La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/07/1995 | FRANCE | N°157565

France | France, Conseil d'État, 10 / 7 ssr, 28 juillet 1995, 157565


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 avril 1994 et 8 août 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par l'ASSOCIATION "ALEXANDRE", dont le siège est ..., représentée par son président en exercice domicilié audit siège ; l'association demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule pour excès de pouvoir l'arrêté en date du 26 janvier 1994 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à l'égard de la revue "Gaie France" les interdictions prévues à l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications desti

nées à la jeunesse ;
2°) condamne l'Etat à lui verser la somme de 100 F a...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 avril 1994 et 8 août 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par l'ASSOCIATION "ALEXANDRE", dont le siège est ..., représentée par son président en exercice domicilié audit siège ; l'association demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule pour excès de pouvoir l'arrêté en date du 26 janvier 1994 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à l'égard de la revue "Gaie France" les interdictions prévues à l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ;
2°) condamne l'Etat à lui verser la somme de 100 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, et notamment son article 75-I ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Bechtel, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Scanvic, Commissaire du gouvernement ;

En ce qui concerne les moyens tirés du défaut de notification et du défaut de motivation :
Considérant, en premier lieu, qu'un arrêté prononçant une ou plusieurs des interdictions prévues par l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 modifiée sur les publications destinées à la jeunesse est au nombre des décisions qui doivent être motivées en vertu de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Considérant, d'une part, que, si l'arrêté par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à l'égard de la revue "Gaie France" les interdictions prévues à l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 n'a pas été notifié aux éditeurs de la publication, cette circonstance est sans influence sur la légalité de cet arrêté ; que, par suite, l'association requérante ne peut utilement invoquer à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation dudit arrêté un défaut de motivation résultant du défaut de notification ;
Considérant, d'autre part, que l'arrêté attaqué, publié au Journal officiel du 2 février 1994, se fonde, pour justifier les interdictions autorisées par la loi du 16 juillet 1949, sur la place faite dans la revue en cause "au prosélytisme en faveur de la pédophilie" ; qu'un tel motif qui comporte les éléments de fait et de droit de nature à fonder la mesure prise doit être regardé comme satisfaisant aux prescriptions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susmentionnée ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation des dispositions en date du 16 juillet 1949 :
Considérant que l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 modifiée, autorise le ministre de l'intérieur à interdire de proposer, donner ou vendre à des mineurs les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse en raison notamment de leur caractère licencieux ou pornographique et l'autorise en outre à assortir cette mesure de l'interdiction d'exposer ces publications à la vue du public et de faire pour elles de la publicité par voie d'affiches et, le cas échéant, de l'interdiction d'effectuer en faveur de ces publications quelque publicité que ce soit ;
Considérant qu'eu égard à la présentation extérieure et à certains éléments, notamment photographiques, de son contenu, la revue mensuelle "Gaie France" a pu à bon droit être regardée comme présentant un danger pour la jeunesse en raison de son caractère d'incitation à la pédophilie ;

Considérant qu'il appartient au juge de la légalité de rechercher si les circonstances de l'espèce justifient l'intervention des mesures pouvant accompagner l'interdictionde vente aux mineurs des publications présentant un danger pour la jeunesse ; que le moyen tiré de ce qu'une revue de même inspiration que la publication litigieuse aurait, antérieurement, fait l'objet d'une simple interdiction de vente aux mineurs ne peut dès lors être utilement invoqué ; qu'en l'espèce il ressort des pièces du dossier que les interdictions d'exposition et de toute forme de publicité ne présentent pas un caractère excessif ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme :
Considérant qu'en vertu des stipulations du 2ème alinéa de l'article 10 de ladite convention, l'exercice de la liberté d'expression "peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique ... à la protection de la santé ou de la morale ..." ; que les mesures faisant l'objet de l'arrêté attaqué entrent dans le champ d'application de ces stipulations et qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les interdictions prononcées par l'arrêté attaqué aient porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, eu égard au but poursuivi par cette mesure ; que la circonstance que les mesures attaquées aient pour effet, en vertu de la loi du 2 avril 1947, d'apporter des restrictions à la diffusion de la publication en cause, ne rend pas davantage excessive l'atteinte à la liberté portée par ledit arrêté ;
En ce qui concerne le moyen tiré du détournement de pouvoir :
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué du ministre de l'intérieur ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser à l'association requérante la somme de 100 F qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de l'ASSOCIATION "ALEXANDRE" est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION "ALEXANDRE" et au ministre de l'intérieur.


Type d'affaire : Administrative

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - LIBERTES PUBLIQUES - LIBERTE DE LA PRESSE.

PRESSE - LIBERTE DE LA PRESSE - QUESTIONS GENERALES.


Références :

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 10
Loi 47-585 du 02 avril 1947
Loi 49-956 du 16 juillet 1949 art. 14
Loi 79-587 du 11 juillet 1979 art. 1
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation: CE, 28 jui. 1995, n° 157565
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Bechtel
Rapporteur public ?: M. Scanvic

Origine de la décision
Formation : 10 / 7 ssr
Date de la décision : 28/07/1995
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 157565
Numéro NOR : CETATEXT000007862103 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1995-07-28;157565 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award