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04/11/1994 | FRANCE | N°100354

France | France, Conseil d'État, 1 / 4 ssr, 04 novembre 1994, 100354


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 26 juillet 1988 et 24 novembre 1988 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le département de la Dordogne, agissant poursuites et diligences du président du conseil général ; le département de la Dordogne demande au Conseil d'Etat :
1) d'annuler le jugement du 26 mai 1988 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé, à la demande du préfet du département de la Dordogne, la délibération du 24 mars 1987 du conseil général de la Dordogne en tant qu'elle a édicté les d

ispositions de l'alinéa 4 de l'article 67-0, des alinéas 4 et 5 de l'art...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 26 juillet 1988 et 24 novembre 1988 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le département de la Dordogne, agissant poursuites et diligences du président du conseil général ; le département de la Dordogne demande au Conseil d'Etat :
1) d'annuler le jugement du 26 mai 1988 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé, à la demande du préfet du département de la Dordogne, la délibération du 24 mars 1987 du conseil général de la Dordogne en tant qu'elle a édicté les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 67-0, des alinéas 4 et 5 de l'article 69 et des articles 70-2, 71-0 et 72, du règlement départemental d'aide sociale ;
2) de rejeter la demande présentée par le préfet de la Dordogne devant le tribunal administratif de Bordeaux ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 ;
Vu la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 ;
Vu le décret n° 77-1547 du 31 décembre 1977 ;
Vu le décret n° 77-1549 du 31 décembre 1977 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Faure, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du département de la Dordogne,
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la loi du 22 juillet 1983 complétant la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat : "Dans les conditions définies par la législation et la réglementation sociales, le conseil général adopte un règlement départemental d'aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d'aide sociale relevant du département. Il peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus en application de l'article 32. Le département assure la charge financière de ces décisions. Le président du conseil général est compétent pour attribuer les prestations relevant de la compétence du département au titre de l'article 32 de la présente loi." ; qu'aux termes de l'article 124-1 du code de la famille et de l'aide sociale : "L'admission à une prestation d'aide sociale est prononcée au vu des conditions d'attribution telles qu'elles résultent des dispositions législatives ou réglementaires et, pour les prestations légales relevant de la compétence du département ou pour les prestations que le département crée de sa propre initiative, au vu des conditions d'attribution telles qu'elles résultent des dispositions du règlement départemental d'aide sociale mentionné à l'article 34 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat." ;
Considérant qu'il résulte des dispositions qui précèdent que, lorsqu'il édicte des règles définissant les conditions d'attribution et le montant de prestations d'aide sociale qui, telles que l'allocation compensatrice, font l'objet de prescriptions définies par des lois et des décrets, le conseil général ne peut édicter que des dispositions comportant des conditions ou des montants plus favorables que celles définies par ces lois et décrets ;

Considérant qu'aux termes de l'article 39-I de la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées : "Une allocation compensatrice est accordée à tout handicapé qui ne bénéficie pas d'un avantage analogue au titre d'un régime de sécurité sociale lorsque son incapacité permanente est au moins égale au pourcentage fixé par le décret prévu au premier alinéa de l'article 35 ci-dessus, soit que son état nécessite l'aide effective d'une tierce personne pour les actes essentiels de l'existence, soit que l'exercice d'une activité professionnelle lui impose des frais supplémentaires. Le montant de cette allocation est fixé par référence aux majorations accordées aux invalides du troisième groupe prévu à l'article L.310 du code de la sécurité sociale et varie dans des conditions fixées par décret en fonction soit de la nature et de la permanence de l'aide nécessaire, soit de l'importance des frais supplémentaires exposés" ; qu'aux termes de son article 40 : "Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions dans lesquelles le droit à l'allocation aux adultes handicapés et à l'allocation compensatrice visées respectivement aux articles 35 et 39 ci-dessus est ouvert aux handicapés hébergés à la charge totale ou partielle de l'aide sociale ou hospitalisés dans un établissement de soins. Ce décret détermine également dans quelles conditions le paiement desdites allocations peut être suspendu, totalement ou partiellement, en cas d'hospitalisation ou d'hébergement ..." ;
Sur la légalité de l'alinéa 4 de l'article 67-0 du règlement départemental d'aide sociale :
Considérant que l'article 67-0 dispose que "Les personnes handicapées peuvent bénéficier de l'allocation compensatrice ... s'il est justifié du recours effectif à l'aide d'une tierce personne ..." ;
Considérant qu'en vertu des articles 3 et 4 du décret n° 77-1549 du 31 décembre 1977 qui, contrairement aux allégations de la requête, ne méconnaissent pas les dispositions de la loi, les personnes handicapées dont l'état nécessite l'aide d'une tierce personne peuvent prétendre à l'allocation compensatrice prévue à l'article 39 de la loi du 30 juin 1975 sous certaines conditions, au nombre desquelles ne figure pas la justification du recours effectif à l'aide d'une tierce personne ; qu'une telle justification n'est exigée par l'article 5 du même décret que pour le maintien d'une allocation déjà attribuée ; que ni le 6e de l'article 13, aux termes duquel la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel fixe "le cas échéant, le point de départ de l'attribution de l'allocation et la durée pendant laquelle elle est versée", ni aucune autre disposition de ce décret n'imposent aux personnes handicapées de justifier du recours effectif à l'aide d'une tierce personne avant d'être admises au bénéfice de l'allocation compensatrice ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en prescrivant que les personnes handicapées peuvent bénéficier de l'allocation compensatrice "s'il est justifié du recours effectif à l'aide d'une tierce personne" l'alinéa 4 de l'article 67-0 du règlement départemental d'aide sociale de la Dordogne ajoute une condition à celles prévues par les dispositions précitées pour l'octroi de cette allocation ;

Sur la légalité des alinéas 4 et 5 de l'article 69 :
Considérant qu'aux termes de l'article 69 : "Le président du conseil général fixe le montant de l'allocation compensatrice en tenant compte de la décision de la COTOREP, des ressources de l'intéressé, des éventuelles donations de biens qui sont intervenues, de la dépense engagée pour la rémunération effective de la tierce personne." ;
Considérant qu'en vertu de l'article 14 du décret du 31 décembre 1977 ; "Le président du conseil général fixe le montant de la prestation compte tenu : 1° de la décision de la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel en ce qui concerne le taux de l'allocation compensatrice accordée, 2° des ressources de l'intéresssé appréciées dans les conditions prévues aux articles 9 et 10 du présent décret" ; qu'il résulte de ces dispositions que le montant de l'allocation compensatrice due lorsqu'une personne handicapée remplit les conditions légales pour en bénéficier doit être fixé selon les seuls critères limitativement énumérés à l'article 14 ;
Considérant qu'en disposant à l'article 69 du règlement litigieux que le président du conseil général de la Dordogne fixe le montant de l'allocation compensatrice en tenant compte notamment, aux termes de l'alinéa 4, "des éventuelles donations de biens qui sont intervenues" et aux termes de l'alinéa 5, "de la dépense engagée pour la rémunération effective de la tierce personne", le règlement a ajouté deux critères de fixation du montant de l'allocation qui ne sont pas au nombre de ceux énoncés à l'article 14 précité, qui sont les seuls dont il puisse être légalement tenu compte ;
Sur la légalité de l'article 70-2 :
Considérant que l'article 70-2 du règlement dispose que le montant de l'allocation compensatrice est diminué de 50 % dans le cas ou il n'y a pas rémunération d'une tierce personne extérieure à la famille ;
Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire applicable à l'allocation compensatrice n'autorise l'édiction d'une mesure moins favorable consistant à diminuer le montant de l'allocation en cas de recours à une tierce personne appartenant à la famille ;
Sur la légalité de l'article 71-0 :
Considérant que l'article 71-0 du règlement dispose que : "Le montant de l'allocation compensatrice est maintenu à son bénéficiaire pendant les 45 premiers jours de son hospitalisation en établissement de soin ou de cure s'il justifie de l'emploi rémunéré d'une tierce personne" ;

Considérant qu'en vertu de l'article 5 du décret du 31 décembre 1977 le maintien de l'allocation compensatrice dépend de la justification par le bénéficiaire du recours effectif à l'aide d'une tierce personne ; qu'aux termes de l'article 6 : "Les personnes atteintes de cécité ... sont considérées comme remplissant les conditions qui permettent l'attribution et le maintien de l'allocation compensatrice ..." ; qu'en vertu de l'article 6 bis dont les dispositions ont été légalement édictées en application de l'article 40 de la loi du 30 juin 1975, "par dérogation aux articles 5 et 6, l'allocation compensatrice pour aide d'une tierce personnes est versée pendant les quarante cinq premiers jours d'hospitalisation du bénéficiaire : au-delà de cette période, son service est suspendu" ;
Considérant que la disposition de l'article 71-0 précité, dans la mesure où elle subordonne le versement de l'allocation compensatrice durant les quarante cinq premiers jours d'hospitalisation à l'emploi d'une tierce personne rémunérée par le malade énonce une condition qui n'est pas exigée par les dispositions précitées du décret du 31 décembre 1977 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en édictant les dispositions ci-dessus analysées des articles 67-0, 69, 70-2 et 71-0 du règlement attaqué, le conseil général de la Dordogne a excédé les pouvoirs qu'il tient de l'article 34 de la loi du 22 juillet 1983 ; que le département de la Dordogne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux en a prononcé l'annulation ;
Sur la légalité de l'article 72 du règlement :
Considérant qu'aux termes de cet article 72 : "L'admission des bénéficiaires de l'allocation compensatrice en établissement social ou médico-social entraîne : - la suppression de l'avantage attribué pour les pensionnaires hébergés à temps complet ; - un abattement de 50 % sur le montant de l'avantage attribué pour les pensionnaires admis en externat ou en semi-internat." ;
Considérant que l'article 4-I du décret n° 77-1547 du 31 décembre 1977 dispose que "lorsque le pensionnaire est obligé, pour effectuer les actes ordinaires de la vie, d'avoir recours à l'assistance d'une tierce personne et qu'il bénéficie à ce titre de l'allocation compensatrice prévue à l'article 39 de la loi susvisée du 30 juin 1975, le paiement de cette allocation est suspendu à concurrence d'un montant fixé par la commission d'admission, en proportion de l'aide qui lui est assurée par le personnel de l'établissement pendant qu'il y séjourne et au maximum à concurrence de 90 %" ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la commission d'admission est seule compétente pour décider du montant de la suspension de l'allocation compensatrice en proportion de l'aide assurée par le personnel de l'établissement ; que les dispositions susreproduites de l'article 72 sont donc illégales en tant qu'elles attribuent au président du conseil général une compétence qui ne lui appartient pas ; que le département de la Dordogne n'est dès lors pas fondé à se plaindre que, par l'article 1er du jugement entrepris, le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé leur annulation ;
Article 1er : La requête du département de la Dordogne est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au département de la Dordogne et au ministre d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville.


Synthèse
Formation : 1 / 4 ssr
Numéro d'arrêt : 100354
Date de la décision : 04/11/1994
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

AIDE SOCIALE - ORGANISATION DE L'AIDE SOCIALE - COMPETENCES DU DEPARTEMENT - Règlement départemental d'aide sociale (article 34 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983) - Pouvoirs du conseil général.

04-01-01, 23-03-01-03 Il résulte des dispositions de l'article 34 de la loi du 22 juillet 1983 et de l'article 124-1 du code de la famille et de l'aide sociale que, lorsqu'il édicte des règles définissant les conditions d'attribution et le montant de prestations d'aide sociale qui font l'objet de prescriptions définies par des lois et décrets, le conseil général ne peut édicter que des dispositions comportant des conditions ou des montants plus favorables que celles définies par ces lois et décrets.

AIDE SOCIALE - DIFFERENTES FORMES D'AIDE SOCIALE - AIDE SOCIALE AUX PERSONNES HANDICAPEES - ALLOCATIONS DIVERSES (CF AUSSI SECURITE SOCIALE) - Allocation compensatrice (article 39-I de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975) - (1) Nature - Prestation d'aide sociale - (2) Conditions d'attribution (articles 3 et 4 du décret n° 77-1549 du 31 décembre 1977) - Règlement départemental subordonnant l'attribution de l'indemnité au recours effectif à une tierce personne - Illégalité - (3) Maintien durant les 45 premiers jours d'hospitalisation (article 6 bis du décret du 31 décembre 1977) - Règlement départemental subordonnant le maintien à l'emploi d'une tierce personne rémunérée par le malade - Illégalité - (4) Suspension lors de l'admission dans un établissement d'hébergement (article 4-1 du décret n° 77-1547 du 31 décembre 1977) - Détermination du montant de la suspension - Compétence exclusive de la commission d'admission.

04-02-04-01(1), 62-04 L'allocation compensatrice accordée aux handicapés en vertu de l'article 39-I de la loi du 30 juin 1975 constitue non une prestation de sécurité sociale mais une prestation d'aide sociale.

DEPARTEMENT - ORGANES ELUS DU DEPARTEMENT - PRESIDENT DU CONSEIL GENERAL - POUVOIRS - Suspension de l'allocation compensatrice des handicapés (article 39-I de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975) lors de l'admission dans un établissement social ou médico-social - Détermination du montant de cette suspension - Incompétence du président du conseil général.

04-02-04-01(2) En prescrivant que les personnes handicapées ne peuvent bénéficier de l'allocation compensatrice que s'il est justifié du recours effectif à l'aide d'une tierce personne, un règlement départemental d'aide sociale ajoute une condition à celles prévues par les dispositions des articles 3 et 4 du décret n° 77-1549 du 31 décembre 1977. Illégalité.

DEPARTEMENT - ORGANES ELUS DU DEPARTEMENT - CONSEIL GENERAL - POUVOIRS - Aide sociale - Règlement départemental d'aide sociale (article 34 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983).

04-02-04-01(3) En subordonnant le versement de l'allocation compensatrice durant les 45 premiers jours d'hospitalisation à l'emploi d'une tierce personne rémunérée par le malade, un règlement départemental d'aide sociale énonce une condition qui n'est pas exigée par les dispositions des articles 5, 6 et 6 bis du décret n° 77-1549 du 31 décembre 1977. Illégalité.

SECURITE SOCIALE - PRESTATIONS - Prestations de sécurité sociale - Notion - Absence - Allocation compensatrice aux handicapés.

04-02-04-01(4), 23-03-005 Il résulte des dispositions de l'article 4-I du décret n° 77-1547 du 31 décembre 1977 que la commission d'admission est seule compétente pour décider du montant de la suspension de l'allocation compensatrice en proportion de l'aide assurée par le personnel de l'établissement social ou médico-social dans lequel la personne handicapée a été admise. Incompétence du président du conseil général pour décider de ce montant.


Références :

Code de la famille et de l'aide sociale 124-1
Décret 77-1547 du 31 décembre 1977 art. 4
Décret 77-1549 du 31 décembre 1977 art. 3, art. 4, art. 5, art. 13, art. 14, art. 6, art. 6 bis
Loi 75-534 du 30 juin 1975 art. 39, art. 40
Loi 83-663 du 22 juillet 1983 art. 34
Loi 83-8 du 07 janvier 1983


Publications
Proposition de citation : CE, 04 nov. 1994, n° 100354
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Combarnous
Rapporteur ?: M. Faure
Rapporteur public ?: Mme Maugüé
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1994:100354.19941104
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