La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/06/1995 | FRANCE | N°150716

France | France, Conseil d'État, Assemblee, 30 juin 1995, 150716


Vu la requête enregistrée le 10 août 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'Union des syndicats CGT de la Caisse des dépôts et consignations dont le siège est ... ; l'Union des syndicats CGT de la Caisse des dépôts et consignations demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 17 juin 1993 autorisant le transfert au secteur privé de la majorité du capital social de la société Crédit local de France ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des communes ;
Vu la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité e

t au contrôle des établissements de crédit ;
Vu la loi n°86-793 du 2 juillet ...

Vu la requête enregistrée le 10 août 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'Union des syndicats CGT de la Caisse des dépôts et consignations dont le siège est ... ; l'Union des syndicats CGT de la Caisse des dépôts et consignations demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 17 juin 1993 autorisant le transfert au secteur privé de la majorité du capital social de la société Crédit local de France ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des communes ;
Vu la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit ;
Vu la loi n°86-793 du 2 juillet 1986 et la loi n° 86-912 du 6 août 1986 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Fombeur, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de l'Union des syndicats CGT de la Caisse des dépôts et consignations,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 2 juillet 1986 autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social : "I - Sont approuvés par la loi les transferts au secteur privé de la propriété : - des entreprises dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social ; - des entreprises qui sont entrées dans le secteur public en application d'une disposition législative. - II - Les opérations ayant pour effet de réaliser un transfert du secteur public au secteur privé de propriétés d'entreprises autres que celles mentionnées au paragraphe I ci-dessus sont soumises à l'approbation de l'autorité administrative, dans des conditions fixées par les ordonnances mentionnées à l'article 5 ..." ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 20 de la loi du 6 août 1986 relative aux modalités d'application des privatisations décidées par la loi du 2 juillet 1986 : "Les opérations de transfert au secteur privé de la propriété des entreprises mentionnées au premier alinéa du paragraphe II de l'article 7 de la loi n° 86-793 du 2 juillet 1986 précitée sont autorisées par décret lorsque les effectifs desdites entreprises augmentés de ceux des filiales dans lesquelles elles détiennent, directement ou indirectement, plus de 50 pour 100 du capital social, sont supérieurs à mille personnes au 31 décembre de l'année précédant le transfert ou lorsque le chiffre d'affaires consolidé de ces entreprises et de leurs filiales telles qu'elles viennent d'être définies, est supérieur à 500 millions de francs à la date de clôture de l'exercice précédant le transfert" ; qu'aux termes du second alinéa du même article 20 : "Les opérations de transfert mentionnées au présent article ne peuvent concerner des entreprises dont l'exploitation présente le caractère d'un service public national ou d'un monopole de fait" ;
Considérant que le décret attaqué a eu pour objet d'autoriser l'Etat et la CAISSE des dépôts et consignations qui, antérieurement, détenaient respectivement 25,5 % et 25 % du capital social du Crédit local de France, le surplus du capital étant détenu par des actionnaires privés, à transférer au secteur privé 17,5 % et 13 % dudit capital ;
Sur les moyens tirés des dispositions du I de l'article 7 de la loi du 2 juillet 1986 :
Considérant qu'ainsi qu'il vient d'être dit, l'Etat ne détenait directement, avant l'intervention du décret attaqué, que 25,5 % du capital social du Crédit local de France ; qu'ainsi les dispositions de l'article 7-I de la loi du 2 juillet 1986 relatives aux "entreprises dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social" n'étaient pas applicables ;

Considérant il est vrai que lors de la constitution du Crédit local de France un décret du 6 octobre 1987 avait prévu le transfert de la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales à l'Etat d'actions représentant 78 % du capital social de la société "Crédit local de France -CAECL- société anonyme", devenue ensuite le "Crédit local de France", lesquelles actions avaient été initialement attribuées à la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales en rémunération de l'apport des biens, droits et obligations que cette caisse avait fait à la société "Crédit local de France -CAECL- société anonyme" ; que l'union requérante fait valoir qu'à la suite de ce transfert l'Etat détenait alors plus de la moitié du capital social et soutient que le décret attaqué serait ainsi intervenu en méconnaissance des dispositions de l'article 7-I de la loi du 2 juillet 1986 ;
Mais considérant qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part qu'au titre de la prise de participation minoritaire du secteur privé dans le capital de la société "Crédit local de France -CAECL- société anonyme" prévue par le même décret du 6 octobre 1987, un arrêté ministériel du 17 décembre 1987 a procédé au transfert de l'Etat au secteur privé d'un nombre d'actions correspondant à 27,5 % du capital de la société "Crédit local de France -CAECL- société anonyme", d'autre part, que l'Etat a, le 7 janvier 1988, cédé à la Caisse des dépôts et consignations 25 % du capital de la même société ; qu'ainsi, dès l'achèvement des opérations initiales de constitution et de répartition du capital du Crédit local de France, l'Etat ne détenait plus que 25,5 % des actions de cette société ; qu'eu égard à l'ensemble de ces circonstances, le moyen tiré de ce que la cession par l'Etat d'une partie du capital qu'il détenait n'aurait eu pour objet que d'échapper aux dispositions précitées de l'article 7-I de la loi du 2 juillet 1986 et serait ainsi constitutive d'un détournement de procédure ne saurait être accueilli ;

Sur les moyens tirés des dispositions du second alinéa de l'article 20 de la loi du 6 août 1986 :
Considérant qu'aux termes de l'article 18 de la loi du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit : "Les établissements de crédit sont agréés en qualité de banque, de banque mutualiste ou coopérative, de caisse d'épargne et de prévoyance, de caisse de crédit municipal, de société financière ou d'institution financière spécialisée ... Les institutions financières spécialisées sont des établissements de crédit auxquels l'Etat a confié une mission permanente d'intérêt public. Elles ne peuvent effectuer d'autres opérations de banque que celles afférentes à cette mission, sauf à titre accessoire" ; que le Crédit local de France est, au sens de ces dispositions, une institution financière spécialisée qui, selon l'article 2 de ses statuts : " ... a pour objet, à titre de mission permanente ... et à l'étranger toutes opérations de crédit en faveur du développement local, et notamment de l'équipement collectif, principalement au profit des collectivités locales et des établissements publics, des organismes bénéficiant de leur garantie, des sociétés d'économie mixte locales, des sociétés concessionnaires de services publics et plus généralement des organismes réalisant des opérations d'urbanisme et d'habitat, ou ayant passé avec une collectivité locale une convention pour la réalisation ou la gestion d'un équipement d'intérêt local ; - de pratiquer au profit de ces mêmes personnes toute activité de conseil et d'assistance en matière de gestion financière, d'ingénierie financière, et d'une manière générale, d'offrir tous les services destinés à faciliter leur gestion financière sous réserve des dispositions législatives relatives à l'exercice de certaines professions réglementées ; - de recueillir les dépôts de trésorerie des collectivités locales et des établissements publics locaux conformément à la réglementation qui leur est applicable ; - de conserver les fonds prêtés à ses clients, en attente d'emploi. A cet effet, elle peut notamment : - émettre des emprunts obligataires en France et à l'étranger destinés au financement des prêts qu'elle consent ; - créer des filiales ; détenir des participations dans les sociétés dont l'activité est de nature à faciliter la réalisation de l'objet social ; - constituer et gérer des fonds de garantie pour garantir le remboursement des crédits accordés aux organismes mentionnés au premier alinéa du présent article. Elle peut également réaliser toute opération entrant dans son objet pour le compte d'organismes ou d'institutions d'intérêt général qui lui donnent mandat." ;

Considérant que la réalisation d'opérations de crédit en faveur du développement local qui caractérise l'activité du Crédit local de France, s'exerce, dans des conditions de droit commun, en concurrence avec l'ensemble du système bancaire ; que, notamment, les prêts sont consentis aux conditions du marché, ne sont pas assortis de bonifications d'intérêt et sont financés à partir de ressources collectées sur le marché financier ; que si, à la vérité, l'article 1er du décret n° 87-814 du 6 octobre 1987 modifiant les règles d'organisation et de fonctionnement de la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales a ajouté au code des communes un article R. 236-26 bis qui avait pour objet et pour effet de permettre à la société Crédit local de France, alors en cours de constitution, de recueillir les dépôts de trésorerie des collectivités locales et des établissements publics locaux "conformément à la réglementation qui leur est applicable", ces dispositions ont perdu leur portée à compter du 1er janvier 1993, date à compter de laquelle les collectivités locales et leurs établissements publics n'ont plus eu la possibilité, à laquelle se référait l'article R. 236-26 bis, de déroger à l'obligation, résultant de l'article 15 de l'ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959, de déposer au Trésor leurs disponibilités ; que, par ailleurs, les dispositions, relatives à l'émission d'emprunts unifiés, qui demeurent insérées aux articles L. 236-11 et L. 236-12 du code des communes, ont trait à des attributions de la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales qu'aucune disposition législative n'a transférées au Crédit local de France ;
Considérant ainsi qu'eu égard à l'ensemble de ses caractéristiques, le Crédit local de France n'était pas, à la date du décret attaqué, au nombre des entreprises, visées au deuxième alinéa de l'article 20 de la loi du 6 août 1986 " ... dont l'exploitation présente le caractère d'un service public national ou d'un monopole de fait" ;
Sur le moyen tiré de l'article 34 de la Constitution :
Considérant que le transfert autorisé par le décret attaqué n'a eu ni pour objet ni pour effet de modifier les règles constitutives de la Caisse des dépôts et consignations ; que dès lors l'union requérante n'est pas fondée à soutenir que ce décret a été pris en violation des dispositions de l'article 34 de la Constitution selon lesquelles : "La loi fixe ... les règles concernant ... la création de catégories d'établissements public" ;
Considérant que de tout ce qui précède il résulte que l'union requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret du 17 juin 1993 ;
Article 1er : La requête de l'Union des syndicats CGT de la Caisse des dépôts et consignations est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union des syndicats CGT de la Caisse des dépôts et consignations, au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : Assemblee
Numéro d'arrêt : 150716
Date de la décision : 30/06/1995
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES ADMINISTRATIFS - DETOURNEMENT DE POUVOIR ET DE PROCEDURE - DETOURNEMENT DE PROCEDURE - Absence - Privatisation par décret du Crédit local de France après cession par l'Etat d'une part du capital social.

01-06-02, 43-02(1) Dès lors que l'Etat ne détenait directement, avant l'intervention du décret du 17 juin 1993, que 25,5 % du capital du Crédit local de France, les dispositions de l'article 7-I de la loi du 2 juillet 1986 prévoyant l'approbation par la loi de la privatisation des "entreprises dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social", n'étaient pas applicables. S'il est vrai que lors de la constitution du Crédit local de France le décret du 6 octobre 1987 avait prévu le transfert de la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales à l'Etat d'actions représentant 78 % du capital de la société en cours de constitution, la cession par l'Etat d'une partie du capital qu'il détenait ne peut être regardée comme ayant eu pour seul objet de permettre au gouvernement d'échapper aux dispositions de l'article 7-I de la loi du 2 juillet 1986, dès lors que la participation de l'Etat a été réduite à 25,5 % dès l'achèvement des opérations initiales de constitution et de répartition du capital du Crédit local de France.

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - CAISSES D'EPARGNE ET AUTRES ETABLISSEMENTS FINANCIERS - ETABLISSEMENTS FINANCIERS - Crédit local de France - Exploitation ne présentant pas le caractère d'un service public national ou d'un monopole de fait - Légalité du décret de privatisation du 17 juin 1993.

13-05-02, 43-02(2) Le Crédit local de France est une institution financière spécialisée au sens de l'article 18 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984. La réalisation d'opérations de crédit en faveur du développement local qui caractérise son activité s'exerce, dans des conditions de droit commun, en concurrence avec l'ensemble du système bancaire. Si l'article R.236-26 bis du code des communes permettait au Crédit local de France de recueillir les dépôts de trésorerie des collectivités locales, ces dispositions ont perdu leur portée à compter du 1er janvier 1993, date à laquelle ces collectivités ont perdu la faculté de déroger à l'obligation de déposer leurs disponibilités au Trésor. Eu égard à l'ensemble de ces caractéristiques, le Crédit local de France n'était pas, à la date du décret du 17 juin 1993, au nombre des entreprises "dont l'exploitation présente le caractère d'un service public national ou d'un monopole de fait", dont le deuxième alinéa de l'article 20 de la loi du 6 août 1986 exclut le transfert par décret au secteur privé.

NATIONALISATIONS ET ENTREPRISES NATIONALISEES - PRIVATISATIONS - Privatisations opérées en vertu de la loi n° 86-793 du 2 juillet 1986 - Décret du 17 juin 1993 autorisant le transfert au secteur privé de la majorité du capital social de la société Crédit local de France - (1) Absence de violation de l'article 7-I de la loi du 2 juillet 1986 - (2) Absence de violation de l'article 20 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986.


Références :

Code des communes L236-11, L236-12, R236-26 bis
Constitution du 04 octobre 1958 art. 34
Décret du 17 juin 1993 décision attaquée confirmation
Décret 87-814 du 06 octobre 1987 art. 1
Loi 84-46 du 24 janvier 1984 art. 18
Loi 86-793 du 02 juillet 1986 art. 7
Loi 86-912 du 06 août 1986 art. 20
Ordonnance 59-2 du 02 janvier 1959 art. 15


Publications
Proposition de citation : CE, 30 jui. 1995, n° 150716
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Denoix de Saint Marc
Rapporteur ?: Mlle Fombeur
Rapporteur public ?: M. Bonichot
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1995:150716.19950630
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award