 du code de déontologie médicale. Maintien de la sanction par le juge de cassation, les faits constituant une violation des principes fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui ne cessent pas de s'appliquer avec la mort du patient. Ces principes ne permettent de pratiquer une expérimentation sur une personne après sa mort, hors le cas des prélèvements d'organes régis par la loi du 22 décembre 1976, que si trois conditions sont réunies : constatation de la mort dans des conditions analogues à celles définies par les articles 20 à 22 du décret du 31 mars 1978, nécessité scientifique reconnue, consentement de la personne exprimé de son vivant ou à défaut accord de ses proches s'il en existe.

PROCEDURE - VOIES DE RECOURS - CASSATION - POUVOIRS DU JUGE DE CASSATION - REGLEMENT DE L'AFFAIRE AU FOND (ARTICLE 11 DE LA LOI DU 31 DECEMBRE 1987) - SUBSTITUTION DE MOTIFS OU DE BASE LEGALE EN CASSATION - Substitution de base légale - Erreur de droit commise par la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins - Confirmation de la sanction par le juge de cassation.

54-08-02-03-02-01, 55-05-01-03, 61-035 Médecin ayant pratiqué une expérimentation sur un sujet en état de mort cérébrale maintenu en survie somatique. La section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a commis une erreur de droit en infligeant une sanction fondée sur une violation des articles 2, 7 et 19 du code de déontologie médicale, applicables aux seules personnes vivantes et non aux morts. Maintien de la sanction par le juge de cassation, par une substitution de base légale, dans la mesure où les faits constituent un manquement aux principes fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, applicables même après la mort, et sont de nature à justifier légalement l'application d'une sanction disciplinaire.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - CONDITIONS D'EXERCICE DES PROFESSIONS - MEDECINS - REGLES DIVERSES S'IMPOSANT AUX MEDECINS DANS L'EXERCICE DE LEUR PROFESSION - Principes - Principes fondamentaux s'imposant vis-à-vis des morts.

61 En dehors des prélèvements d'organes opérés dans le cadre de la loi du 22 décembre 1976 et régis par celle-ci, les principes fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui ne cessent pas de s'appliquer avec la mort du patient, ne permettent de pratiquer une expérimentation sur une personne après sa mort que si trois conditions sont réunies : constatation de la mort dans des conditions analogues à celles définies par les articles 20 à 22 du décret du 31 mars 1978, nécessité scientifique reconnue, consentement de la personne exprimé de son vivant ou à défaut accord de ses proches, s'il en existe.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - DISCIPLINE PROFESSIONNELLE - SANCTIONS - FAITS DE NATURE A JUSTIFIER UNE SANCTION - MEDECINS - Expérimentations - Expérimentations pratiquées sur un sujet en état de mort cérébrale - Violation des principes fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine - qui ne cessent pas de s'appliquer avec la mort du patient - Conditions de la légalité desdites expérimentations.

54-08-02-02-01-01-01 Médecin ayant pratiqué une expérimentation sur un sujet en état de mort cérébrale maintenu en survie somatique. La section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a commis une erreur de droit en infligeant une sanction fondée sur une violation des articles 2, 7 et 19 du code de déontologie médicale, applicables aux seules personnes vivantes et non aux morts.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - REGLES DE PROCEDURE CONTENTIEUSE SPECIALES DEVANT LE CONSEIL D'ETAT - POUVOIRS DU JUGE - CONSEIL D'ETAT JUGE DE CASSATION - Erreur de droit commise par la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins - Confirmation de la sanction par le juge de cassation par substitution de base légale.

61 SANTE PUBLIQUE - Principes fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine - qui s'imposent aux médecins et ne cessent pas de s'appliquer avec la mort des patients.

SANTE PUBLIQUE - PROFESSIONS MEDICALES ET AUXILIAIRES MEDICAUX - Médecins - Discipline - Sanctions - Fait étant par lui-même de nature à justifier une sanction - Expérimentations pratiquées sur un sujet en état de mort cérébrale - Violation des principes fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine - qui ne cessent pas de s'appliquer avec la mort du patient.

SANTE PUBLIQUE - UTILISATION THERAPEUTIQUE DE PRODUITS D'ORIGINE HUMAINE - PRELEVEMENTS D'ORGANES - Expérimentations pratiquées sur une personne après sa mort en dehors du champ d'application de la loi du 22 décembre 1976 - Conditions.


Références :

Code de déontologie médicale 2, 7, 19
Convention européenne du 04 novembre 1950 sauvegarde des droits de l'homme art. 6-1
Décret 48-1671 du 26 octobre 1948 art. 26
Décret 78-501 du 31 mars 1978 art. 21, art. 20, art. 22
Décret 79-506 du 28 juin 1979 art. 2, art. 7, art. 19
Loi 76-1181 du 22 décembre 1976


Publications
Proposition de citation: CE, 02 jui. 1993, n° 124960
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Long
Rapporteur ?: M. Roger-Lacan
Rapporteur public ?: M. Kessler
Avocat(s) : SCP Piwnica, Molinié, SCP Vier, Barthélémy, Avocat

Origine de la décision
Formation : Assemblee
Date de la décision : 02/07/1993
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 124960
Numéro NOR : CETATEXT000007825407 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1993-07-02;124960 ?
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