Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 14 juin 1991 et 14 octobre 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour :
- la société des Etablissements "Lefebvre" Frère et Soeur dont le siège social est à Douai, 20, place Saint Amé (59500), agissant poursuites et diligences de son président-directeur général domicilié audit siège ;
- la société "Etablissements A. CARRIERE et ses gendres" dont le siège social est ..., représentée par son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société "BOURGOGNE PRIMEURS S.A." dont le siège est ..., représentée par son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société "FRANCOR" dont le siège est ..., agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice domicilié audit siège ;
- la société "GINER ET COMPAGNIE" dont le siège social est à Marché Gare BP 706 à Avignon Cedex (84033), agissant poursuites et diligences de son président-directeur général domicilié audit siège ;
- la société "MURISSERIES DU CENTRE" dont le siège social est ..., agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice domicilié audit siège ;
- la société "LES MURISSERIES FRANCAISES" dont le siège est ..., agissant poursuites et diligences de son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société des Etablissements "TEDESCO ET COMPAGNIE" dont le siège social est ..., Cedex 02 (69786), agissant poursuites et diligences de son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société "Etablissements SOLY IMPORT S.A." dont le siège social est ..., agissant poursuites et diligences de son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société "SCARDIGLI" dont le siège social est ... Cedex 14 (13323), agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice domicilié audit siège ;
- la société des Etablissements "CONSTANTINI ET COMPAGNIE" dont le siège social est sis au M.I.N. de Lyon rue Casimir Z... (69286) Lyon Cedex 1, agissant poursuites et diligences de son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société "GALDERIN S.A." dont le siège social est ..., agissant poursuites et diligences de son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société "MARCO Y... S.A." dont le siège social est R.N. 54 à Chartres-Gellainville (28000), agissant poursuites et diligences de son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société "DAUPRINE PRIMEURS S.A.R.L." dont le siège est à Saint-Martin-d'Hères, ... (38400), agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice domicilié audit siège ;
- la société "HEINTZ S.A." dont le siège social est ..., agissant poursuites et diligences de son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société "MORRO et Fils" dont le siège social est ..., agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés audit siège ;
- la société "BESTUEU S.A." dont le siège social est ..., agissant poursuites et diligences de son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société "VINCENS PRIMEURS S.A." dont le siège social est rue Michaël Faradet et avenue Pierre Biffault, Le Mans (62200), Z.I.S. B. 10, agissant poursuites et diligences de son président-directeur général en exercice domicilié audit siège ;
- la société "JUAN Frères" dont le siège social est à Cavaillon M.I.N. Marché Gare Boxes 8 et 9 (84300), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés audit siège ;
- et les Etablissements "ROGER X..." dont le siège social est sis à Avignon Boxes 4 et 5 (84000), agissant poursuites et diligences de leurs représentants légaux en exercice domiciliés audit siège ;
les requérants demandent que le Conseil d'Etat :
1°) annule un jugement en date du 14 février 1991 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur requête tendant à l'annulation des décisions par lesquelles le ministre de l'économie et des finances a rejeté leur demande de licences d'importation de bananes originaires de pays tiers mise en libre pratique dans d'autre pays de la Communauté économique européenne ainsi qu'à la réparation du préjudice subi de ce chef ;
2°) annule les décisions attaquées ;
3°) leur accorde réparation du préjudice subi ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité de Rome et notamment ses articles 30 et suivants et 115 ;
Vu la loi d'orientation agricole du 10 juillet 1975 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Bechtel, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Choucroy, avocat de la société des Etablissements Lefebvre Frère et Soeur et autres,
- les conclusions de Mme Denis-Linton, Commissaire du gouvernement ;
Sur la compétence d'appel du Conseil d'Etat :
Considérant qu'aux termes de l'article R.73 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsque le Conseil d'Etat est saisi de conclusions relevant de sa compétence comme juge d'appel, il est également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant normalement de la compétence d'une cour administrative d'appel." ; que les demandes présentées devant le tribunal administratif de Paris par la société des Etablissements Lefebvre Frère et Soeur et autres requérants présentaient le caractère d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre les décisions par lesquelles le ministre de l'économie et des finances leur a refusé des licences d'importation, assorti de conclusions tendant, par voie de conséquence, à la réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité alléguée de ce refus ; qu'eu égard à la connexité entre lesdites conclusions, reprises en appel, et les conclusions tendant à l'annulation des décisions attaquées, le Conseil d'Etat est compétent, en application des dispositions précitées, pour connaître de l'ensemble du litige ; qu'il suit de là que le ministre de l'économie et des finances n'est pas fondé à demander que le jugement de la requête soit attribué à la cour administrative d'appel de Paris ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il ressort de ce qui a été dit ci-dessus que les demandes de la société des Etablissements Lefebvre Frère et Soeur et des autres requérants comportaient des conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice qu'ils auraient subi du fait du refus des licences d'importation sollicitées ; que le jugement attaqué a omis de statuer sur ces conclusions ; que les requérants sont, dès lors, fondés à en demander pour ce motif l'annulation, en tant que les premiers juges ont omis de statuer sur lesdites conclusions ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées devant le tribunal administratif de Paris en tant qu'elles tendaient à la réparation des préjudices allégués ; qu'il y a également lieu de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les conclusions à fin d'annulation des décisions attaquées ;
Sur la légalité des décisions attaquées :
Considérant qu'aux termes de l'article 115 du Traité instituant la Communauté économique européenne : "Aux fins d'assurer que l'exécution des mesures de politique commerciale prises, en conformité avec le présent traité, par tout Etat membre, ne soit empêchée par des détournements de trafic, et lorsque les disparités dans ces mesures entraînent des difficultés économiques dans un ou plusieurs Etats, la commission recommande les méthodes par lesquelles les autres Etats membres apportent la coopération nécessaire. A défaut, elle autorise les Etats membres à prendre les mesures de protection nécessaires dont elle définit les conditions et modalités." ; que, sur le fondement de ces stipulations, la commission des communautés a, par décision du 8 mai 1987, autorisé la France à exclure du traitement communautaire les bananes fraîches originaires de pays tiers mises en libre pratique dans les autres Etats membres, puis, par une décision du 27 octobre 1987 reprise dans les mêmes termes le 5 mai 1988, a subordonné cette autorisation à la condition qu'un quota de 25 % des quantités nécessaires à la satisfaction des besoins du marché interne non couverts par la production nationale et les importations des Etats "ACP" soit réservé aux importateurs désirant importer des bananes originaires de la zone dollar mises en libre pratique dans les autres Etats membres ;
Considérant que dès lors que l'article 115 du Traité de Rome a notamment pour effet de permettre qu'il soit dérogé aux stipulations des articles 30 et suivants du même Traité prohibant les restrictions quantitatives à la libre circulation de marchandises, les requérants ne sauraient utilement invoquer la violation desdites stipulations qui résulterait, selon eux, de ce que le monopole des licences d'importation attribuées au groupement d'intérêt économique bananier en contrepartie d'un engagement sur une grille de prix aurait eu pour effet de mettre en place une organisation nationale du marché de la banane prohibée par l'article 33 du Traité ; que si les requérants soutiennent également que c'est par une discrimination injustifiée au regard des dispositions précitées de la décision de la Commission qu'il ont été écartés de l'attribution des licences d'importation, il ressort des pièces du dossier qu'en confiant au groupement d'intérêt économique le soin de répartir lesdites licences, le ministre de l'économie et des finances n'a pas excédé les termes de l'habilitation donnée par la Commission ; qu'au surplus, certains membres du groupement d'intérêt économique se sont vu également opposer des refus de licence ; qu'il suit de là que les décisions attaquées n'ont été prises ni en méconnaissance des stipulations du Traité de Rome, ni en violation des décisions susmentionnées de la Commission des Communautés européennes ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions attaquées ;
Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice allégué :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les établissements requérants, qui ne sont fondés à se prévaloir d'aucune illégalité fautive de l'administration à leur égard, ne peuvent ainsi demander la mise en cause de la responsabilité de l'administration pour faute ; que si les requérants se prévalent également de la rupture de l'égalité devant les charges publiques résultant à leur détriment des décisions attaquées, le préjudice allégué ne présente en tout état de cause et en dépit des allégations des requérants tendant à en établir la réalité et le montant, aucun caractère certain ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les demandes présentées par les établissements requérants devant le tribunal administratif de Paris ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 14 février 1991, est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions des sociétés requérantes tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser des indemnités.
Article 2 : Les demandes présentées par les sociétés requérantes devant le tribunal administratif de Paris, et tendant à la condamnation de l'Etat à leur payer des indemnités, et le surplus des conclusions de la requête des sociétés requérantes sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société des Etablissements Lefebvre Frère et Soeur, à la société établissements A. CARRIERE ET SES GENDRES, à la société FRANCOR, à la société GINER ET COMPAGNIE, à la société MURISSERIES DU CENTRE, à la société LES MURISSERIES FRANCAISES, à la société des établissements TEDESCO ET COMPAGNIE, à la société des établissements SOLY IMPORT S.A., à la société SCARDIGLI, à la société des établissements CONSTANTINI ET COMPAGNIE, à la société GALDERIN S.A., à la société MARCO Y... S.A., à la société DAUPRINE PRIMEURS S.A.R.L., à la société HEINTZ S.A., à la société MORRO ET FILS, à la société BESTUEU S.A., à la société VINCENS PRIMEURS S.A., à la société JUAN FRERES, aux établissements ROGER X... et au ministre de l'économie et des finances.