Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 mai 1994 et 23 août 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Claude X..., demeurant ... ; M. et Mme X... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 24 mars 1994 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 20 novembre 1992 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser, d'une part, une indemnité de 2 500 000 F au titre du préjudice subi en raison de la contamniation de leur fils Arnaud par le virus de l'immuno déficience humaine avec intérêts de droit capitalisés, d'autre part, la somme de 80 000 F au titre des frais irrépétibles ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser un solde de 500 000 F, des intérêts de la somme de 1 400 000 F du 30 mars 1990 au 22 mars 1993, les intérêts de la somme de 500 000 F au 30 mars 1990 jusqu'à la date de son paiement, à la capitalisation de ces intérêts le 6 février 1992, et à verser une somme de 6 000 F au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et de frais irrépétibles devant la cour administrative d'appel de Nancy ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Laigneau, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Blanc, avocat de M. et Mme X...,
- les conclusions de M. Descoings, Commissaire du gouvernement ;
Sur le calcul des intérêts :
Considérant que la cour administrative d'appel de Nancy a, en application de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 et de l'article 17 du décret du 31 juillet 1992 modifié, pris pour son application, déduit de la somme de 2 millions de francs qu'elle a condamné l'Etat à verser aux victimes au titre de sa responsabilité, la somme offerte par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles (F.I.T.H.) et acceptée par les victimes et fait porter les intérêts dus aux victimes sur le résultat de cette déduction ;
Considérant qu'en versant aux requérants une indemnité en application de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991, le F.I.T.H. n'a pas fait droit à la sommation de payer adressée par les victimes à l'Etat, sur le fondement des règles de droit commun de la responsabilité et à la suite de laquelle a été engagée contre l'Etat l'action en réparation faisant l'objet de l'arrêt attaqué et n'a ainsi pas payé une somme que l'Etat aurait dû verser dès réception de la sommation de payer ; que la responsabilité de l'Etat n'étant engagée au titre du droit commun que sur la part du préjudice non indemnisée par le F.I.T.H., la Cour n'a pas commis une erreur de droit en n'accordant les intérêts dus aux victimes que sur la somme restant ainsi à la charge de l'Etat ;
Sur la déduction des indemnités versées en réparation du même préjudice :
Considérant que le juge administratif, saisi d'une demande de réparation du préjudice résultant de la contamination par le virus de l'immuno déficience humaine et informé de ce que la victime ou ses ayants droit ont été déjà indemnisés du préjudice dont ils demandent réparation, doit d'office déduire la somme ainsi allouée, du montant du préjudice indemnisable ; que c'est, dès lors, à bon droit que la cour administrative d'appel a déduit des sommes qu'elle a condamné l'Etat à verser les secours versés par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles (F.I.T.H.) et par le Fonds privé de solidarité des hémophiles instauré par le protocole du 10 juillet 1989 ; qu'en revanche et eu égard aux objectifs d'indemnisation complète et rapide fixés par le législateur, le juge doit accorder une réparation intégrale du préjudice depuis la publication du décret du 12 juillet 1993 dans le cas où la somme à verser par le F.I.T.H. enréparation du préjudice invoqué est susceptible d'être remise en cause ;
Considérant que si la fraction de l'indemnisation que le F.I.T.H. ne s'est engagé à verser qu'à compter de la date à laquelle la contamination se traduirait par les manifestations pathologiques du syndrome de l'immuno déficience acquise n'est pas susceptible d'être remise en cause dans son montant dès lors que l'offre du F.I.T.H. a été acceptée par les requérants, le versement de cette somme est éventuel et subordonné à l'apparition de la maladie ; qu'ainsi, la Cour a commis une erreur de droit en la déduisant des sommes qu'elle a condamné l'Etat à verser en réparation du même préjudice ;
Considérant, dès lors, que c'est à tort que la Cour a considéré que les dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel faisaient obstacle à ce que l'Etat soit condamné à payer à M. et Mme X... la somme de 80 000 F qu'ils demandaient au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 24 mars 1994 en tant qu'il a déduit des sommes qu'il a condamné l'Etat à payer l'indemnisation offerte par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles (F.I.T.H.) en réparation du préjudice résultant de l'apparition de la maladie et en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées par M. et Mme X... au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; qu'il y a lieu de renvoyer sur ces deux points l'affaire à la cour administrative d'appel de Nancy ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, de condamner l'Etat à verser à M. et Mme X... la somme de 10 000 F qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 24 mars 1994 est annulé en tant qu'il a déduit des sommes qu'il a condamné l'Etat à verser en réparation du préjudice résultant de la contamination de M. Arnaud X... par le virus de l'immuno déficience humaine l'indemnisation liée à la survenance de la maladie offerte par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles et en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées par M. et Mme X... au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 2 : Le jugement de la présente affaire est renvoyé sur ces deux points à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme X... la somme de 10 000 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme X... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Claude X..., au président de la cour administrative d'appel de Nancy et au ministre du travail et des affaires sociales.