Vu la requête, enregistrée le 30 octobre 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société CINE-CINEMA-CABLE, dont le siège social est ..., représentée par son président-directeur général domicilié en cette qualité audit siège ; la société CINE-CINEMA-CABLE demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le décret n° 92-882 du 1er septembre 1992 pris pour l'application des articles 33 et 34-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant le régime applicable aux différentes catégories de services de radiodiffusion sonore et de télévision distribués par câble ;
2°) décide qu'il sera sursis à l'exécution de ce décret ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
Vu la loi n° 90-1170 du 29 décembre 1990 sur la réglementation des télécommunications ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Marc Guillaume, Auditeur,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société CINE-CINEMA-CABLE,
- les conclusions de M. Toutée, Commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article 33 de la loi susvisée du 30 septembre 1986 : "Un décret en Conseil d'Etat pris après avis du conseil supérieur de l'audiovisuel fixe pour chaque catégorie de services de radiodiffusion sonore et de télévision distribués par câble : 1° La durée maximale des conventions prévues à l'article 34-1 ; 2° les règles générales de programmation ; 3° les conditions générales de production des oeuvres diffusées ; 4° les règles applicables à la publicité et au parrainage ; 5° le régime de diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles" ; qu'en application de ces dispositions, le conseil supérieur de l'audiovisuel a émis le 28 juin 1991 un avis relatif au projet de décret relatif à l'édition des services destinés à être distribués par câble ; que la circonstance qu'entre la date de cet avis et celle à laquelle est intervenu le décret attaqué la chaîne de télévision Arte qui émettait sur le réseau câblé ait été autorisée à émettre sur le réseau hertzien à la place de "La Cinq" qui avait cessé d'émettre n'était pas, eu égard à la nature des dispositions du décret attaqué, de nature à imposer qu'un nouvel avis soit demandé au conseil supérieur de l'audiovisuel ; que la décision de diffuser les chaînes du câble par le satellite "Telecom 2", intervenue postérieurement à la publication du décret attaqué est, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité dudit décret ; qu'il en va de même de la modification du régime fiscal applicable aux chaînes de télévision diffusées par câble et de la mise en oeuvre des nouvelles spécifications techniques dont la société ne précise pas à quelle date elles sont intervenues ;
Sur la légalité de l'article 2 du décret attaqué :
Considérant que les dispositions de l'article 33 précité de la loi du 30 septembre 1986 aux termes desquelles le décret fixe "la durée maximale des conventions prévues à l'article 34-1", ne faisaient pas obstacle à ce que celui-ci prévoie la possibilité de renouveler les conventions dont il fixait la durée maximale à dix ans ; qu'ainsi la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'article 2 du décret attaqué ;
Sur la légalité de l'article 15 du décret attaqué :
Considérant que l'article 15 du décret attaqué dispose que : "Constituent des services de télévision consacrés à la diffusion d'oeuvres cinématographiques les services dont l'objet principal est la programmation d'oeuvres cinématographiques, d'émissions consacrées au cinéma et à son histoire et qui : (...) 2° Consacrent à l'acquisition de droits de diffusion d'oeuvres cinématographiques 40 % au moins de leur chiffre d'affaires hors taxe sur la valeur ajoutée, cette dernière condition pouvant être réalisée par le groupement de plusieurs services de même nature dès lors qu'ils font l'objet d'un abonnement spécifique commun. Toutefois, si le prix de vente facturé par l'exploitant du réseau aux abonnés est supérieur au double du prix de vente du service par son éditeur à cet exploitant, ces deux prix étant constatés en moyenne durant une année de référence sur l'ensemble des ventes, un coefficient égal au rapport entre le prix de vente aux abonnés et deux fois le prix de vente de l'éditeur est appliqué, pour l'année suivante, au pourcentage de 40 % ..." ;
Considérant qu'en retenant, pour définir les services de télévision consacrés à la diffusion d'oeuvres cinématographiques, le fait qu'ils affectent une part importante de leur chiffre d'affaires à l'acquisition des droits de diffusion d'oeuvres cinématographiques, le décret attaqué, qui n'a pas ignoré les autres charges que ces services ont également à supporter, a utilisé un critère conforme à l'objet même desdits services ; qu'alors même que les articles 17 et 18 du décret apportent des limitations aux possibilités de diffusion par ces services des oeuvres cinématographiques de longue durée, la fixation de cette part à un minimum de 40 % n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant, en revanche, qu'en prévoyant que ce pourcentage dont, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, dépend la qualification même du service, pouvait varier en fonction de l'écart constaté pendant une période donnée entre le prix du service facturé par son éditeur à l'exploitant du réseau et le prix facturé par cet exploitant aux abonnés, l'article 15 du décret a tenu compte d'un élément étranger à l'éditeur du service et est dans cette mesure entaché d'illégalité ; que la société requérante est, dès lors, fondée à demander l'annulation de ces dispositions de l'article 15 du décret attaqué ;
Sur la légalité de l'article 17 du décret attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la directive du Conseil des communautés européennes en date du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des états membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle : "Les états membres veillent à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence ne procèdent à aucune diffusion d'oeuvres cinématograhiques, sauf accord contraire entre les détenteurs de droits et l'organisme de radiodiffusion télévisuelle, avant l'expiration d'un délai de deux ans après le début de l'exploitation de cette oeuvre dans les salles de cinéma dans un des états membres de la communauté ; dans le cas d'oeuvres cinématographiques coproduites par l'organisme de radiodiffusion télévisuelle, ce délai est d'un an" ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en l'absence de coproduction ou d'accord avec les détenteurs de droits, le délai entre le début de l'exploitation d'une oeuvre cinématographique en salle et sa diffusion par un service de télévision doit être au minimum de deux ans ; que les paragraphes I et II de l'article 17 du décret qui , d'une part, fixent ce délai à un an et, d'autre part, prévoient que ce délai peut être réduit "par décision conjointe du ministre chargé du cinéma et du ministre chargé de la communication après avis d'une commission constituée auprès du centre national de la cinématographie", sont incompatibles avec les objectifs fixés par l'article 7 précité de la directive précitée du 3 octobre 1989 ; que ces dispositions doivent, dès lors, et quel que soit l'avis émis à leur sujet par le président du bureau de liaison des industries cinématographiques, être annulées ;
Sur la légalité de l'article 21 du décret attaqué :
Considérant que si l'article 33 précité de la loi du 30 septembre 1986 confie au décret le soin de fixer pour les services de télévision diffusés par câble notamment "le régime de diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles", la détermination du pourcentage minimum de leur chiffre d'affaires que ces services doivent consacrer à l'acquisition des droits de diffusion d'oeuvres cinématographiques ne relève pas de ce régime ; que, par suite, s'agissant des services pratiquant le paiement à la séance, l'article 21-I du décret attaqué a pu légalement renvoyer la fixation de ce pourcentage à la convention prévue par l'article 34-1 de la loi du 30 septembre 1986 ; que la circonstance que, pour les services dont l'objet essentiel est la diffusion d'oeuvres cinématographiques, ce pourcentage dont dépend la qualification même des services soit fixé par le décret n'est pas de nature à établir l'illégalité de l'article 21-I qui concerne des services d'une autre nature ;
Sur la légalité des articles 24, 27 et 28 du décret attaqué :
Considérant, d'une part, qu'en ce qui concerne les services distribués dans une langue étrangère, l'article 24 du décret se borne à prévoir qu'ils "sont tenus de respecter les dispositions de la directive du Conseil des communautés européennes du 3 octobre 1989 notamment celles concernant la publicité et le parrainage, le régime de diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles et les conditions générales de production des oeuvres diffusées" et à renvoyer à la convention conclue par le conseil supérieur de l'audiovisuel les conditions dans lesquelles les obligations des services sur ces différents points sont respectées ;
Considérant, d'autre part, que l'article 28 du décret attaqué dispose que pour ceux des services émis depuis un pays étranger non membre de la Communauté économique européenne qui ne consistent pas en la reprise d'un programme diffusé à l'étranger, "la convention détermine parmi les règles applicables aux services émis depuis la France celles qui peuvent être appliquées à chacun de ces services en fonction de la catégorie à laquelle ils appartiennent et de la langue dans laquelle ils sont diffusés" ;
Considérant qu'en renvoyant, pour les deux catégories de services mentionnés ci-dessus à la convention conclue avec le conseil supérieur de l'audiovisuel la détermination des diverses règles dont l'article 33 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit qu'elles seront fixées par décret, les articles 24 et 28 précités ont méconnu l'étendue de la délégation consentie par la loi au pouvoir réglementaire et sont, dès lors, entachés d'illégalité ;
Considérant, en revanche, que le principe selon lequel les services de télévision par câble doivent respecter l'ordre public, la sécurité et la santé publique, la dignité de la personne humaine, l'égalité entre les hommes et les femmes, la protection des mineurs et le droit de réponse s'impose à l'ensemble des services alors même qu'aucune mesure d'application n'a été prise par un décret, dont l'article 33 de la loi du 30 septembre 1986 ne prévoit d'ailleurs pas l'intervention ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le deuxième alinéa de l'article 27 qui confie à la convention passée avec le conseil supérieur de l'audiovisuel le soin de préciser les modalités particulières d'application de ce principe aux services de télévision émis depuis un pays étranger non membre de la Communauté économique européenne méconnaîtrait les dispositions dudit article 33 ;
Sur la légalité des articles 25 et 26 du décret attaqué :
Considérant que la directive susmentionnée du 3 octobre 1989 et notamment ses articles 2 et 3 confient à chaque état membre de la Communauté économique européenne le soin de veiller à ce que les émissions de radiodiffusion télévisuelle en émanant respectent le droit applicable dans cet Etat aux émissions destinées au public et d'assurer la liberté de réception des émissions en provenance d'autres Etats-membres ; qu'elle ne les autorise à suspendre provisoirement de telles émissions qu'à titre exceptionnel et dans des cas limitativement énumérés ; qu'il résulte de ces dispositions de la directive que, s'agissant des services émis depuis un pays membre de la Communauté économique européenne, les pouvoirs publics français n'ont pas compétence pour réglementer les matières énumérées aux articles 33 et 70 de la loi du 30 septembre 1986 et notamment le régime de diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles ; qu'il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les articles 25 et 26 du décret fixant les dispositions applicables aux services émis depuis un pays membre de la Communauté économique européenne seraient entachés d'illégalité en ce qu'il ne déterminent pas pour ces services le régime de diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société CINE-CINEMA-CABLES est fondée à demander l'annulation de la seconde phase de l'article 15-2° et des articles 17. I et II, 24 et 28 du décret attaqué, qui sont divisibles des autres dispositions de ce décret ;
Article 1er : La seconde phrase de l'article 15 2° et les articles 17.I et II, 24 et 28 du décret n° 92-882 du 1er septembre 1992 pris pour l'application des articles 33 et 34-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant le régime applicable aux différentes catégories de services de radiodiffusion sonore et de télévision distribués par câble sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société CINE-CINEMA-CABLE est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société CINE-CINEMA-CABLE et au ministre de la communication.