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06/02/1998 | FRANCE | N°160878

France | France, Conseil d'État, 6 ss, 06 février 1998, 160878


Vu le recours du MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT, enregistré le 12 août 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 8 juillet 1994 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Caen a, à la demande de l'Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (A.S.P.A.S.), annulé l'arrêté en date du 29 novembre 1993 par lequel le préfet du département de la Manche a fixé la liste des mammifères classés nuisibles dans ce département au titre de l'année 1994 ;
2°)

de décider qu'il sera sursis à l'exécution de ce jugement ;
3°) de r...

Vu le recours du MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT, enregistré le 12 août 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 8 juillet 1994 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Caen a, à la demande de l'Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (A.S.P.A.S.), annulé l'arrêté en date du 29 novembre 1993 par lequel le préfet du département de la Manche a fixé la liste des mammifères classés nuisibles dans ce département au titre de l'année 1994 ;
2°) de décider qu'il sera sursis à l'exécution de ce jugement ;
3°) de rejeter la demande présentée par l'association précitée devant le tribunal administratif de Caen ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive n° 79-409/CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;
Vu la convention de Berne du 19 septembre 1979 concernant la vie sauvage et le milieu naturel de l'Europe ;
Vu le code rural ;
Vu le décret n° 88-940 du 30 septembre 1988 relatif à la destruction des animaux classés nuisibles en application du 1er alinéa de l'article 393 du code rural ;
Vu l'arrêté du 30 septembre 1988 fixant la liste des animaux susceptibles d'être classés nuisibles ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Guyomar, Auditeur,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la Fédération départementale des chasseurs de la Manche,
- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;

Sur l'intervention en demande de la Fédération départementale des chasseurs de la Manche :
Considérant que la Fédération départementale des chasseurs de la Manche a intérêt à l'annulation du jugement attaqué dans la mesure, notamment, où certaines des espèces concernées, en détruisant le gibier, contribuent à réduire le potentiel cynégétique ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;
Sur le jugement du tribunal administratif de Caen :
Considérant que, pour annuler l'arrêté du préfet de la Manche en date du 29 novembre 1993 fixant la liste des animaux classés nuisibles pour l'année 1994, le tribunal administratif de Caen s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'article 9 de la directive européenne du 2 avril 1979 susvisée ; que cette directive ne concerne que la protection des oiseaux sauvages ; que, dès lors, le tribunal administratif de Caen ne pouvait se fonder sur la méconnaissance de la directive susmentionnée pour annuler l'arrêté du préfet de la Manche en tant qu'il concerne les mammifères ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (A.S.P.A.S.), tant en première instance qu'en appel ;
Sur la légalité externe de l'arrêté préfectoral :
Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose la motivation des décisions relatives au classement des animaux nuisibles ; que, par suite, le moyen relatif à l'insuffisance de la motivation est inopérant ;
Considérant que, si l'article R. 227-6 du code rural susvisé prévoit que l'arrêté fixant la liste des animaux nuisibles dans le département doit être publié avant le 1er décembre de l'année précédant celle au titre de laquelle l'arrêté est pris, la circonstance que l'arrêté attaqué n'a été publié qu'en janvier 1994 n'est pas de nature à entraîner son annulation ;
Considérant que l'A.S.P.A.S. allègue que l'arrêté du préfet de la Manche a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière ; que, cependant, les avis du Conseil départemental de la chasse et de la faune sauvage et de la Fédération départementale des chasseurs de la Manche ont été effectivement recueillis ; qu'ainsi, aucun vice de forme n'entache l'arrêté en cause ;
Sur la légalité interne de l'arrêté préfectoral :
Considérant que l'A.S.P.A.S. soutient que le classement des espèces en cause a été fait sans que d'autres solutions que la destruction aient été mises en oeuvre, ce qui est contraire aux dispositions de l'article 9 de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe dite convention de Berne ; que les stipulations de cette convention créent seulement des obligations aux Etats parties et ne produisent pas d'effets directs dans l'ordre juridique interne ; que l'association requérante ne peut, par suite, se prévaloir utilement de la violation de cette convention pour demander l'annulation de l'arrêté attaqué ;

Considérant qu'en vertu de l'article R. 227-6 du code rural, dans chaque département, le préfet détermine les espèces nuisibles parmi celles figurant sur la liste prévue à l'article R. 227-5 en fonction de la situation locale et pour l'un des motifs suivants : 1° dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ; 2° pour prévenir les dommages aux activités agricoles, forestières et aquacoles ; 3° pour la protection de la flore et de la faune ;
Considérant que, si l'association allègue que le classement en nuisibles de certains prédateurs d'espèces elles aussi inscrites sur la liste fixée par l'arrêté préfectoral peut être contradictoire avec l'objectif recherché, l'arrêté du 30 septembre 1988 susvisé, dont la légalité n'est pas contestée, a classé ces animaux parmi ceux qui sont susceptibles d'être classés nuisibles ; qu'ainsi, le préfet de la Manche n'avait pas à rechercher si l'intérêt qui s'attache à la préservation de ces espèces est supérieur à celui que présente leur destruction ;
Considérant qu'en l'absence d'étude scientifique, les comptes-rendus de piégeage effectués durant les campagnes précédentes constituent un indicateur fiable pour mesurer l'importance des populations en cause dans le département ; que les réponses issues de l'enquête effectuée par la Fédération départementale des chasseurs de la Manche sont signées et attestent l'exactitude des renseignements fournis ; qu'ainsi, les éléments chiffrés fournis par l'administration permettent d'apprécier la situation locale ;
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées du code rural qu'au titre d'une année considérée, il peut être légalement procédé au classement parmi les nuisibles, d'une espèce animale figurant sur la liste établie par l'arrêté du 30 septembre 1988 susvisé, dès lors que cette espèce est répandue de façon significative dans le département et que, compte tenu descaractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par les dispositions précitées ou dès lors qu'il est établi qu'elle est à l'origine d'atteintes significatives à ces intérêts protégés ;
Considérant qu'il n'est pas établi que la belette et le vison d'Amérique sont répandus significativement dans le département ni occasionnent des dommages importants ; que, par suite, le préfet n'a pas fait une exacte appréciation de la situation locale en classant ces animaux nuisibles ;
Considérant, par contre, qu'il ressort des pièces du dossier que la fouine, le rat musqué, le ragondin, le renard, le sanglier, le lapin de garenne sont répandus de façon significative dans le département et qu'ils occasionnent des dommages importants aux intérêts protégés par le code rural ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'A.S.P.A.S. est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Manche en tant qu'il classe nuisibles la belette et le vison d'Amérique ;
Article 1er : L'intervention de la Fédération départementale des chasseurs de la Manche est admise.
Article 2 : L'article 2 du jugement n° 94541 et 94542 du tribunal administratif de Caen en date du 8 juillet 1994 est annulé en tant qu'il annule l'arrêté du préfet de la Manche du 29 novembre 1993 classant dans la liste des animaux nuisibles la fouine, le rat musqué, le ragondin, le renard, le sanglier, le lapin de garenne.
Article 3 : L'arrêté du préfet de la Manche en date du 29 novembre 1993 fixant la liste des animaux classés nuisibles pour l'année 1994 est annulé en tant qu'il concerne la belette et le vison d'Amérique.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel, à la Fédération départementale des chasseurs de la Manche et au ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.


Synthèse
Formation : 6 ss
Numéro d'arrêt : 160878
Date de la décision : 06/02/1998
Type d'affaire : Administrative

Analyses

44-01 NATURE ET ENVIRONNEMENT - PROTECTION DE LA NATURE.


Références :

Code rural R227-6, R227-5


Publications
Proposition de citation : CE, 06 fév. 1998, n° 160878
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guyomar
Rapporteur public ?: M. Piveteau

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1998:160878.19980206
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