Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d' Etat le 28 juillet 1994, présentée par l'ASSOCIATION DES UTILISATEURS DE DONNEES PUBLIQUES, ECONOMIQUES ET SOCIALES, représentée par son président en exercice, domicilié en cette qualité au siège de la société COREF, ... (92516), par la SOCIETE DELTA DIFFUSION, représentée par son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social, ... (69444), et par la SOCIETE COREF, représentée par son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social ; l'ASSOCIATION DES UTILISATEURS DE DONNEES PUBLIQUES, ECONOMIQUES ET SOCIALES et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 16 décembre 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur requête dirigée contre la décision de refus du directeur général de l'INSEE en date du 18 novembre 1991 et sa décision implicite de rejet de la demande du 21 janvier 1992 des sociétés DELTA DIFFUSION et COREF de pouvoir disposer, sans restriction d'usage, des données statistiques issues du dépouillement du recensement général de la population de 1990, sur le fondement de la délibération de la commission nationale de l'informatique et des libertés en date du 14 février 1989 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir ces décisions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 modifiée ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le décret n° 46-1432 du 14 juin 1946 modifié ;
Vu le décret n° 89-274 du 26 avril 1989 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d' appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Ollier, Auditeur,
- les observations de Me Odent, avocat de l'ASSOCIATION DES UTILISATEURS DE DONNEES PUBLIQUES, ECONOMIQUES ET SOCIALES, de la SOCIETE DELTA-DIFFUSION et de la SOCIETE COREF,
- les conclusions de M. Combrexelle, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Sauf dans les cas mentionnés au premier alinéa de l'article L. 9 et à l'article R. 149, lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent présenter leurs observations" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif de Paris a opposé aux requérantes l'irrecevabilité de leurs demandes sans que les parties aient été officiellement averties de ce que ce moyen, qui était relevé d'office, était susceptible de fonder la décision de la juridiction ; que les requérantes sont ainsi fondées à soutenir que le jugement attaqué, rendu en méconnaissance des dispositions précitées, est irrégulier, et à en demander l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées devant le tribunal administratif de Paris par l'ASSOCIATION DES UTILISATEURS DE DONNEES PUBLIQUES, ECONOMIQUES ET SOCIALES, la SOCIETE DELTA DIFFUSION et la SOCIETE COREF ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes :
Considérant qu'aux termes de l'article 15 de la loi du 6 janvier 1978 : "Hormis les cas où ils doivent être autorisés par la loi, les traitements automatisés d'informations nominatives opérés pour le compte de l'Etat, d'un établissement public ou d'une collectivité territoriale, ou pour le compte d'une personne morale de droit privé gérant un service public, sont décidés par un acte réglementaire pris après avis motivé de la commission nationale de l'informatique et des libertés. Si l'avis de la commission est défavorable, il ne peut être passé outre que par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat ou, s'agissant d'une collectivité territoriale, en vertu d'une décision de son organe délibérant approuvée par décret pris sur avis conforme du Conseil d'Etat ..." ;
Considérant que, par une délibération en date du 14 février 1989, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a émis un avis favorable au projet d'arrêté relatif à la création de traitements automatisés d'informations nominatives effectués sur la base de données collectées à l'occasion du recensement général de la population de 1990, sous réserve que soit interdite la cession par l'institut national de la statistique et des études économiques - (INSEE) de données agrégées à un niveau inférieur à celui de la commune pour les communes dont la population est inférieure à 5000 habitants, et à un niveau inférieur à ce chiffre pour les communes dont la population est supérieure à 5000 habitants ; qu'en se prononçant par arrêté, le 26 avril 1989, sur la création du traitement automatisé dont il s'agit, les ministres signataires de cet arrêté se sont bornés à disposer que "les destinataires des informations nominatives issues du recensement sont l'INSEE et les Archives de France", sans se prononcer sur les conditions qui faisaient l'objet de la réserve dont était assorti l'avis de la CNIL ; qu'enfin par la décision attaquée, en date du 18 novembre 1991, implicitement rejetée sur recours gracieux, le directeur général de l'INSEE a fait savoir aux requérantes que l'accès aux données issues du recensement général de la population ne s'effectuerait pas à un niveau d'agrégation inférieur à celui de la commune, pour les communes d'une population inférieure à 5000 habitants, et à un niveau inférieur à ce chiffre, pour celles dont la population atteint 5000 habitants ou plus ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le directeur général de l'INSEE, en prenant ces décisions, s'est cru à tort lié par l'avis susanalysé de la CNIL qui n'a qu'une portée consultative ; qu'il n'a ainsi pas exercé ses compétences ;
Considérant, il est vrai, que l'INSEE soutient n'avoir fait en l'espèce qu'appliquer l'arrêté interministériel précité du 26 avril 1989 ;
Mais considérant que cet arrêté n'était pas conforme, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à l'avis du 14 février 1989, dans la mesure où il ne reproduisait pas la réserve faute de laquelle l'avis de la commission ne pouvait être regardé comme favorable au traitement des données issues du recensement ; que le deuxième alinéa susreproduit de l'article 15 de la loi du 6 janvier 1978 imposait qu'il ne fût passé outre à cet avis que par décret sur avis conforme du Conseil d'Etat ; qu'ainsi l'arrêté du 26 avril 1989 est, dans cette mesure, illégal ; que, par suite, le directeur général de l'INSEE ne peut, en tout état de cause, soutenir que ses décisions seraient légales comme prises sur le fondement dudit arrêté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérantes sont fondées à demander l'annulation des décisions attaquées du directeur général de l'INSEE ;
Article 1er : Le jugement en date du 16 décembre 1993 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La décision en date du 18 novembre 1991 du directeur général de l'INSEE, et la décision implicite par laquelle le directeur général de l'INSEE a rejeté les demandes formées le 21 janvier 1992 par les sociétés COREF et DELTA DIFFUSION sont annulées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION DES UTILISATEURS DE DONNEES PUBLIQUES, ECONOMIQUES ET SOCIALES, à la SOCIETE DELTA DIFFUSION, à la SOCIETE COREF, à la commission nationale de l'informatique et des libertés et au ministre de l'économie et des finances.