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21/10/1994 | FRANCE | N°103018

France | France, Conseil d'État, Assemblee, 21 octobre 1994, 103018


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 novembre 1988 et 28 février 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par l'Ordre des avocats à la cour de Paris ; l'Ordre des avocats à la cour de Paris demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret du 7 septembre 1988 modifiant le décret du 5 janvier 1967 fixant le tarif général des huissiers ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'acte dit loi du 29 mars 1944, validé et complété par l'ordonnance n° 45-2048 du 8 septembre 1945 ;
Vu l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;<

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Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 194...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 novembre 1988 et 28 février 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par l'Ordre des avocats à la cour de Paris ; l'Ordre des avocats à la cour de Paris demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret du 7 septembre 1988 modifiant le décret du 5 janvier 1967 fixant le tarif général des huissiers ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'acte dit loi du 29 mars 1944, validé et complété par l'ordonnance n° 45-2048 du 8 septembre 1945 ;
Vu l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Vu le décret du 9 mars 1978 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Aberkane, Conseiller d'Etat,- les observations de la S.C.P. Boré, Xavier, avocat de la Chambre nationale des huissiers,
- les conclusions de M. du Marais, Commissaire du gouvernement ;

En ce qui concerne les conclusions de la requête dirigée contre les dispositions du décret attaqué relatives à la tarification des activités hors monopole des huissiers :
Sur la recevabilité de ces conclusions :
Considérant que l'Ordre des avocats à la cour de Paris justifie, du fait de la concurrence qui résulte, pour les avocats, de l'activité hors monopole des huissiers, d'un intérêt lui donnant qualité pour attaquer le décret du 7 septembre 1988, qui modifie le décret du 5 janvier 1967 fixant le tarif général des huissiers de justice en matière civile et commerciale, en tant que le décret attaqué modifie la tarification de l'activité hors monopole de ces derniers ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence : "L'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 est abrogée. Les prix des biens, produits et services relevant antérieurement de ladite ordonnance sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. - Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation du Conseil de la concurrence ..." ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice : "Les huissiers de justice sont les officiers ministériels qui ont seul qualité pour signifier les actes et les exploits, faire les notifications prescrites par les lois et règlements lorsque le mode de notification n'a pas été précisé et ramener à exécution des décisions de justice, ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire. - Les huissiers de justice peuvent en outre procéder au recouvrement amiable ou judiciaire de toutes créances et, dans les lieux où il n'est pas établi de commissaires-priseurs, aux prisées et ventes publiques de meubles et effets mobiliers corporels. Ils peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ; ils peuvent également procéder à des constatations de même nature à la requête de particuliers ; dans l'un et l'autre cas, ces constations n'ont que la valeur de simples renseignements ..." ; et qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 8 septembre 1945, validant et complétant l'acte dit loi du 29 mars 1944 : "Tous droits et émoluments au profit des officiers publics ou ministériels peuvent être créés par décret en Conseil d'Etat ; ils peuvent être, dans la même forme, modifiés ou supprimés, même s'ils ont fait l'objet de dispositions législatives" ;

Considérant que l'ordonnance du 8 septembre 1945 n'a eu ni pour objet ni pour effet d'exclure l'activité hors monopole des officiers publics ou ministériels du champ d'application de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ; qu'il suit de là que les services des huissiers de justice correspondant à cette activité entrent dans le champ de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que si le gouvernement conserve la possibilité, sur le fondement des dispositions combinées de l'ordonnance du 8 septembre 1945 et du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de fixer les prix des services correspondant aux activités dont il s'agit, il ne peut le faire que dans les conditions définies par lesdites dispositions, et notamment après avoir consulté le Conseil de la concurrence ; que, par suite, le décret attaqué, qui a été pris sans que le Conseil de la concurrence ait été consulté, est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière ; que l'Ordre des avocats à la cour de Paris est donc fondé à demander l'annulation de ce décret, en tant qu'il fixe les tarifs applicables à l'activité hors monopole des huissiers de justice ;
En ce qui concerne les conclusions de la requête dirigées contre les dispositions du décret attaqué relatives à la tarification des activités dont les huissiers de justice ont le monopole :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice :
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant, d'une part, que si l'article 2 du décret du 9 mars 1978 prévoit la présence, au sein de la commission supérieure des tarifs, d'un "représentant de la profession concernée", cette disposition n'avait pas pour effet, s'agissant de fixer le tarif des huissiers, d'imposer la présence au sein de cette commission, d'un représentant des avocats ; que l'absence d'un représentant de ces derniers n'a donc pas vicié l'avis émis le 17 juin 1988, par ladite commission sur le projet du décret présentement attaqué ;
Considérant, d'autre part, que les services correspondant à l'activité dont les huissiers de justice ont le monopole, en vertu du 1er alinéa de l'article 1er de l'ordonnance précitée du 2 novembre 1945 étaient exclus, en raison de l'existence même de ce monopole, du champ d'application de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; qu'ils ne sont donc pas au nombre des services visés à l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, par suite, le décret attaqué n'avait pas, en tant qu'il procède à la tarification de ces services, à être précédé de l'avis du Conseil de la concurrence prévu par le deuxième alinéa de cet article ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
Considérant, en premier lieu, que l'acte dit loi du 29 mars 1944, validé et complété par l'ordonnance du 8 septembre 1945, qui prévoit la tarification de l'activité des officiers ministériels n'a pas été abrogé par l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que cette tarification étant ainsi prévue par un acte de valeur législative, l'ordre des avocats requérant ne saurait utilement invoquer, à son encontre, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

Considérant, en deuxième lieu, que les activités couvertes par le monopole sont liées à la qualité d'officier ministériel des huissiers de justice ; qu'elles doivent être regardées comme participant à l'exercice de l'autorité publique et n'entrent pas de ce fait dans le champ d'application du traité instituant la communauté économique européenne ; que l'ordre des avocats requérant ne peut donc invoquer les dispositions de ce traité à l'encontre des dispositions en cause du décret attaqué qui, d'ailleurs n'institue aucune discrimination selon la nationalité entre les personnes qu'il concerne ;
Considérant, en troisième lieu, que l'ordonnance du 8 septembre 1945 prévoit expressément l'existence de tarifs proportionnels ; que l'ordre des avocats requérant ne peut donc utilement se prévaloir de ce que des droits proportionnels prévus par le décret attaqué, ne correspondraient pas au coût du service rendu ou porteraient atteinte au principe d'égalité du traitement des usagers ;
Considérant enfin qu'il ne résulte pas de l'instruction que la fixation du tarif litigieux soit entachée d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ordre des avocats requérant n'est pas fondé à demander l'annulation du décret attaqué en tant qu'il concerne la tarification de l'activité dont les huissiers de justice ont le monopole ;
Article 1er : Le décret susvisé du 7 septembre 1988 est annulé en tant qu'il concerne l'activité hors monopole des huissiers de justice.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l'Ordre des avocats à la cour de Paris est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Ordre des avocats à la cour de Paris, au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre du budget et au Premier ministre.


Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

COMMERCE - INDUSTRIE - INTERVENTION ECONOMIQUE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REGLEMENTATION DES PRIX - ORDONNANCE DU 1ER DECEMBRE 1986 - Champ d'application - (1) Absence - Huissiers - Activités dont les huissiers ont le monopole - (2) Existence - Huissiers - Activités hors monopole - Conséquences.

14-04-03(1), 55-03-05-05(1) Les services correspondant à l'activité dont les huissiers de justice ont le monopole, en vertu du 1er alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945, étaient exclus, en raison de l'existence même de ce monopole, du champ d'application de l'ordonnance du 30 juin 1945. Ils ne sont donc pas au nombre des services visés à l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

COMMERCE - INDUSTRIE - INTERVENTION ECONOMIQUE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - DEFENSE DE LA CONCURRENCE - CONSEIL DE LA CONCURRENCE - Consultation préalable obligatoire - (1) Absence - Activité soumise à monopole - (2) Existence - Fixation du tarif général des huissiers - pour leurs activités hors monopole.

14-05-005(1) Les services correspondant à l'activité dont les huissiers de justice ont le monopole ne rentrent pas dans le champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Le décret du 7 septembre 1988 n'avait pas, en tant qu'il procède à la tarification de ces services, a être précédé de l'avis du Conseil de la concurrence.

PROCEDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - INTERET POUR AGIR - EXISTENCE D'UN INTERET - SYNDICATS - GROUPEMENTS ET ASSOCIATIONS - Juridictions administratives et judiciaires - Tarif des huissiers pour leur activité hors monopole - Ordre des avocats à la cour d'appel.

14-04-03(2), 55-03-05-05(2) L'ordonnance du 8 septembre 1945 n'a eu ni pour objet ni pour effet d'exclure l'activité hors monopole des officiers publics ou ministériels du champ d'application de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945. Les services des huissiers de justice correspondant à cette activité entrent donc dans le champ de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en vertu du premier alinéa de son article 1er. Si le Gouvernement conserve la possibilité, sur le fondement des dispositions combinées de l'ordonnance du 8 septembre 1945 et du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de fixer les prix des services correspondant aux activités dont il s'agit, il ne peut le faire que dans les conditions définies par lesdites dispositions, et notamment après avoir consulté le Conseil de la concurrence. Illégalité dans cette mesure du décret du 7 septembre 1988, intervenu à la suite d'une procédure irrégulière.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - ORDRES PROFESSIONNELS - ORGANISATION ET ATTRIBUTIONS NON DISCIPLINAIRES - QUESTIONS PROPRES A CHAQUE ORDRE PROFESSIONNEL - ORDRE DES AVOCATS - Contestation du tarif des huissiers pour leur activité hors monopole - Intérêt à agir - Existence.

14-05-005(2) Si le Gouvernement a la possibilité, sur le fondement des dispositions combinées de l'ordonnance du 8 septembre 1945 et du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986, applicable aux activités hors monopole des huissiers de justice en vertu du premier alinéa du même article, de fixer les prix des services correspondant aux activités dont il s'agit, il ne peut le faire que dans les conditions définies par lesdites dispositions, et notamment après avoir consulté le Conseil de la concurrence. Illégalité dans cette mesure du décret du 7 septembre 1988, intervenu à la suite d'une procédure irrégulière.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - CONDITIONS D'EXERCICE DES PROFESSIONS - PROFESSIONS S'EXERCANT DANS LE CADRE D'UNE CHARGE OU D'UN OFFICE - HUISSIERS - Tarif général des huissiers (décret du 7 septembre 1988) - (1) Activités dont les huissiers ont le monopole - Champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 - Exclusion - (2) Activités hors monopole des huissiers - Champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 - Inclusion - Conséquences.

54-01-04-02-02, 55-01-02-06 L'Ordre des avocats à la cour de Paris justifie, du fait de la concurrence qui résulte, pour les avocats, de l'activité hors monopole des huissiers, d'un intérêt lui donnant qualité pour attaquer le décret du 7 septembre 1988 fixant le tarif général des huissiers de justice en matière civile et commerciale en tant que le décret attaqué modifie la tarification de l'activité hors monopole de ces derniers.


Références :

Décret 67-18 du 05 janvier 1967
Décret 78-273 du 09 mars 1978 art. 2
Décret 88-914 du 07 septembre 1988
Loi du 29 mars 1944
Ordonnance 45-1483 du 30 juin 1945
Ordonnance 45-2048 du 08 septembre 1945 art. 1
Ordonnance 45-2592 du 02 novembre 1945 art. 1
Ordonnance 86-1243 du 01 décembre 1986 art. 1


Publications
Proposition de citation: CE, 21 oct. 1994, n° 103018
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Long
Rapporteur ?: M. Aberkane
Rapporteur public ?: M. du Marais
Avocat(s) : SCP Boré, Xavier, Avocat

Origine de la décision
Formation : Assemblee
Date de la décision : 21/10/1994
Date de l'import : 06/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 103018
Numéro NOR : CETATEXT000007870048 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1994-10-21;103018 ?
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