Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 9 octobre 1989 et 7 février 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société "La Cinq", dont le siège social est ..., représentée par son président-directeur général ; la société "La Cinq" demande que le Conseil d'Etat :
1°) révise les ordonnances en date des 21 juin 1988, 10 février 1989 et 12 juillet 1989, par lesquelles le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat lui a enjoint de se conformer aux obligations fixées par l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 en ce qui concerne la diffusion des oeuvres audiovisuelles, l'a condamnée au paiement d'une astreinte de 12 170 000 F au titre des manquements à ces obligations constatés au 1er décembre 1988 et au paiement d'une astreinte d'un montant de 60 010 000 F, au titre des manquements constatés au 28 février 1989 ;
2°) rejette les requêtes du président de la commission nationale de la communication et des libertés et du président du conseil supérieur de l'audiovisuel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, modifiée notamment par la loi n° 89-25 du 17 janvier 1989 ;
Vu la loi n° 88-1179 du 29 décembre 1983 et la loi n° 88-1193 du 29 décembre 1988 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Salat-Baroux, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la société "La Cinq",
- les conclusions de M. Daël, Commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions de la requête tendant à la révision des ordonnances du 21 juin 1988 et du 10 février 1990 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat :
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 72 et 76 de l'ordonnance du 31 juillet 1945, le recours en révision doit être formé dans un délai de deux mois à compter du jour où la décision faisant l'objet du recours a été notifiée ; qu'il ressort des pièces du dossier que la société "La Cinq" a reçu notification des ordonnances des 21 juin 1988 et 10 février 1989, respectivement les 28 juin 1988 et 21 février 1989 ; que sa requête demandant la révision de ces deux ordonnances n'a été enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat que le 9 octobre 1989, soit plus de deux mois après leur notification ; que, pour faire échec à la forclusion qui en résulte, la société requérante ne saurait utilement se prévaloir ni des dispositions de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965 modifié relatif à l'indication dans la notification des délais de recours, qui ne sont pas applicables aux décisions juridictionnelles ni des dispositions de l'article R.229, alinéa 3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel qui ne s'appliquent pas au Conseil d'Etat et qui, au surplus, ne s'appliquent qu'aux décisions avant dire droit, ce qui n'est pas le cas des deux ordonnances en cause ; que, dès lors, les conclusions dirigées contre ces deux ordonnances ont été présentées tardivement et ne sont, par suite, pas recevables ;
Sur les conclusions de la requête tendant à la révision de l'ordonnance du 12 juillet 1989 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat :
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du recours :
Considérant que, par une ordonnance en date du 21 juin 1988, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, saisi d'une demande du président de la commission nationale de la communication et des libertés, sur le fondement des dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, a enjoint la société "La Cinq" de se conformer aux obligations fixées par l'article 5 du décret du 26 janvier 1987, en ce qui concerne la diffusion des oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire et des oeuvres d'expression originale française et décidé que les manquements constatés donneraient lieu à une astreinte ; que, par l'ordonnance du 12 juillet 1989, dont la société requérante demande la révision, il a condamné la société requérante à verser au Trésor une somme de 60 010 000 F, représentant le montant de l'astreinte, déduction faite de la somme liquidée par une précédente ordonnance ;
Considérant qu'aux termes de l'article 75 de l'ordonnance du 31 juillet 1945, les décisions du Conseil d'Etat statuant au contentieux peuvent être révisées, notamment, "si la décision est intervenue sans qu'aient été observées les dispositions des articles 35, 36, 38, 39, 66 ( 1er), 67 et 68 de la présente ordonnance" ; que le premier paragraphe de l'article 66 de l'ordonnance du 31 juillet 1945 dispose que : "les séances de jugement sont publiques" ;
Considérant qu'aux termes de l'article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986 en vigueur à la date de l'ordonnance contestée : "En cas de manquement aux obligations résultant des dispositions de la présente loi et pour l'exécution des missions du conseil supérieur de l'audiovisuel, son président peut demander en justice qu'il soit ordonné à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l'irrégularité ou d'en supprimer les effets. - La demande est portée devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat qui statue en référé et dont la décision est immédiatement exécutoire. Il peut prendre, même d'office, toute mesure conservatoire et prononcer une astreinte pour l'exécution de son ordonnance ..." ; qu'eu égard à la nature des pouvoirs ainsi conférés au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, les dispositions de l'article 66 (1er) de l'ordonnance du 31 juillet 1945 relatif au caractère public des séances de jugement doivent être regardées comme applicables aux ordonnances du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat prises en application des dispositions précitées de l'article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986 ; qu'il résulte des mentions de l'ordonnance contestée que celle-ci n'a pas été rendue à l'issue d'une séance publique ; que par suite le recours de la société "La Cinq" est recevable ;
Considérant qu'en contestant la légalité de l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 pour le respect duquel il a été fait injonction, sous astreinte, à la société "La Cinq" de se conformer aux obligations qui en résultent en matière de programmation d'oeuvre, cette société remet en cause l'existence légale d'une obligation sur laquelle le Conseil d'Etat s'est déjà prononcé par l'ordonnance du 21 juin 1988 devenue définitive ; que, par suite, ce moyen est inopérant ;
Considérant que la société requérante soutient qu'une astreinte ne peut être liquidée sur le fondement de l'article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986 si parallèlement est engagée par le conseil supérieur de l'audiovisuel et pour le même manquement une procédure de sanction ; qu'il résulte des pièces du dossier que, par une délibération du 21 décembre 1989, le conseil supérieur de l'audiovisuel a mis fin à la procédure engagée contre la société "La Cinq" ; qu'ainsi, le moyen manque en fait ;
Considérant que la société "La Cinq" ne conteste pas que les oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire et les oeuvres audiovisuelles d'expression originale française diffusées entre le 1er mars 1988 et le 28 février 1989 représentent seulement 1 882 heures et 1 806 heures soit respectivement 34 % et 32,6 % du total des oeuvres audiovisuelles diffusées par la société "La Cinq" ; que ni le nombre relativement limité d'oeuvres d'expression originale française disponibles et correspondant aux critères de programmation choisis par la chaîne, ni le coût de production d'oeuvres nouvelles, n'établissent une impossibilité de respecter les quotas légaux et ne justifient une atténuation du montant de l'astreinte ; que dans ces conditions, il y a lieu, conformément à la demande du président du conseil supérieur de l'audiovisuel, de liquider l'astreinte au taux prévu par l'article 3 de l'ordonnance du 21 juin 1988, soit 30 000 F par heure manquante ;
Considérant qu'il y a lieu de déduire de l'astreinte ainsi calculée le montant de l'astreinte liquidée par l'ordonnance du 10 février 1989, soit 12 170 000 F ;
Considérant que selon l'article 61 de la loi du 29 décembre 1983 portant loi de finances pour 1984 modifié par l'article 43 de la loi de finances rectificative pour 1988, en date du 29 décembre 1988, la deuxième section du compte d'affectation spéciale "soutien financier de l'industrie cinématographique et de l'industrie des programmes audiovisuels" comporte en recette le produit des sommes que les titulaires d'une autorisation d'exploiter un service de communication audiovisuelle sont tenus de verser en application des dispositions du titre II de la loi du 30 septembre 1986 ;
Article 1er : Le recours en révision formé par la société "La Cinq" contre l'ordonnance du 12 juillet 1989 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat est admis.
Article 2 : L'ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat en date du 12 juillet 1989 est déclarée non avenue.
Article 3 : La société "La Cinq" est condamnée à verser au Trésor (compte d'affectation spéciale "soutien financier de l'industrie cinématographique et de l'industrie des programmes audiovisuels" - Deuxième section) une somme de soixante millions dix mille francs (60 010 000 F).
Article 4 : Le surplus des conclusions du recours de la société "La Cinq" est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au mandataire judiciaire chargé de la liquidation de la société "La Cinq", au conseil supérieur de l'audiovisuel et au ministre de la communication.