Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juin et 30 octobre 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société immobilière d'Epone, dont le siège est ... ; la société immobilière d'Epone demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement en date du 26 avril 1990 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé, sur la demande de l'association de défense de la forêt de la Caboche et de son environnement, la délibération en date du 28 avril 1989 par laquelle le conseil municipal d'Aubevoye a autorisé la cession au profit de la société requérante de la section de voie communale n° 76 appartenant à cette commune ;
2°) de rejeter la demande présentée au tribunal administratif par l'association de défense de la forêt de la Caboche et de son environnement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 59-115 du 7 janvier 1959 ;
Vu la loi du 10 juillet 1991, notamment son article 75-1 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Chabanol, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la Société immobilière d'Epone et de Me Vuitton, avocat de l'association de défense de la forêt de la Caboche et de son environnement,
- les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande présentée au tribunal administratif par l'association de défense de la forêt de la Caboche et de son environnement :
Considérant en premier lieu que l'association susmentionnée a pour objet, selon l'article 2 de ses statuts, "la défense de la forêt de la Caboche, sur la commune de Villers sur le Roule, de sa faune, de sa flore, des chemins communaux forestiers qui la traversent, de ses environs situés sur la communes de Villers sur le Roule, Venables, Vieux Villez, Aubevoye ..." ; que cet objet lui donnait intérêt pour demander l'annulation de la délibération par laquelle le conseil municipal d'Aubevoye a autorisé la cession au profit de la société immobilière d'Epone de la section de voie communale n° 76 appartenant à cette commune ;
Considérant en second lieu que, selon l'article 9 des statuts de cette association, dans sa rédaction résultant de la délibération de son assemblée générale en date du 29 janvier 1989, le président, qui représente l'association devant les juridictions, dispose du droit d'intenter toute action en justice entrant dans le cadre des intérêts de l'association ; que ces dispositions donnaient au président de l'association, signataire de la demande présentée au tribunal administratif, qualité pour présenter un recours pour excès de pouvoir au nom de ladite association ; que le moyen tiré de ce que la délibération du 23 avril 1988 ayant ajouté un article 9 aux statuts n'aurait pas fait l'objet de la déclaration dans le délai de trois mois prévu à l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901 est inopérant ;
Sur la légalité de la délibération du conseil municipal d'Aubevoye autorisant la cession de la section de voie communale n° 76 appartenant à la commune :
Considérant qu'aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voirie des collectivités locales, alors applicable, définissant la procédure de déclassement des voies communales: "Si la voie appartient à deux ou plusieurs communes, il est statué après enquête par délibérations concordantes des conseils municipaux. Il en est de même lorsque des voies appartenant à deux ou plusieurs communes constituent un même itinéraire entre deux intersections de voies ou de chemins ..." ;
Considérant qu'en vertu des dispositions précitées, le déclassement d'une voie communale appartenant à plusieurs communes ne peut être opéré avant que tous les conseils municipaux intéressés y aient donné leur accord, et, dans ce dernier cas, ne peut prendre effet qu'à compter de la plus tardive des délibérations intervenues à cet effet ; que ces dispositions s'appliquent non seulement au déclassement des voies qui marquent la limite territoriale entre deux ou plusieurs communes, mais à celui des voies qui traversent successivement le territoire de plusieurs communes sans rencontrer d'intersection ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le chemin n° 76 traverse successivement les territoires de plusieurs communes entre deux intersections de voies, et se trouve limitrophe de plusieurs d'entre elles ; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que son déclassement ne pouvait être effectif qu'à compter de l'adoption par toutes ces communes de délibérations concordantes ; qu'il est constant qu'à la date de la délibération contestée, toutes les communes ne s'étaient pas prononcées sur le projet de déclassement ; que par suite ce chemin appartenait encore au domaine public et ne pouvait légalement faire l'objet d'une cession ; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société immobilière d'Epone n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a fait droit à la demande de l'association de défense de la forêt de la Caboche et de son environnement dirigée contre la délibération du 28 avril 1989 du conseil municipal d'Aubevoye autorisant la cession de la section de la voie n° 76 appartenant à cette commune ;
Sur les conclusions de l'association de défense de la forêt de la Caboche et de son environnement tendant à ce que la société immobilière d'Epone soit condamnée à lui verser une somme au titre des frais non compris dans les dépens :
Considérant que si l'association se prévaut des dispositions de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, cet article, d'ailleurs abrogé, n'a jamais été applicable devant le Conseil d'Etat ; que les conclusions susmentionnées doivent être regardées comme demandant l'application du 1 de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société immobilière d'Epone à payer à l'association de défense de la forêt de la Caboche et de son environnement la somme qu'elle réclame au titre des frais non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de la société immobilière d'Epone est rejetée.
Article 2 : La société immobilière d'Epone est condamnée à payer 3.000 F à l'association de défense de la forêt de la Caboche et de son environnement.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société immobilière d'Epone, à l'association de défense de la forêt de la Caboche et de son environnement, à la commune d'Aubevoye et au Ministre d'Etat ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.