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10/05/1995 | FRANCE | N°141487

France | France, Conseil d'État, 7 / 10 ssr, 10 mai 1995, 141487


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 septembre 1992 et 14 janvier 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH", dont le siège est ..., au Touquet-Paris-Plage (62520) ; la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 14 avril 1992 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal du Touquet-Paris-Plage en date du 5 juin 1989 autorisant la vente,

à la société civile immobilière "Mona Plage", des parcelles AK8...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 septembre 1992 et 14 janvier 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH", dont le siège est ..., au Touquet-Paris-Plage (62520) ; la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 14 avril 1992 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal du Touquet-Paris-Plage en date du 5 juin 1989 autorisant la vente, à la société civile immobilière "Mona Plage", des parcelles AK8 et AK9 appartenant à la commune ;
2°) annule cette délibération ;
3°) condamne la commune du Touquet-Paris-Plage à lui payer la somme de 9 000 F au titre des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des communes ;
Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le décret n° 55-216 du 3 février 1955 ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. de Lesquen, Auditeur,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH", de Me Hennuyer, avocat de la commune du Touquet-Paris-Plage et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la société auxiliaire de vente et de gestion SAVEG,
- les conclusions de M. Fratacci, Commissaire du gouvernement ;

En ce qui concerne l'intervention de la société auxiliaire de vente et de gestion :
Considérant que la société auxiliaire de vente et de gestion a intérêt au maintien de la délibération du conseil municipal du Touquet-Paris-Plage en date du 5 juin 1989 autorisant le maire à passer les actes concernant la cession, à la société civile immobilière "Mona Plage", de deux parcelles de terrain appartenant à la commune, sises avenue de l'Atlantique ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;
En ce qui concerne la requête de la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 153-I du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen soulevé d'office, le président de la formation de jugement en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent présenter leurs observations" ; que, pour rejeter la demande de la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" tendant à l'annulation de la délibération du 5 juin 1989, le tribunal administratif de Lille s'est notamment fondé sur ce que celle-ci serait purement confirmative d'une délibération adoptée par le conseil municipal du Touquet-Paris-Plage le 28 septembre 1984 et sur ce que, par suite, les moyens invoqués par la société relativement à la légalité interne de la délibération attaquée ne seraient pas recevables ; qu'il ressort des pièces du dossier que le président de la formation de jugement n'avait pas informé la société, avant l'audience, que le tribunal administratif envisageait de retenir cette prétendue irrecevabilité, qui n'avait été invoquée par aucune des parties ; qu'ainsi, le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance des dispositions réglementaires précitées ; que, dès lors, il doit être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" devant le tribunal administratif ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant que la délibération d'un conseil municipal relative à la vente d'un bien faisant partie du domaine privé de la commune présente le caractère d'un acte administratif ; que, dès lors, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande de la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" tendant à l'annulation de la délibération du 5 juin 1989 ;
Sur la légalité externe de la délibération attaquée :
Considérant que ni les dispositions de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers, lesquelles sont seulement applicables, en vertu de l'article 4 de ce décret, aux services de l'Etat et des établissements publics de l'Etat, ni aucun autre texte législatif ou réglementaire n'imposaient que la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" fût mise à même de présenter des observations écrites avant l'intervention de la délibération attaquée ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 121-10 du code des communes, dans sa rédaction en vigueur à la date de la délibération attaquée, la convocation du conseil municipal est adressée par le maire "aux conseillers municipaux par écrit et à domicile trois jours au moins avant celui de la réunion" ; que, si le délai ainsi déterminé présente un caractère franc en vertu des dispositions de l'article 26 du décret du 5 novembre 1926, il ressort des pièces du dossier que la convocation adressée par le maire du Touquet-Paris-Plage aux membres du conseil municipal pour la séance du 5 juin 1989 a été envoyée le 30 mai précédent, soit plus de trois jours francs avant la date prévue pour cette réunion ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le conseil municipal n'aurait pas été convoqué dans les conditions fixées par les prescriptions législatives précitées doit être écarté ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 121-10 du code des communes, dans sa rédaction alors en vigueur : "Dans les communes de 3 5000 habitants et plus, la convocation indique les questions à l'ordre du jour" ; que la convocation adressée aux membres du conseil municipal pour la séance du 5 juin 1989 mentionnait, dans une rubrique intitulée "mise en valeur du domaine communal et mise en vie quatre saisons de la station", que cette assemblée serait appelée à délibérer de la "mise en valeur touristique du front de mer" ; que, par suite, et alors que le conseil municipal avait déjà examiné à de nombreuses reprises depuis plusieurs années un projet d'aménagement immobilier et muséographique qui comportait la cession des deux parcelles susmentionnées appartenant à la commune, la société requérante n'est pas fondée à prétendre que la question soumise au conseil municipal n'aurait pas été indiquée avec une précision suffisante dans la convocation envoyée aux membres de cette assemblée ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles le conseil municipal a débattu du projet de délibération aient été entachées d'une irrégularité ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et aux relations entre l'administration et le public : "Doivent être motivées les décisions qui ... retirent ou abrogent une décision créatrice de droits" ;que, si le conseil municipal du Touquet-Paris-Plage avait décidé, par des délibérations des 27 août 1982 et 6 mai 1983, de céder les parcelles susmentionnées à la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" sans fixer de délai pour la passation de l'acte de vente, ces délibérations n'étaient créatrices de droits au profit de la société que sous la condition que la vente fût réalisée dans le délai à convenir entre les parties ; qu'il ressort des pièces du dossier que la société a obtenu, sur sa demande, le report de la date initialement fixée au 15 octobre 1983 pour le paiement du prix de vente et la passation de l'acte de cession ; qu'elle s'est ensuite abstenue de déférer à la mise en demeure, qui lui avait été adressée par le maire, de signer cet acte le 27 décembre 1983 ; qu'après que la commune eut informé la requérante, le 9 avril 1984, de son intention de chercher un autre acquéreur, puis eut accepté néanmoins de conclure la vente avec elle le 12 juillet 1984, l'un des deux gérants de la société a fait connaître, le 11 juillet, son opposition à la signature en raison d'un désaccord avec l'autre gérant ; qu'ainsi, et bien que la société ait remis le 5 mai 1984 au notaire chargé de l'établissement de l'acte la somme correspondant au prix de vente, la condition mise à la cession n'a pas été remplie du fait du comportement de la requérante ; que, par suite, les délibérations des 27 août 1982 et 6 mai 1983 n'ont créé aucun droit au profit de celle-ci ; que, dès lors, la délibération attaquée, qui n'a ni pour objet ni pour effet de retirer ou d'abroger une décision créatrice de droits, n'avait pas à être motivée en vertu des prescriptions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ;
Sur la légalité interne de la délibération attaquée :
Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" ne saurait se prévaloir de prétendus droits acquis qu'elle tiendrait des délibérations des 27 août 1982 et 6 mai 1983 ; qu'ainsi, elle n'est pas fondée à prétendre que la délibération attaquée aurait été adoptée en méconnaissance des principes régissant le retrait des actes créateurs de droits ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour prendre la délibération attaquée, le conseil municipal se soit fondé sur des faits matériellement inexacts ; que, si la requérante soutient que les membres de cette assemblée n'auraient pas été informés qu'elle avait interjeté appel du jugement du tribunal administratif de Lille en date du 30 décembre 1987 rejetant sa demande dirigée contre la délibération du 28 septembre 1984 par laquelle le conseil municipal avait autorisé une première fois le maire à passer les actes concernant la cession des parcelles susmentionnées à la société civile immobilière "Mona Plage", cette circonstance, à la supposer établie, n'a pas été de nature à influer sur le sens de la délibération attaquée ;

Considérant que les immeubles faisant l'objet de la délibération attaquée ont été acquis par la commune à la suite d'une expropriation pour cause d'utilité publique prononcée en vue de la construction d'un bâtiment comprenant des logements et un établissement culturel ; qu'ils doivent être cédés à la société "Mona Plage" dans le même but, l'établissement culturel étant cependant remis gratuitement à la commune après réalisation des travaux ; qu'aux termes de l'article L. 21-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : "Peuvent être cédés de gré à gré ou concédés temporairement à des personnes de droit privé ou de droit public et sous condition que ces personnes les utilisent aux fins prescrites par le cahier des charges annexé à l'acte de cession ou de concession temporaire : 1° les immeubles expropriés en vue de la construction d'ensembles immobiliers à usage d'habitation avec leurs installations annexes ..." ; qu'aux termes de l'article L. 23-3 de ce code : "Pour l'application de l'article L. 21-1, des cahiers des charges types approuvés par décret en Conseil d'Etat précisent notamment les conditions selon lesquelles les cessions et les concessions temporaires seront consenties et résolues en cas d'inexécution des charges. - Toute dérogation individuelle à ces cahiers doit être approuvée pardécret en Conseil d'Etat" ; qu'aux termes de l'article L. 21-4 du même code : "Pour l'application des articles L. 21-1 (1° et 2°) ..., les cahiers des charges joints aux actes de cession devront comprendre les clauses types prévues par le décret ... du 3 février 1955" ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'exige que le cahier des charges qui doit être joint à l'acte de cession soit soumis à l'approbation du conseil municipal lorsque celui-ci délibère de la vente d'un immeuble précédemment exproprié ; que, par suite, en admettant même que le cahier des charges concernant la cession consentie à la société "Mona Plage" n'ait pas comporté toutes les clauses types prévues par le décret du 3 février 1955, cette circonstance est sans influence sur la légalité de la délibération attaquée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la commune du Touquet-Paris-Plage et par la société civile immobilière "Mona Plage", que la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" n'est pas fondée à demander l'annulation de la délibération du 5 juin 1989 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH", sur le fondement des dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, à payer la somme de 5 000 F à la commune du Touquet-Paris-Plage pour les frais exposés par celle-ci devant le tribunal administratif de Lille et non compris dans les dépens ;
Sur l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu'aux termes de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens" ; que, d'une part, ces dispositions font obstacle à ce que la commune du TouquetParis-Plage, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser la somme que la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" demande pour les frais exposés par elle devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ; que, d'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner cette société, en application des mêmes dispositions, à payer la somme de 5 000 F à la société civile immobilière "Pouget-Atlantique", substituée dans les droits et obligations de la société civile immobilière "Mona Plage", et la somme de 5 000 F à la société auxiliaire de vente et de gestion ;
Article 1er : L'intervention de la société auxiliaire de vente et de gestion est admise.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 14 avril 1992 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" devant le tribunal administratif de Lille et le surplus des conclusions de la requête de cette société sont rejetés.
Article 4 : La SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" est condamnée à payer la somme de 5 000 F à la commune du Touquet-Paris-Plage sur le fondement des dispositionsde l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : La SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH" est condamnée à payer la somme de 5 000 F à la société civile immobilière "Pouget Atlantique" et la somme de 5 000 F à la société auxiliaire de vente et de gestion sur le fondement des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 .
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE "SANDY BEACH", à la commune du Touquet-Paris-Plage, à la société immobilière "Pouget-Atlantique", à la société auxiliaire de vente et de gestion, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et au ministre de l'équipement, des transports et du tourisme.


Synthèse
Formation : 7 / 10 ssr
Numéro d'arrêt : 141487
Date de la décision : 10/05/1995
Type d'affaire : Administrative

Analyses

135-02 COLLECTIVITES TERRITORIALES - COMMUNE.


Références :

Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique L21-1, L23-3, L21-4
Code des communes L121-10
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R153, L8-1
Décret du 05 novembre 1926 art. 26
Décret 55-216 du 03 février 1955
Décret 83-1025 du 28 novembre 1983 art. 8, art. 4
Loi 79-587 du 11 juillet 1979 art. 1, art. 75
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation : CE, 10 mai. 1995, n° 141487
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. de Lesquen
Rapporteur public ?: M. Fratacci

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1995:141487.19950510
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