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17/11/1995 | FRANCE | N°160348

France | France, Conseil d'État, 10 / 7 ssr, 17 novembre 1995, 160348


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 juillet 1994 et 17 novembre 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU GRAND GIGOGNAN, dont le siège est situé En Courtine à Avignon (84000) ; la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU GRAND GIGOGNAN demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le décret du 31 mai 1994 déclarant d'utilité publique et urgents les travaux de construction du prolongement de la ligne TGV Sud-Est de Valence jusqu'à Marseille et Montpellier ;
2°) de condamner l'Etat à lui ve

rser la somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les au...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 juillet 1994 et 17 novembre 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU GRAND GIGOGNAN, dont le siège est situé En Courtine à Avignon (84000) ; la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU GRAND GIGOGNAN demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le décret du 31 mai 1994 déclarant d'utilité publique et urgents les travaux de construction du prolongement de la ligne TGV Sud-Est de Valence jusqu'à Marseille et Montpellier ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Rousselle, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Richard-Mandelkern, avocat de la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU GRAND GIGOGNAN,
- les conclusions de M. Combrexelle, Commissaire du gouvernement ;

En ce qui concerne la légalité externe du décret attaqué déclarant d'utilité publique et urgents les travaux de construction du prolongement du TGV Sud-Est de Valence à Marseille et Montpellier :
Sur le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article R.11-3 du code de l'expropriation :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes des dispositions de l'article R.11-3 du code de l'expropriation : "La notice explicative indique l'objet de l'opération et les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de l'insertion dans l'environnement, parmi les partis envisagés, le projet soumis à l'enquête a été retenu" ; qu'il ressort des pièces du dossier que la notice explicative jointe au dossier d'enquête publique est conforme aux dispositions précitées du code de l'expropriation ; qu'elle informe notamment le public sur les atteintes à l'environnement que le projet est susceptible d'entraîner et sur les mesures prévues pour éviter les atteintes à celui-ci et les nuisances diverses ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes du même article R.11-3 du code de l'expropriation : "L'expropriant adresse au préfet, pour être soumis à l'enquête, un dossier qui comporte obligatoirement; I. Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages : ... 5° l'appréciation sommaire des dépenses" ; que les dépenses prévues pour la réalisation du prolongement de la ligne du TGV ont été estimées à 26,5 milliards de F dans le dossier soumis à enquête publique ; que si les études complémentaires conduisent à estimer que la réalisation du projet aurait un coût supérieur à celui prévu par le dossier d'enquête, notamment pour faire face aux dépenses destinées à réduire les inconvénients en matière hydraulique, en matière de bruit ou d'isolation, la faible différence entre l'évaluation initiale et cette seconde estimation n'est pas de nature à vicier la procédure suivie ; que, par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait que fussent versées au dossier mis à l'enquête les pièces indiquant le mode de financement des travaux ;
Sur le moyen tiré de ce que le dossier soumis à enquête publique ne satisferait pas aux objectifs fixés par la directive du 27 juin 1985 du conseil des communautés européennes :
Considérant en tout état de cause, que le moyen susanalysé, tiré de ce que le dossier d'enquête ne comprendrait pas un résumé non technique des informations manque en fait ;
Sur le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact :

Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 12 octobre 1977 "le contenu de l'étude d'impact doit être en relation avec l'importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l'environnement. L'étude d'impact présente successivement : 1° une analyse de l'état initial du site et de son environnement portant notamment sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes oude loisir affectés par les aménagements ou ouvrages ; 2° une analyse des effets sur l'environnement et en particulier sur les sites et les paysages, la faune et la flore, les milieux naturels et les équilibres biologiques, et le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l'hygiène et la salubrité publique ; 3° les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue des préoccupations d'environnement, parmi les partis envisagés, le projet présenté a été retenu ; 4° les mesures envisagées par le maître de l'ouvrage ou le pétitionnaire pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l'environnement, ainsi que l'estimation des dépenses correspondantes" ;
Considérant que le volume 2A-D1 comporte une étude d'impact approfondie de la ligne nouvelle et notamment une description de l'aire d'étude, de l'état initial du site et de son environnement et une comparaison des variantes de tracés avec leurs effets sur l'environnement ; que le volume 2B-D est consacré à l'analyse de la solution retenue et correspond une étude détaillée des impacts généraux et des mesures prévues s'agissant des paysages, milieux physiques et milieux naturels, de l'agriculture, de l'urbanisme et du patrimoine, du bruit, des vibrations de l'effet de souffle et de l'alimentation électrique, de l'hydraulique du coût des mesures envisagées, et des incidences du choix retenu sur les équipements de transport existants ou en cours de réalisation, ainsi que sur leurs conditions d'exploitation ; que la circonstance que le dossier renvoie à certaines études complémentaires notamment en matière d'hydraulique ou de moyens technologiques n'est pas de nature à rendre l'étude d'impact insuffisante au regard des critères définis par le décret susvisé ;
Sur le défaut d'avis de la commission départementale des sites, perspectives et paysages du Vaucluse :
Considérant, en premier lieu, que si les dispositions de l'article L.146-7 du code de l'urbanisme exige sous certaines conditions la consultation de la commission départementale des sites, celle-ci se rapporte exclusivement à l'impact de l'implantation des nouvelles routes en bordure des rivages sur la nature ; que la déclaration d'utilité publique des travaux relatifs à la prolongation de la ligne de tracé à grande vitesse n'entre pas dans le champ d'application de l'article précité du code de l'urbanisme ; que, dès lors, la consultation de la commission départementale des sites n'était pas obligatoire ;

Considérant, en deuxième lieu, que si, en vertu des dispositions de l'article R.242-32 du code rural le délégué régional à l'architecture et à l'environnement présente un rapport à la commission départementale des sites, perspectives et paysages, qui est consultée à cet effet s'agissant de l'expropriation d'un territoire ou d'une partie de territoire agréé comme réserve naturelle volontaire, il ressort des pièces du dossier que l'avis de la commission départementale des sites, perspectives et paysages compétente a été recueilli s'agissant du passage du projet dans la zone naturelle de la Barben et que l'avis des instances gestionnaires du parc naturel régional du Lubéron a été également recueilli s'agissant de la traversée de celui-ci ;
Sur le défaut de visas des avis du conseil général du Vaucluse et du conseil municipal d'Avignon :
Considérant que si le conseil général du Vaucluse s'est associé au conseil municipal d'Avignon pour demander la modification du tracé existant, l'absence de visas de cet avis n'est pas de nature à entacher la légalité du décret attaqué ; que par ailleurs, l'avis du conseil municipal d'Avignon a été demandé s'agissant de la mise en compatibilité de son plan d'occupation des sols par lettre du préfet du Vaucluse visée par le décret ainsi que la délibérationdu conseil municipal de la ville d'Avignon ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du décret n° 84-617 du 17 juillet 1984 :
Considérant qu'aux termes de l'article 4 du décret du 17 juillet 1984 pris pour l'application de l'article 14 de la loi du 30 décembre 1982 : "L'évaluation des grands projets d'infrastructure comporte :
... 3° Les motifs pour lesquels, parmi les partis envisagés par le maître d'ouvrage, le projet présenté a été retenu. 4° Une analyse des incidences de ce choix sur les équipements de transport existant ou en cours de réalisation, ainsi que sur leurs conditions d'exploitation, et un exposé sur sa compatibilité avec les schémas directeurs d'infrastructures applicables ... L'évaluation des grands projets d'infrastructures comporte également une analyse des différentes données de nature à permettre de dégager un bilan prévisionnel, tant des avantages et inconvénients entraînés, directement ou non, par la mise en service de ces infrastructures dans les zones intéressées que des avantages et inconvénients résultant de leur utilisation par les usagers ... Les diverses variantes envisagées par le maître d'ouvrage d'un projet font l'objet d'évaluations particulières selon les mêmes critères. L'évaluation indique les motifs pour lesquels le projet présenté a été retenu ..." ;
Considérant que les motifs pour lesquels le projet présenté a été retenu, l'analyse des incidences de ce choix et des différentes données de nature à permettre de dégager un bilan prévisionnel ainsi que l'évaluation des différentes variantes du projet figurent dans l'évaluation socio-économique du projet (volume 4 E du dossier d'enquête point 3-2/, qui renvoie explicitement à la notice/ partie du volume 1 B et aux études de détail du chapitre 4 F du volume 2A-D de l'étude d'impact) ;
Sur les conclusions des commissaires enquêteurs :

Considérant que, à supposer que les conclusions de la commission chargée de l'enquête puissent être assimilées à des conclusions défavorables en ce qu'elles étaient assorties de conditions et réserves qui n'auraient pas été respectées par le projet déclaré d'utilité publique par le décret attaqué, il résulte de la combinaison des articles L.11-2 et R.11-1 et R.11-2 du code de l'expropriation que, l'utilité publique ayant été déclarée par décret en Conseil d'Etat, l'avis défavorable de la commission d'enquête, qui ne lie pas l'auteur de l'acte, est sans influence sur la légalité dudit décret ;
Sur le moyen tiré de la modification du projet après l'enquête :
Considérant que si le projet du tracé du TGV Méditerranée déclaré d'utilité publique diffère de celui soumis à l'enquête dans plusieurs secteurs, notamment dans le secteur d'Avignon s'agissant de l'implantation de la future gare d'Avignon, de telles modifications ont été apportées pour tenir compte des observations recueillies au cours de l'enquête et n'affectent pas l'économie générale du projet ; qu'elles ne sauraient être regardées comme une remise en cause du projet mis à l'enquête ; que ces modifications pouvaient être adoptées sans nouvelle enquête ;
Sur le moyen tiré de l'absence d'utilité publique :
Considérant qu'une opération ne peut être déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le projet de TGV dit "Méditerranée" qui a pour objet de prolonger la ligne actuelle de Paris jusqu'à Marseille et Montpellier s'inscrit dans un cadre plus général servant à faciliter les liaisons avec les villes du Sud-Est, et à favoriser le développement économique de ces régions et à améliorer l'aménagement du territoire ; qu'il amorce la réalisation d'un arc méditerranéen est-ouest reliant l'Espagne et l'Italie entre elles et ces deux pays au réseau express européen en cours d'élaboration ; que ce projet revêt un caractère d'utilité publique ; qu'eu égard tant à l'importance de l'opération qu'aux précautions prises, notamment pour faire face aux risques technologiques du passage dans le site industriel du Tricastin, qui a fait l'objet d'un nouveau tracé situé hors du périmètre de sécurité du site nucléaire et chimique et donné lieu à des propositions d'amélioration à l'issue des rapports du cabinet Sector et du préfet Monestier, pour éviter toute conséquence hydrologique liée à un éventuel accroissement des risques d'inondation que pourrait provoquer le projet, qui a donné lieu à un engagement officiel commun des ministres de l'équipement et des transports et de l'environnement le 4 janvier 1994, soit antérieurement au décret, suivant lequel le risque supplémentaire d'inondation sera nul pour limiter les nuisances sonores en fixant un indice de jour n'excédant pas 62 décibels pour 60 décibels lors du renouvellement du matériel roulant en service, et pour protéger les atteintes au patrimoine culturel, les inconvénients inhérents aux atteintes portées à la propriété privée, à l'environnement, aux sites et paysages, au tourisme et aux exploitations agricoles et résultant de l'implantation d'une nouvelle gare à Avignon et de la proximité des hôpitaux ne peuvent être regardés comme excessifs par rapport à l'intérêt qu'elle présente ; que, dès lors, ni ces inconvénients, ni le coût de l'ouvrage, y compris les surcoûts correspondant aux améliorations correspondant aux infrastructures de la voie nouvelle, ne sont de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique ;
En ce qui concerne la légalité interne du décret attaqué :
Sur le moyen tiré de l'incompatibilité du projet avec les objectifs de la directive n° 79-409 du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages :
Considérant qu'il ressort clairement de l'article 189 du traité du 25 mars 1957 que si les directives lient les Etats membres "quant au résultat à atteindre" et si, pour atteindre le résultat qu'elles définissent, les autorités nationales sont tenues d'adapter la législation et la réglementation des Etats membres aux directives qui leur sont destinées, ces autorités restent seules compétentes pour décider de la forme à donner à l'exécution des directives et pour fixer elles-mêmes, sous le contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à leur faire produire des effets en droit interne ; qu'ainsi, quelles que soient d'ailleurs les précisions qu'elles contiennent à l'intention des Etats membres, les directives ne
sauraient être invoquées par les ressortissants de ces Etats à l'appui d'un acte administratif non réglementaire ; que les dispositions attaquées de la déclaration d'utilité publique ne constituent pas un acte réglementaire ; qu'il suit de là que les requérants ne peuvent utilement soutenir que le projet de tracé joint au dossier d'enquête méconnaîtrait les dispositions de la directive du 2 avril 1979 susvisée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU GRAND GIGOGNAN n'est pas fondée à demander l'annulation du décret du 31 mai 1994 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, verse à la SOCIETE CIVILEIMMOBILIERE DU GRAND GIGOGNAN la somme de 15 000 F qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU GRAND GIGOGNAN est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU GRAND GIGOGNAN, au ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 10 / 7 ssr
Numéro d'arrêt : 160348
Date de la décision : 17/11/1995
Type d'affaire : Administrative

Analyses

COMMUNAUTES EUROPEENNES - PORTEE DES REGLES DE DROIT COMMUNAUTAIRE - DIRECTIVES COMMUNAUTAIRES.

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE - NOTIONS GENERALES - NOTION D'UTILITE PUBLIQUE - EXISTENCE - INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT.

TRANSPORTS - TRANSPORTS FERROVIAIRES - LIGNES DE CHEMIN DE FER.


Références :

CEE Directive 79-409 du 02 avril 1979 Conseil
CEE Directive 85-337 du 27 juin 1985 Conseil
Code de l'urbanisme L146-7
Code rural R242-32, L11-2, R11-1, R11-2
Décret 77-1141 du 12 octobre 1977 art. 2
Décret 84-617 du 17 juillet 1984 art. 4
Loi 82-1153 du 30 décembre 1982 art. 14
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75
Traité du 25 mars 1957 Rome art. 189


Publications
Proposition de citation : CE, 17 nov. 1995, n° 160348
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Rousselle
Rapporteur public ?: M. Combrexelle

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1995:160348.19951117
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