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23/03/1998 | FRANCE | N°181252

France | France, Conseil d'État, 10 / 7 ssr, 23 mars 1998, 181252


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 12 juillet 1996 et 12 novembre 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par l'ASSOCIATION "VIVRE A BEZANNES", dont le siège social est ..., représentée par son président en exercice, Mme Huguette Z..., domiciliée en cette qualité audit siège, Mme Monique B..., domiciliée ..., M. Patrick A..., domicilié ..., M. Alain Y..., domicilié ... ; les requérants demandent que le Conseil d'Etat annule le décret en date du 14 mai 1996, "déclarant d'utilité publique et urgents les travaux de cons

truction d'une ligne nouvelle de chemin de fer à grande vitesse dite...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 12 juillet 1996 et 12 novembre 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par l'ASSOCIATION "VIVRE A BEZANNES", dont le siège social est ..., représentée par son président en exercice, Mme Huguette Z..., domiciliée en cette qualité audit siège, Mme Monique B..., domiciliée ..., M. Patrick A..., domicilié ..., M. Alain Y..., domicilié ... ; les requérants demandent que le Conseil d'Etat annule le décret en date du 14 mai 1996, "déclarant d'utilité publique et urgents les travaux de construction d'une ligne nouvelle de chemin de fer à grande vitesse dite T.G.V. Est-Européen entre Paris et Strasbourg, de création de gares nouvelles et d'aménagement des installations terminales de ladite ligne, ainsi que portant mise en compatibilité des plans d'occupation des sols des communes concernées" ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 ;
Vu la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 ;
Vu la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 ;
Vu le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 ;
Vu le décret n°84-617 du 17 juillet 1984 ;
Vu le décret n° 85-453 du 23 avril 1985 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Rousselle, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Combrexelle, Commissaire du gouvernement ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 11-14-5 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : "Le préfet, après consultation du commissaire enquêteur ou du président de la commission d'enquête, précise, par arrêté : ... 3° Les lieux, jours et heures où le public pourra consulter le dossier d'enquête et présenter ses observations sur le registre ouvert à cet effet ; ces jours comprennent au minimum les jours habituels d'ouverture au public du lieu de dépôt du dossier et peuvent en outre comprendre plusieurs demi-journées prises parmi les samedis, dimanches et jours fériés ; ..." ; qu'il ne résulte pas de ces dispositions que la commission d'enquête serait tenue, à l'appui de son rapport concluant à la régularité de la procédure suivie et au respect desdites dispositions, d'apporter la preuve que les obligations prévues par celles-ci, notamment s'agissant des heures d'ouverture au public du lieu de dépôt du dossier ont effectivement été respectées ; qu'il appartient, au contraire, aux requérants d'apporter des éléments de fait à l'appui du moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ; qu'en l'absence de tels éléments, un tel moyen ne peut qu'être écarté ; qu'en outre, les allégations selon lesquelles la procédure aurait été irrégulière ne sont assorties d'aucune précision permettant d'en apprécier la portée ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 11-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, "L'expropriation d'immeubles, en tout ou partie, ou de droits réels immobiliers, ne peut être prononcée qu'autant qu'elle aura été précédée d'une déclaration d'utilité publique intervenue à la suite d'une enquête ..." et qu'aux termes de l'article R. 11-14-3 du même code, "Le préfet saisit, en vue de la désignation d'un commissaire enquêteur ou d'une commission d'enquête, le président du tribunal administratif dans le ressort duquel doit être réalisée l'opération ... Le président du tribunal administratif ... désigne, dans un délai de 15 jours, un commissaire enquêteur ou les membres, en nombre impair, d'une commission d'enquête parmi lesquels il choisit un président ..." ; que s'il résulte, comme le soutiennent les requérants, de ces dispositions que l'acte déclaratif d'utilité publique ne peut légalement être pris qu'après que la commission d'enquête s'est prononcée sur le projet soumis à la déclaration d'utilité publique dans son intégralité, ces mêmes dispositions ne sauraient faire obstacle à ce que les membres de la commission d'enquête se répartissent par groupes ayant la charge d'un ou plusieurs secteurs géographiques définis par le maître d'ouvrage, pour assurer les permanences et la réception du public ; que cette répartition par groupes n'a pas fait obstacleà ce que la commission soit informée sur l'ensemble des secteurs et procède, en formation complète, à l'examen du projet ;

Considérant, en troisième lieu, que, si l'article R. 11-14-14 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique fixe, en son 4ème alinéa, un délai d'un mois à compter de la date de clôture de l'enquête au commissaire enquêteur pour transmettre le dossier avec les conclusions au préfet, ce délai n'est pas prescrit à peine de nullité ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article R. 11-14-14 3ème alinéa du même code : " ... Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l'enquête et rédige des conclusions motivées en précisant si elles sont favorables ou non à la déclaration d'utilité publique de l'opération ..." ; qu'au cas d'espèce la commission d'enquête n'a pas omis de rédiger des conclusions sur l'ensemble de l'opération et de préciser le sens de celles-ci ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 3ème alinéa de l'article R. 11-14-14 susvisées ne peut qu'être écarté ;
Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 2 du décret du 12 octobre 1977, pris pour l'application de la loi du 10 juillet 1976, "le contenu de l'étude d'impact doit être en relation avec l'importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l'environnement. L'étude d'impact présente successivement : 1° une analyse de l'état initial du site et de son environnement portant, notamment, sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles forestiers, maritimes ou de loisir affectés par les aménagements ou ouvrages ..." ; que l'étude d'impact figurant au volume C du dossier intègre un volet hydraulique particulièrement important concernant les eaux souterraines et les eaux de surface et présente les mesures proposées par le maître d'ouvrage pour limiter les impacts de la ligne nouvelle ; qu'ainsi l'étude d'impact ne méconnaît pas les dispositions précitées du décret du 12 octobre 1977 ;

Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes de l'article 4 du décret du 17 juillet 1984 susvisé : "L'évaluation des grands projets d'infrastructures comporte : 1° Une analyse des conditions et des coûts de construction, d'entretien, d'exploitation et de renouvellement de l'infrastructure projetée ; 2° Une analyse des conditions de financement et, chaque fois que cela est possible, une estimation du taux de rentabilité financière ; 3° Les motifs pour lesquels, parmi les partis envisagés par le maître d'ouvrage, le projet présenté a été retenu ; 4° Une analyse des incidences de ce choix sur les équipements de transport existants ou en cours de réalisation, ainsi que sur leurs conditions d'exploitation, et un exposé sur sa compatibilité avec les schémas directeurs d'infrastructures applicables ; 5° Le cas échéant, l'avis prévu à l'article 18. L'évaluation des grands projets d'infrastructures comporte également une analyse des différentes données de nature à permettre de dégager un bilan prévisionnel, tant des avantages et inconvénients entraînés, directement ou non, par la mise en service de ces infrastructures dans les zones intéressées que des avantages et inconvénients résultant de leur utilisation par les usagers. Ce bilan comporte l'estimation d'un taux de rentabilité pour la collectivité calculée selon les usages des travaux de planification. Il tient compte des prévisions à court et à long terme qui sont faites, au niveau national ou international, dans les domaines qui touchent aux transports, ainsi que des éléments qui ne sont pas inclus dans le coût du transport, tels que la sécurité des personnes, l'utilisation rationnelle de l'énergie, le développement économique et l'aménagement des espaces urbain et rural. Il est établi sur la base de grandeurs physiques et monétaires ; ces grandeurs peuvent ou non faire l'objet de comptes séparés. Les diverses variantes envisagées par le maître d'ouvrage d'un projet font l'objet d'évaluations particulières selon les mêmes critères. L'évaluation indique les motifs pour lesquels le projet présenté a été retenu ..." ;

Considérant que le dossier d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique comprend, dans son volume A un chapitre 4 intitulé "appréciation sommaire des dépenses", un chapitre 6 intitulé "évaluation socio-économique", consacré notamment aux "conditions de financements", qui détaille le coût des investissements, les éléments du calcul économique, le bilan économique, le bilan socio-économique pour la collectivité, qui précise le taux de rentabilité estimé à 9,4 % pour la collectivité, le bénéfice pour l'entreprise estimé à 6,7 milliards de francs aux conditions économiques de juin 1993, apporte des éclaircissements sur la dimension internationale du projet, tandis que le volume C comporte une étude d'impact, qui comprend, notamment, un chapitre 9-5 intitulé "coûts des mesures" ; que le moyen tiré de ce que cette "étude d'évaluation socio-économique" ne comporterait ni analyse des coûts de l'infrastructure projetée, ni une estimation suffisamment détaillée du taux de rentabilité financière, conformément aux dispositions des 1°) et 2°) de l'article 4 précité, manque en fait ; qu'il résulte de ce qui précède que l'étude d'évaluation jointe au dossier comporte l'ensemble des informations requises par l'article 4 du décret du 17 juillet 1984 précité ; que la circonstance qu'une étude complémentaire ait été demandée, le 12 mars 1996, afin de préciser le montant réactualisé du projet n'est pas de nature à influer sur la régularité du dossier d'enquête au regard des exigences imposées par ledit décret ;
Considérant enfin qu'aux termes de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : "L'expropriant adresse au commissaire de la République pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : I Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages : ... 7° L'évaluation mentionnée à l'article 5 du décret n° 84-617 du 17 juillet 1984 pris pour l'application de l'article 14 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs lorsque les travaux constituent un grand projet d'infrastructures tel que défini à l'article 3 du même décret" ; qu'il résulte du dossier soumis à l'enquête que le pétitionnaire a satisfait à cette obligation d'informer le public s'agissant de l'évaluation d'un grand projet d'infrastructure en faisant figurer dans le dossier l'ensemble des éléments exigés à l'article 4 du décret du 17 juillet 1984 et, notamment, les éléments relatifs au financement du projet et aux hypothèses économiques sur lesquelles il s'est fondé ; que les intéressés ont été mis à même de connaître le coût réel de l'opération, tel qu'il pouvait être apprécié à la date de l'enquête ; que, par suite, la circonstance, à la supposer établie, que l'estimation initiale des dépenses aurait été dépassée, est sans influence sur la légalité de la décision attaquée, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces versées au dossier que cette estimation ait été entachée d'erreurs de nature à vicier la procédure ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, ni les dispositions de l'article R. 11-3-2° du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, ni celles de la loi du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement n'ont été méconnues ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :

Considérant, en premier lieu, qu'une opération ne peut être déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le projet de T.G.V. dit "EstEuropéen", qui a pour objet de réaliser une liaison rapide entre Paris et Strasbourg, s'inscrit dans le cadre plus général visant à faciliter les liaisons avec les villes de l'Est de la France, à favoriser le développement économique des régions traversées et à améliorer l'aménagement duterritoire ; qu'il amorce la réalisation d'une liaison de grande capacité entre la région parisienne et l'Est de la France et tend à s'insérer dans un réseau européen de T.G.V. permettant d'améliorer les conditions de circulation entre Paris et l'Europe de l'Est et du Nord ; que ce projet revêt ainsi un caractère d'utilité publique ; qu'eu égard, tant à l'importance de l'opération qu'aux précautions prises, les inconvénients inhérents à ce type de projet, s'agissant tant des raccordements de lignes que du financement de l'opération et de l'évolution du contexte socioéconomique qui pèse sur le taux de rentabilité de l'opération, ne pouvaient être regardés comme excessifs par rapport à l'intérêt que l'opération présente ; que, dès lors, ni ces inconvénients, ni le coût de l'ouvrage, ni sa rentabilité ne sont de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de ce qui précède que le décret attaqué ne méconnaît pas les dispositions de l'article 14 de la loi du 30 décembre 1982 en vertu desquelles les choix relatifs aux infrastructures, équipements et matériels de transport et donnant lieu à financement public sont fondés sur l'efficacité économique et sociale de l'opération et doivent tenir compte, notamment, du coût financier et, plus généralement, des coûts économiques réels et des coûts sociaux ; que, par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 14 de la loi du 30 décembre 1982 doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ASSOCIATION "VIVRE A BEZANNES", Mme B..., M. A... et M. X... ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret du 14 mai 1996 ;
Article 1er : La requête de l'ASSOCIATION "VIVRE A BEZANNES", de Mme B..., de M. A... et de M. X... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION "VIVRE A BEZANNES", à Mme Monique B..., à M. Patrick A..., à M. Alain X..., au Premier ministre, au ministre de l'équipement, des transports et du logement et au ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.


Synthèse
Formation : 10 / 7 ssr
Numéro d'arrêt : 181252
Date de la décision : 23/03/1998
Type d'affaire : Administrative

Analyses

34 EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE.


Références :

Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique R11-14-5, L11-1, R11-14-3, R11-14-14, R11-3
Décret 77-1141 du 12 octobre 1977 art. 2
Décret 84-617 du 17 juillet 1984 art. 4
Loi 76-629 du 10 juillet 1976
Loi 82-1153 du 30 décembre 1982 art. 14
Loi 83-630 du 12 juillet 1983


Publications
Proposition de citation : CE, 23 mar. 1998, n° 181252
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Rousselle
Rapporteur public ?: M. Combrexelle

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1998:181252.19980323
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