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11/01/1995 | FRANCE | N°129392

France | France, Conseil d'État, 8 / 9 ssr, 11 janvier 1995, 129392


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 9 septembre 1991 et 10 janvier 1992, présentés pour la REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT, dont le siège social est ..., (92 109), Boulogne-Billancourt cedex, représentée par ses dirigeants légaux en exercice ; la REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 31 mai 1991 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 12 décembre 1988 par laquelle l'inspecteur du travail

des Bouches-du-Rhône a refusé d'autoriser les licenciements de MM....

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 9 septembre 1991 et 10 janvier 1992, présentés pour la REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT, dont le siège social est ..., (92 109), Boulogne-Billancourt cedex, représentée par ses dirigeants légaux en exercice ; la REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 31 mai 1991 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 12 décembre 1988 par laquelle l'inspecteur du travail des Bouches-du-Rhône a refusé d'autoriser les licenciements de MM. X... et Y..., ensemble la décision de rejet résultant du silence gardé par le ministre sur le recours hiérarchique formé contre la décision du 12 décembre 1988 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir ces décisions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Delarue, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de MM. Y... et de X...,
- les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;

Sur la légalité des décisions attaquées :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;

Considérant que, pour refuser le licenciement de M. X..., délégué du personnel titulaire, membre suppléant du comité d'établissement et secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, salarié à Renault-Marseille, d'une part, et de M. Y..., délégué du personnel titulaire, membre suppléant du comité d'établissement et délégué syndical, salarié de la même entreprise, d'autre part, lesquels avaient fait l'objet d'une demande de licenciement fondée sur des désordres survenus lors d'une grève dans l'établissement, le 20 septembre 1988, l'inspecteur du travail, dont la décision en date du 12 décembre 1988 a été confirmée implicitement par le ministre, s'est fondé sur les contestations existant sur la réalité des faits reprochés aux intéressés, sur la circonstance que des faits de même nature reprochés à d'autres salariés auraient donné lieu à des sanctions disciplinaires de moindre importance, enfin sur le risque de conflits sociaux qui pouvaient résulter des autorisations de licenciements ;
Mais considérant, en premier lieu, que si la réalité de certains faits, en raison des circonstances ou de la fragilité de certains témoignages recueillis, ne peut être tenue pourétablie, il ressort des pièces du dossier, et, notamment, des procès-verbaux d'huissier produits à l'instance, que M. Y... a conduit, durant la journée du 20 septembre 1988, une manifestation de grévistes de Renault-Marseille qui s'est traduite par divers incidents et destructions et par la séquestration du directeur et du directeur-adjoint de l'établissement, lesquels ont subi des violences entraînant un arrêt de travail de dix jours ; que, loin d'avoir joué un rôle modérateur dans ces circonstances, M. Y... a frappé au visage un agent de l'établissement et forcé l'entrée du bureau de la direction ; qu'un tel comportement, en dépit de la tension existante du fait de la fermeture annoncée d'un site de l'établissement, ne saurait relever de l'exercice normal des mandats exercés par M. Y... ; qu'il ressort également du dossier que. M. X..., dont il est constant qu'il a enfoncé une porte condamnée pour accéder à des locaux où avait lieu une entrevue entre la direction et une délégation de grévistes et qu'il a participé à la séquestration du directeur, ne saurait être regardé comme ayant eu le rôle que l'exercice de son mandat lui imposait ; que les intéressés ont ainsi commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement, faute qui ne saurait trouver atténuation dans le fait que de nombreuses autres personnes ont participé aux incidents ainsi relatés ;
Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que d'autres salariés protégés de l'établissement, auxquels la direction reproche également des comportements injurieux et des violences, n'ont vu ces comportements sanctionnés que par une mise à pied de cinq jours, ne traduit pas, de la part de l'entreprise, une discrimination à l'égard de MM. Y... et X..., dès lors qu'il est établi que le comportement de ces derniers a eu un degré de gravité que les témoignages produits ne permettent pas d'attribuer à la conduite des autres personnes mises en cause ;

Considérant enfin que si, pour refuser le licenciement de ces deux salariés, l'inspecteur du travail avait la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, il ne pouvait le faire qu'à la condition de ne pas porter une atteinte excessive à l'un ou l'autre des intérêts en présence ; que, dans les circonstances de l'espèce, nonobstant la circonstance que le conflit du travail s'est prolongé dix jours après ces incidents, le refus d'autoriser les licenciements de MM. Y... et X... a porté une atteinte excessive aux intérêts de l'entreprise ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'inspecteur du travail des Bouches-du-Rhône et le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle n'ont pu légalement refuser l'autorisation de licenciement de MM. Y... et X... ; que la requérante est par suite fondée à soutenir que c'est à tort que, par jugement en date du 31 mai 1991, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande dirigée contre ces décisions ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 fait obstacle à ce que la REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à MM. X... et Y... la somme qu'ils demandent au titre des sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 31 mai 1991, ensemble la décision de l'inspecteur du travail des Bouches-du-Rhône du 12 décembre 1988 et la décision implicite de rejet du ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle sont annulées.
Article 2 : Les conclusions de MM. X... et Y... fondés sur l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Société anonyme REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT, à M. X..., à M. Y..., et au ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.


Type d'affaire : Administrative

Analyses

66-07-01 TRAVAIL ET EMPLOI - LICENCIEMENTS - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIES PROTEGES.


Références :

Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation: CE, 11 jan. 1995, n° 129392
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Delarue
Rapporteur public ?: M. Arrighi de Casanova

Origine de la décision
Formation : 8 / 9 ssr
Date de la décision : 11/01/1995
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 129392
Numéro NOR : CETATEXT000007854307 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1995-01-11;129392 ?
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