Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 10 octobre 1988 et 10 février 1989, présentés pour la SOCIETE ANONYME LENER-CORDIER, dont le siège social est ..., représentée par son président en exercice, domicilié en cette qualité à la même adresse ; la SOCIETE ANONYME LENER-CORDIER demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 3 août 1988 par lequel le tribunal administratif de Lille a, à la demande de Mme X... et de Mlle Y..., annulé la décision implicite par laquelle le ministre des affaires sociales et de l'emploi a rejeté le recours hiérarchique qu'elles avaient formé contre la décision de l'inspecteur du travail de Dunkerque du 5 novembre 1986 autorisant leur licenciement pour motif économique ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par Mme X... et Mlle Y... devant le tribunal administratif de Lille ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Touraine-Reveyrand, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Thomas-Raquin, avocat de la SOCIETE ANONYME LENER-CORDIER et de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de Mme Thérèse X... et de Mlle Brigitte Y...,
- les conclusions de M. du Marais, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort du dossier que la société requérante a obtenu, par une décision de l'inspecteur du travail de Dunkerque en date du 5 novembre 1986, l'autorisation de licencier pour motif économique Mme X... et Mlle Y..., représentantes du personnel au comité d'entreprise et déléguées du personnel ; que cette décision a été implicitement confirmée par le ministre du travail et de l'emploi ; que la société requérante demande l'annulation du jugement susvisé du 3 août 1988 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé la décision implicite du ministre ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il ne ressort pas du dossier que le président du tribunal administratif de Lille ait fixé par ordonnance la date à laquelle l'instruction de la présente affaire serait close devant son tribunal ; que le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait dû viser une telle ordonnance doit dès lors être écarté ;
Sur la légalité de l'autorisation de licenciement :
Considérant que les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ;
Considérant que, pour justifier le licenciement de Mme X... et de Mlle Y..., la SOCIETE LENER-CORDIER dit avoir fait application des critères prévus par le plan social, et reposant, d'une part, sur l'assiduité, la productivité et la polyvalence des salariés, et, d'autre part, sur le maintien de l'emploi pour ceux des salariés qui présenteraient un cas social spécifique ;
Considérant que, d'une part, la société LENER-CORDIER ne conteste ni l'assiduité, ni la productivité de Mme X... ; qu'elle n'établit pas, compte tenu de la qualification particulière de l'intéressée, son manque de polyvalence ; qu'enfin, si elle allègue la nécessaire prise en cause de cas sociaux prioritaires, elle n'en établit pas l'existence ; que, d'autre part, la SOCIETE LENER-CORDIER ne conteste pas la polyvalence de Mlle Y... et n'allègue pas qu'il fallait prendre en compte un cas social prioritaire ; que si elle soutient que Mlle Y... manifestait un manque d'assiduité et de productivité, elle n'établit pas que ces défauts la plaçaient dans une position défavorable par rapport aux autres salariés qui remplissaient les mêmes fonctions ; qu'ainsi la société requérante ne fournit aucun élément de nature à justifier quel'application des critères qu'elle avait elle-même définis conduisait à placer Mme X... et Mlle Y... parmi les salariés qui devaient être licenciés ;
Considérant qu'il résulte, tant de ce qui précède que de la détérioration des rapports entre les dirigeants de l'entreprise et le syndicat auquel appartenaient Mme X... et Mlle Y..., que le licenciement de ces dernières doit être regardé comme étant en rapport avec leurs fonctions représentatives et leur appartenance syndicale ; qu'ainsi, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision implicite du ministre du travail et de l'emploi ;
Article 1er : La requête de la SOCIETE LENER-CORDIER est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE LENER-CORDIER, à Mme X..., à Mlle Y... et au ministre du travail de l'emploi et de la formation professionnelle.