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05/05/1995 | FRANCE | N°155820

France | France, Conseil d'État, Section, 05 mai 1995, 155820


Vu la requête, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 4 février 1994, présentée pour M. Jorge X..., ayant élu domicile chez Me Pierre Y..., ... ; M. X... demande que le Conseil d'Etat :
1) annule le jugement du 7 décembre 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 22 septembre 1993 par laquelle le Conseil fédéral de la fédération française de football a décidé qu'il ne pourrait plus, jusqu'à nouvel ordre, se voir délivrer de licence à quelque titre que ce soit ;
2) annul

e pour excès de pouvoir la dite décision ;
Vu les autres pièces du dossier...

Vu la requête, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 4 février 1994, présentée pour M. Jorge X..., ayant élu domicile chez Me Pierre Y..., ... ; M. X... demande que le Conseil d'Etat :
1) annule le jugement du 7 décembre 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 22 septembre 1993 par laquelle le Conseil fédéral de la fédération française de football a décidé qu'il ne pourrait plus, jusqu'à nouvel ordre, se voir délivrer de licence à quelque titre que ce soit ;
2) annule pour excès de pouvoir la dite décision ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; Vu le traité des communautés européennes ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Chemla, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Ricard, avocat de M. Jorge X... et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la fédération française de football,
- les conclusions de M. Abraham, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'à la suite d'informations relatives à des faits de corruption à l'occasion du match disputé entre les équipes de Valenciennes et de Marseille le 20 mai 1993, le conseil fédéral de la fédération française de football, mettant en oeuvre la procédure d'évocation prévue à l'article 24 de ses statuts, a arrêté le 22 septembre 1993 plusieurs mesures "conservatoires et urgentes" concernant les résultats de ce match, l'un des clubs en cause et le directeur de ce club, enfin trois joueurs ; que pour ces derniers, au nombre desquels figure M. X..., qui n'était plus licencié à la date de la décision du conseil fédéral, il a été décidé qu'ils ne pourraient "se voir délivrer par les instances compétentes du football de licence à quelque titre que ce soit, jusqu'à nouvel ordre" ; que M. X..., à l'égard duquel a été prise une décision définitive le 22 avril 1994, conteste en tant qu'elle le concerne la décision du 22 septembre 1993 ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article R.153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, dans sa rédaction issue du décret du 22 janvier 1992 : "Sauf dans les cas mentionnés au premier alinéa de l'article L.9 et à l'article R.149, lorsque la décision lui parait susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent présenter leurs observations" ;
Considérant que le tribunal administratif a pu relever que la décision attaquée trouvait son fondement non seulement dans l'article 24 des statuts de la fédération française de football, qui était invoqué par ladite fédération mais également dans les dispositions de l'article 44 bis des règlements généraux annexés aux mêmes statuts sans entacher d'irrégularité son jugement ;
Sur la légalité externe de la décision du 22 septembre 1993 :
Considérant, en premier lieu, que si M. X... prétend que la décision attaquée aurait été prise en méconnaissance des règles de procédure fixées à l'article 176 des règlements généraux de la fédération française de football, il résulte de leurs termes mêmes que les dispositions de cet article, qui régissent les appels formés devant la commission fédérale d'appel contre les décisions prises par une commission centrale n'étaient pas applicables en l'espèce ;
Considérant, en second lieu, que le requérant a été averti à l'avance de la réunion du conseil fédéral, invité à prendre connaissance du dossier et représenté par un défenseur qui a produit des observations écrites puis été entendu par le conseil ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que les droits de la défense n'auraient pas été respectés manque en fait ;

Considérant, en troisième lieu, que le conseil fédéral de la fédération française de football n'est pas une juridiction ; que les stipulations du premier alinéa de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui ne sont applicables qu'aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions, ne peuvent donc être utilement invoquées par le requérant ; que si le deuxième alinéa du même article dispose que : "toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie", cette stipulation n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire qu'une mesure administrative soit prise à l'égard de personnes faisant l'objet de poursuites pénales ;
Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les membres du conseil fédéral aient manqué à l'impartialité à laquelle est tenue toute autorité administrative ;
Sur la légalité interne de la décision du 22 septembre 1993 :
Considérant, qu'aux termes de l'article 24 des statuts de la fédération française de football : "Le conseil fédéral détient les pouvoirs de direction et assure l'administration de la fédération ... Il statue sur tous les problèmes présentant un intérêt supérieur pour le football. Il peut se saisir, pour éventuellement les réformer, de toutes les décisions prises par les assemblées et instances élues ou nommées des organismes constitués au sein de la fédération qu'il jugerait contraires à l'intérêt supérieur du football ou aux statuts et règlements" ; que ces dispositions habilitaient le conseil fédéral à se saisir de la délibération de la commission supérieure juridique et de discipline, prise le 4 septembre 1993, décidant de "surseoir à statuer" sur d'éventuelles sanctions disciplinaires et lui donnaient le pouvoir, dans l'attente des résultats de l'instruction pénale en cours, d'arrêter les mesures conservatoires nécessaires à la sauvegarde des intérêts du sport dont il a la charge ;
Considérant, que la décision du 22 septembre 1993, relève qu'il existe de "fortes présomptions" que le match du 20 mai ait été entaché "au moins d'une tentative de corruption", que plusieurs joueurs, dont M. X... "y sont sérieusement impliqués" et qu'il en est résulté "un trouble important dans le monde du football" ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que ces constatations soient entachées d'inexactitude matérielle ;
Considérant, que si M. X... fait valoir que toute sanction doit être prévue par un texte et qu'aucune sanction ne peut être appliquée à un joueur qui n'est plus titulaire d'une licence, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision conservatoire et urgente prise à son égard n'a pas le caractère d'une sanction ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient M. X..., la décision attaquée n'a pas pour effet, par elle-même, de restreindre sa liberté de circulation et d'établissement garantie par le traité de Rome ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en interdisant jusqu'à nouvel ordre toute délivrance d'une nouvelle licence à l'intéressé, le conseil fédéral ait commis une erreur manifeste dans le choix de la mesure qu'appelaient les circonstances de l'espèce ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation, en tant qu'elle le concerne, de la décision du conseil fédéral de la fédération française de football en date du 22 septembre 1993 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des motifs tirés de ces mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la fédération française de football, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à M. X... la somme qu'il réclame ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de condamner ce dernier à verser à la fédération la somme de 17 790 F qu'elle réclame ;
Article 1er : La requête de M. X... est rejetée.
Article 2 : M. X... est condamné à verser à la fédération française de football la somme de 17 790 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jorge X..., à la fédération française du football et au ministre de la jeunesse et des sports.


Synthèse
Formation : Section
Numéro d'arrêt : 155820
Date de la décision : 05/05/1995
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT A UN PROCES EQUITABLE (ART - 6) - CHAMP D'APPLICATION - Inapplicabilité - Procédure devant le conseil fédéral de la fédération française de football.

26-055-01-06-01 Les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont applicables qu'aux procédures contentieuses devant les juridictions. Elles ne peuvent donc être utilement invoquées à l'encontre d'une décision du conseil fédéral de la fédération française de football, qui n'est pas une juridiction.

- RJ1 DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT A UN PROCES EQUITABLE (ART - 6) - VIOLATION - Absence - Article 6-2 - Mesure administrative prise à l'égard des personnes faisant l'objet de poursuites pénales (1).

26-055-01-06-02 Si l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit que "toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie", cette stipulation n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire qu'une mesure administrative soit prise à l'égard de personnes faisant l'objet de poursuites pénales. Par suite, n'est pas contraire à l'article 6-2 la décision du conseil fédéral de la fédération française de football de ne plus délivrer de licence, jusqu'à nouvel ordre, à un joueur soupçonné de corruption.

SPECTACLES - SPORTS ET JEUX - SPORTS - FEDERATIONS SPORTIVES - STATUTS - Mesure conservatoire de suspension prise à l'encontre d'un joueur soupçonné de corruption.

63-05-01-01 Les dispositions du statut de la fédération française de football en vertu desquelles le conseil fédéral "statue sur tous les problèmes présentant un intérêt supérieur pour le football" donnaient audit conseil le pouvoir d'arrêter, dans l'attente des résultats d'une instruction pénale relative à des faits de corruption, des mesures conservatoires nécessaires à la sauvegarde des intérêts du sport dont il a la charge. En interdisant jusqu'à nouvel ordre toute délivrance d'une nouvelle licence au joueur soupçonné, le conseil n'a pas commis d'erreur manifeste dans le choix de la mesure qu'appelaient les circonstances de l'espèce. Cette mesure n'ayant pas le caractère d'une sanction, les moyens tirés de ce qu'une sanction doit être prévue par un texte et qu'aucune sanction ne peut être appliquée à un joueur qui n'est plus titulaire d'une licence sont inopérants.


Références :

Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R153-1
Convention européenne du 04 novembre 1950 sauvegarde des droits de l'homme art. 6
Décret 92-77 du 22 janvier 1992
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75
Traité du 25 mars 1957 Rome

1.

Rappr. 1981-01-30, Jacquesson, p. 39 ;

1989-10-04, Mlle Leberche, T. p. 451


Publications
Proposition de citation : CE, 05 mai. 1995, n° 155820
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Combarnoux
Rapporteur ?: Mme Chemla
Rapporteur public ?: M. Abraham
Avocat(s) : Me Ricard, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1995:155820.19950505
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