La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/03/1998 | FRANCE | N°124115

France | France, Conseil d'État, 7 / 10 ssr, 20 mars 1998, 124115


Vu, 1°), sous le n° 124115, la requête enregistrée le 18 mars 1991 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour GAZ DE FRANCE, dont le siège est ..., représenté par son directeur général en exercice ; GAZ DE FRANCE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 27 décembre 1990 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, après avoir annulé le jugement du 14 avril 1986 du tribunal administratif de Toulouse, l'a déclaré responsable des conséquences dommageables de l'accident dont M. Louis Y... a été victime le 23 juillet 1982, et a ordonné une

expertise aux fins d'évaluer le préjudice subi par l'intéressé et, a,...

Vu, 1°), sous le n° 124115, la requête enregistrée le 18 mars 1991 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour GAZ DE FRANCE, dont le siège est ..., représenté par son directeur général en exercice ; GAZ DE FRANCE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 27 décembre 1990 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, après avoir annulé le jugement du 14 avril 1986 du tribunal administratif de Toulouse, l'a déclaré responsable des conséquences dommageables de l'accident dont M. Louis Y... a été victime le 23 juillet 1982, et a ordonné une expertise aux fins d'évaluer le préjudice subi par l'intéressé et, a, en outre, rejeté les conclusions de son appel provoqué tendant à être garanti de toute condamnation prononcée à son encontre par la ville de Toulouse et par la Société d'entreprise du Sud-Ouest ;
Vu, 2°), sous le n° 180407, la requête enregistrée le 10 juin 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour GAZ DE FRANCE, qui demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 13 mai 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, d'une part, l'a condamné à payer aux consorts Y... une somme de 317 143,83 F et à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne une somme de 327 780,47 F, assorties l'une et l'autre des intérêts au taux légal et, d'autre part, a mis à sa charge les frais d'expertise ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la loi du 28 pluviose an VIII ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Lagumina, Auditeur,
- les observations de la SCP Coutard, Mayer, avocat de GAZ DE FRANCE,
- de la SCP Urtin-Petit, Rousseau-Van Troeyen, avocat de M. Christian X... et de Mme Lydia Y...,
- de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la ville de Toulouse,
-de Me Choucroy, avocat de la Socité d'entreprise du Sud-Ouest,
- de Me Foussard, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Toulouse,
- et de la SCP Defrénois, Lévis, avocat de l'entreprise Cochery-BourdinChaussée,
- les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les deux requêtes n°s 124115 et 180407 de GAZ DE FRANCE sont relatives aux conséquences d'un même accident ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant que GAZ DE FRANCE s'est désisté des conclusions de sa requête n° 124115 dirigées contre l'article 8 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 27 décembre 1990, en tant qu'il rejette son appel provoqué, tendant à être garanti des condamnations qui seraient prononcées à son encontre par la ville de Toulouse et par la Société d'entreprise Sud-Ouest ; que ce désistement est pur et simple ; que rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte ; que, par suite, les conclusions de la Société anonyme pour la construction et l'installation des routes (SACEM) et de la Société Cochery-Bourdin-Chaussée, appelées en garantie par la ville de Toulouse et tendant à être mises hors de cause, sont devenues sans objet ;
Considérant que GAZ DE FRANCE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt précité du 27 décembre 1990 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, en tant qu'il a annulé le jugement du 14 avril 1986 du tribunal administratif de Toulouse qui avait rejeté la demande de M. Y... tendant à ce qu'il soit condamné à réparer des conséquences de l'accident dont l'intéressé a été victime, le 23 juillet 1982, l'a déclaré responsable de cet accident et a ordonné une expertise ; que GAZ DE FRANCE demande aussi l'annulation, par voie de conséquence de l'arrêt rendu, après expertise, par la cour administrative d'appel de Bordeaux, le 13 mai 1996, qui, d'une part, l'a condamné à payer une somme de 317 143,83 F aux consorts Y... et à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne une somme de 327 780,47 F, assorties des intérêts au taux légal, d'autre part, a mis à sa charge les frais de l'expertise qu'elle avait ordonnée ;
Considérant qu'à la suite du rejet de sa demande, par le tribunal administratif de Toulouse, M. Y... avait chargé un avocat aux Conseils de faire appel de ce jugement ; que cet appel, pour lequel le bénéfice de l'aide judiciaire avait été demandé et accordé le 5 novembre 1986, n'a été enregistré au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux que le 2 février 1987, soit après le décès de M. Y..., survenu le 18 novembre 1986 ; que, toutefois, la veuve et les enfants de M. Y... avaient manifesté, par deux mémoires enregistrés le 4 mars 1988, leur intention de s'approprier l'action intentée au nom de M. Y... ; que, dès lors, la requête d'appel était recevable ; Considérant que, pour déclarer GAZ DE FRANCE responsable de l'accident survenu à M. Y..., la cour administrative d'appel s'est bornée à relever qu'il n'était "établi par aucune pièce du dossier que la victime, tiers par rapport à l'ouvrage public constitué par le réseau de distribution du gaz, ait commis une faute susceptible d'exonérer GAZ DE FRANCE de la responsabilité qui lui incombe", sans indiquer sur quels éléments de fait elle avait entendu se fonder pour retenir cette solution ; qu'ainsi, la Cour n'a pas mis le juge de cassation à même d'exercer son contrôle ; que GAZ DE FRANCE est, par suite, fondé à soutenir que l'arrêt attaqué est insuffisamment motivé et à en demander, pour ce motif, l'annulation ; que, par voie de conséquence, l'arrêt du 13 mai 1996 doit aussi être annulé ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;
Sur la responsabilité de GAZ DE FRANCE :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au moment de l'explosion qui a été la cause de l'accident, M. Y... travaillait sur un collecteur d'eau pluviale dont il ne pouvait craindre qu'il pût contenir du gaz ; que, ni les procès-verbaux établis le jour même de l'accident, ni le rapport dressé par un inspecteur principal de police une semaine plus tard, le 30 juillet 1982, ne relèvent qu'il existait un risque, connu de M. Y..., d'explosion de gaz sur le chantier où il était occupé ; que, le fait, à le supposer établi, que M. Y... aurait allumé une cigarette avant l'explosion, ne peut, dans ces conditions, être regardé comme ayant constitué une faute de nature à exonérer GAZ DE FRANCE de sa responsabilité ; que GAZ DE FRANCE doit donc être condamné à réparer la totalité des conséquences dommageables de l'accident ; que, dès lors, les consorts Y... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de M. Y... ; Sur l'évaluation du préjudice corporel :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et, notamment du rapport de l'expert désigné par la cour d'appel administrative, que l'état de santé de M. Y..., âgé de 49 ans le jour de l'accident, a été consolidé le 23 janvier 1984 et que M. Y... est resté atteint, jusqu'au jour de son décès, le 18 novembre 1986, survenu pour une cause étrangère à l'accident, de séquelles comportant des handicaps fonctionnels, une altération de la mécanique ventilatoire et des cicatrices de brûlures, qui lui ont occasionné une incapacité permanente partielle de 60 %, à raison de laquelle la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne lui a versé une rented'accident de travail ;
Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une exacte appréciation des troubles de toute nature subis par M. Y... dans ses conditions d'existence en lui allouant une indemnité de 300 000 F, dont 200 000 F au titre des troubles physiologiques ; qu'il y a lieu, en outre, de condamner GAZ DE FRANCE à lui verser une somme de 90 000 F, en réparation des souffrances physiques provoquées par l'accident et qualifiées de très importantes par l'expert, une somme de 30 000 F en réparation du préjudice esthétique qualifié d'assez important, et une somme de 209 103,58 F, correspondant aux indemnités journalières qui lui ont été versées pendant sa période d'incapacité temporaire totale ainsi qu'aux frais de soins pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie, et une somme de 15 820,72 F, égale aux pertes de rémunérations subies par M. Y... et non couvertes par les indemnités journalières qui lui ont été versées pendant la même période ; qu'ainsi, le montant total du préjudice, dont la réparation doit être mise à la charge de GAZ DE FRANCE, s'élève à 644 924,30 F ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 454-1, troisième alinéa du code de la sécurité sociale, relatif aux accidents du travail : "Si la responsabilité du tiers auteur de l'accident est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et du préjudice esthétique et d'agrément ..." ;
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne a droit, dans les limites fixées par le texte précité, au remboursement des indemnités journalières, des prestations en nature et des arrérages de la rente d'accident qu'elle a versés à M. Y... ; que la caisse justifie de débours s'élevant à 209 103,58 F au titre des indemnités journalières et des prestations en nature et à 118 676,89 F au titre des arrérages de la rente servie à M. Y... jusqu'à son décès, soit au total à 327 780,47 F ; que cette dernière somme étant inférieure à celle de 424 924,30 F, égale à la différence entre 644 924,30 F et le total formé par les sommes ci-dessus mentionnées de 300 000 F, 90 000 F et 30 000 F, sur laquelle peut s'exercer la créance de la caisse, celle-ci a donc droit au remboursement de ladite somme de 327 780,47 F ;
Sur les droits de Mme veuve Y..., de MM. Christian et Bruno Y... et de Mme Lydia Y... :
Considérant que M. Y... est décédé, pour une cause étrangère à l'accident dont il a été victime le 23 juillet 1982, avant qu'une décision juridictionnelle définitive n'ait fixé le montant de l'indemnité à laquelle il pouvait prétendre en raison dudit accident ; que son droit à réparation a ainsi été transmis à sa veuve et à ses enfants, en leur qualité d'héritiers ; que ces derniers peuvent donc prétendre au paiement d'une somme de 317 143,83 F, égale à la différence entre 644 924,30 F et 327 780,47 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que les consorts Y... ont droit aux intérêts de la somme de 317 143,83 F à compter du 4 juillet 1984, date d'enregistrement de la demande de M. Y... au greffe du tribunal administratif de Toulouse ; que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne a droit aux intérêts de la somme de 327 780,47 F à compter du 16 avril 1985,date d'enregistrement de son mémoire au greffe du même tribunal ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée par les consorts Y... les 2 décembre 1991 et 29 janvier 1996 et, par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne, les 28 octobre 1988 et 1er février 1996 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée par la cour administrative d'appel à la charge de GAZ DE FRANCE ;
Sur les conclusions présentées par la société Cochery-Bourdin-Chaussée au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner GAZ DE FRANCE par application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 à payer à la société Cochery-Bourdin-Chaussée la somme de 10 000 F qu'elle demande, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de GAZ DE FRANCE tendant à la mise en cause de la ville de Toulouse et de la Société d'entreprise du Sud-Ouest.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant a être mises hors de cause de la Société anonyme pour la construction et l'exploitation des routes (SACEM) et de la Société Cochery-Bourdin-Chaussée.
Article 3 : Les arrêts de la cour administrative d'appel de Bordeaux des 27 décembre 1990 et 13 mai 1996 et le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 14 avril 1986 sont annulés.
Article 4 : GAZ DE FRANCE est condamné à payer aux consorts Y... une somme de 317 143,83 F. Celle-ci portera intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 1984. Les intérêts échus les 2 décembre 1991 et 26 janvier 1996 seront capitalisés à ces dates pour produire euxmêmes intérêts.
Article 5 : GAZ DE FRANCE est condamné à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne une somme de 327 780,47 F. Celle-ci portera intérêts au taux légal à compter du 16 avril 1985. Les intérêts échus les 28 octobre 1988 et 1er février 1996 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 6 : Les frais de l'expertise ordonnée par la cour administrative d'appel de Bordeaux sont mis à la charge de GAZ DE FRANCE.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. Y... est rejeté.
Article 8: Les conclusions présentées par la Société Cochery-Bourdin-Chaussée au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 9 : La présente décision sera notifiée à GAZ DE FRANCE, à Mme veuve Y..., à MM. Christian et Bruno Y..., à Mme Lydia Y..., à la caisse primaire d'assurance maladie de HauteGaronne, à la ville de Toulouse, à la Société d'entreprise du Sud-Ouest, à la Société routière Colas, à la Société anonyme pour la construction et l'entretien des routes (SACEM), à la Société Cochery Bourdin Chaussée, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre de l'emploi et de la solidarité.


Synthèse
Formation : 7 / 10 ssr
Numéro d'arrêt : 124115
Date de la décision : 20/03/1998
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

60 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE.


Références :

Code civil 1154
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation : CE, 20 mar. 1998, n° 124115
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mlle Lagumina
Rapporteur public ?: Mme Bergeal

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1998:124115.19980320
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award