Vu la requête enregistrée le 14 février 1992 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Paul-Henri Y..., agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la Société coopérative ouvrière de production "Chauffage et Ventilation", dont le siège est au ..., demeurant, en cette qualité, ... ; M. Y... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 11 décembre 1991 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 24 mars 1988 de l'inspecteur du travail du Finistère, refusant d'autoriser le licenciement M. Paul X..., salarié protégé ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cette décision ;
Vu les autres pièces du dossier
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Plagnol, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Le Bret, Laugier, avocat de M. Y..., (agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la Société Coopérative Ouvrière de Production "Chauffage et Ventilation", de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de M. X... et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société entreprise industrielle,
- les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu des articles L. 425-1 et L. 436-1 du code du travail, qui subordonnent leur licenciement à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement, les titulaires d'un mandat de délégué du personnel ou de membre du comité d'entreprise bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque leur licenciement est envisagé, il ne doit être en rapport, ni avec les fonctions représentatives normalement exercées par eux, ni avec leur appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement repose sur un motif économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du travail, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie ce licenciement, en tenant compte notamment, de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement des salariés concernés, y compris, en vertu des dispositions ajoutées aux articles précités du code du travail par l'article 227 de la loi du 25 janvier 1985, lorsque l'entreprise fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ;
Considérant qu'après avoir décidé, le 22 décembre 1987, d'ouvrir une telle procédure à l'égard de la société anonyme coopérative de production "Chauffage et Ventilation", le tribunal de commerce de Brest, a par son jugement du 17 février 1987, rendu au vu du rapport établi par l'administrateur judiciaire qu'il avait désigné, prescrit la cession à la société anonyme "Entreprise Nouvelle" des biens liés à la branche d'activité de "Chauffage et Ventilation" que cette société avait proposé de reprendre, ainsi que la liquidation des éléments d'actif correspondant aux branches d'activités non comprises dans cette cession partielle, et "ordonné" le licenciement des membres du personnel de la société "Chauffage et Ventilation" dont la société anonyme "Entreprise Nouvelle" n'avait pas proposé de maintenir l'emploi ; que, le 10 mars 1988, M. Y..., administrateur de la société "Chauffage et Ventilation", a demandé l'autorisation de licencier, pour motif économique, M. X..., secrétaire du comité d'entreprise et délégué du personnel ; que, le 24 mars 1988, l'inspecteur du travail de Brest a refusé de faire droit à cette demande ;
Considérant, d'une part, que, ni le fait que M. X... n'exerçait pas son activité dans la branche d'activité de la société "Chauffage et Ventilation" que la société anonyme "Entreprise nouvelle" avait offert de reprendre, ni celui que son contrat de travail ne s'est pas poursuivi de plein droit avec cette société, ainsi que devait le juger la Cour de cassation par un arrêt du 23 février 1994, n'ont pu avoir pour effet de priver M. X... de la protection exceptionnelle qu'il tenait des dispositions précitées du code du travail ;
Considérant, d'autre part, que l'administrateur judiciaire de la société "Chauffage et Ventilation" ne justifie pas avoir examiné la possibilité de reclasser M. X... dans un emploi équivalent à celui qu'il occupait dans cette société, au sein de la branche d'activité de cette dernière que la société anonyme "Entreprise Nouvelle" avait proposé de reprendre ; que l'inspecteur du travail de Brest ayant à bon droit refusé, notamment pour ce motif, d'autoriser le licenciement de M. X..., M. Y... n'est pas fondé à reprocher au tribunal administratif de Rennes d'avoir, par le jugement attaqué, rejeté sa demande d'annulation de cette décision de refus ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de ces dispositions et de condamner M. Y..., ès qualités d'administrateur de la société "Chauffage et Ventilation", à payer à M. X... la somme réclamée par celui-ci au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de M. Paul-Henri Y... est rejetée.
Article 2 : M. Y..., ès qualités d'administrateur judiciaire de la société "Chauffage et Ventilation" paiera à M. X... une somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Paul-Henri Y..., à M. X... et à la Société anonyme entreprise industrielle, et au ministère du travail, du dialogue social et de la participation.