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08/04/1998 | FRANCE | N°189180

France | France, Conseil d'État, Assemblee, 08 avril 1998, 189180


Vu, enregistrée le 15 septembre 1997, la requête présentée pour la SOCIETE ESSENCES ET CARBURANTS DE FRANCE, ayant son siège au ..., agissant en exécution d'un jugement du 2 juillet 1997 de la cour d'appel de Paris ; la SOCIETE ESSENCES ET CARBURANTS DE FRANCE demande au Conseil d'Etat :
1) d'apprécier le caractère "valable" des certificats de crédit d'impôt qui lui ont été délivrés, dans le cadre du montage dit des "fonds turbo", par le gérant et le dépositaire du fonds commun de placement "diversification internationale" au regard des dispositions réglementaires et légi

slatives ainsi que de la doctrine administrative en vigueur à l'époq...

Vu, enregistrée le 15 septembre 1997, la requête présentée pour la SOCIETE ESSENCES ET CARBURANTS DE FRANCE, ayant son siège au ..., agissant en exécution d'un jugement du 2 juillet 1997 de la cour d'appel de Paris ; la SOCIETE ESSENCES ET CARBURANTS DE FRANCE demande au Conseil d'Etat :
1) d'apprécier le caractère "valable" des certificats de crédit d'impôt qui lui ont été délivrés, dans le cadre du montage dit des "fonds turbo", par le gérant et le dépositaire du fonds commun de placement "diversification internationale" au regard des dispositions réglementaires et législatives ainsi que de la doctrine administrative en vigueur à l'époque de leur établissement ;
2) d'apprécier la légalité de l'instruction administrative du 13 janvier 1983 et la possibilité d'en invoquer les dispositions sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ainsi que d'interpréter cette instruction qui, d'une part, dispose en son paragraphe 58 que le fonds ne peut transférer à ses membres plus de droit à imputation qu'il n'en aurait eu lui-même s'il était personnellement assujetti à l'impôt et, d'autre part, comporte en son paragraphe 63 une "mesure d'assouplissement" ;
3) d'apprécier si elle a, par le paiement des rappels d'imposition consécutifs au refus de l'administration d'admettre l'imputation des crédits d'impôt susmentionnés, libéré, en tout ou partie, la banque Dumenil-Leble et la société Cerus de leurs obligations envers le Trésor Public quant au montant des crédits d'impôt qu'ils ont certifiés ;
4) d'apprécier si, pour l'application de l'article 1729-3 du code général des impôts qui dispose qu'en cas d'abus de droit, l'intérêt de retard et la majoration prévus à l'article 1729-1 du même code sont à la charge de toutes les parties à l'acte, l'abus de droit estétabli au cas d'espèce ;
5) d'apprécier si le gérant et le dépositaire du fonds commun de placement sont solidairement tenus de l'intérêt de retard et de la majoration susmentionnés ;

et de déclarer :
1) à titre principal, que les certificats de crédit d'impôt doivent être réputés valables dans les rapports entre les porteurs de parts bénéficiaires des répartitions et l'administration fiscale, et, à titre subsidiaire, que ces certificats ne sont pas valables et que le montant des crédits d'impôt certifiés par le gérant et le dépositaire du fonds commun de placement en cause est inexact, au regard tant des dispositions législatives et réglementaires que de la doctrine administrative en vigueur à l'époque de leur établissement ;
2) que les paragraphes 63 à 68 de l'instruction administrative du 13 janvier 1983 comportent des dispositions à caractère réglementaire et, par suite, illégales, qui ne peuvent être invoquées par les contribuables sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans la mesure où le fonds en cause ne fonctionnait pas conformément aux dispositions législatives, réglementaires et statutaires qui le régissaient ; que l'instruction administrative du 13 janvier 1983 doit être interprétée en ce sens que le paragraphe 63 comporte une disposition dérogatoire au principe général rappelé au paragraphe 58 et liée à la condition que les parts des fonds communs de placement puissent être effectivement souscrites et rachetées à tout moment ;
3) qu'elle a, par le paiement des rappels d'imposition consécutifs au refus de l'administration d'admettre l'imputation des crédits d'impôt litigieux, libéré, à concurrence de la totalité dudit paiement, la banque Dumenil-Leble et la société Cerus de leurs obligations envers le Trésor Public quant au montant des crédits d'impôt qu'ils ont certifiés ;
4) à titre principal, que l'abus de droit n'est pas établi au cas d'espèce, et, à titre subsidiaire, que si l'abus de droit est établi à l'encontre du gérant et du dépositaire des fonds communs de placement, il n'est pas établi qu'elle y ait délibérément participé de sorte que cet abus de droit ne lui est ni imputable ni opposable ;
5) que le gérant et le dépositaire du fonds commun de placement sont parties aux actes ou conventions argués d'abus de droit et, en conséquence, solidairement tenus de l'intérêt de retard et de la majoration prévus à l'article 1729 du code général des impôts ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 79-594 du 13 juillet 1979 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Collin, Auditeur,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE ESSENCES ET CARBURANTS DE FRANCE et de Me Choucroy, avocat de la société Banque Dumenil-Leble et de la société Cerus,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le Conseil d'Etat est compétent en premier ressort pour connaître des première et deuxième questions préjudicielles posées par la cour d'appel de Paris, tendant à l'appréciation de la légalité de l'instruction 4-K-I-83 du 13 janvier 1983 relative aux fonds communs de placement et à son interprétation et, par voie de conséquence, à l'appréciation du caractère "valable" des certificats de crédit d'impôt délivrés aux porteurs de parts de ces fonds ;
Considérant, en revanche, que les troisième, quatrième et cinquième questions, qui sont relatives aux obligations auxquelles seraient éventuellement tenus les gérants et dépositaires de fonds communs de placement mis en cause par la société requérante, ne relèvent pas de la compétence du Conseil d'Etat en premier ressort ; qu'il y a lieu, par suite, de transmettre cette partie de la requête au tribunal administratif de Paris ;

Sur les première et deuxième questions :
Considérant qu'aux termes du II de l'article 26 de la loi n° 79-594 du 13 juillet 1979 relative aux fonds communs de placement, codifié à l'article 199 ter A du code général des impôts, "les porteurs de parts d'un fonds commun de placement peuvent effectuer l'imputation de tout ou partie des crédits d'impôt et avoirs fiscaux attachés aux produits des actifs compris dans ce fonds. Pour chaque année, le gérant du fonds calcule la somme totale à l'imputation de laquelle les produits encaissés par le fonds donnent droit. Le droit à imputation par chaque porteur est déterminé en proportion de sa quote-part dans la répartition faite au titre de l'année considérée ... Ce droit à imputation ne peut excéder celui auquel l'intéressé aurait pu prétendre s'il avait perçu directement sa quote-part des mêmes produits" ; qu'il découle de ces dispositions que le gérant d'un fonds commun de placement ne peut délivrer de certificats de crédit d'impôt aux porteurs de parts que dans la limite de la somme totale des crédits d'impôt attachés aux revenus perçus par le fonds ; que cette règle a été rappelée par l'administration au paragraphe 58 de l'instruction 4-K-I-83 du 13 janvier 1983 ; que l'administration a néanmoins autorisé, aux paragraphes 63 à 67 de ladite instruction - et par dérogation à la règle légale susmentionnée à laquelle elle a entendu apporter une "mesure d'assouplissement" identique à celle instituée en 1969 pour le calcul du crédit d'impôt attaché aux revenus distribués par les sociétés d'investissement à capital variable (SICAV)- : "l'attribution aux parts supplémentaires créées entre la clôture de l'exercice et la date de mise en paiement des produits, d'un crédit d'impôt unitaire de même montant que celui alloué aux parts existantes à la clôture de l'exercice" ; que cette dérogation a une portée générale et n'est explicitement assortie d'aucune limitation quant au montant des crédits d'impôt susceptibles d'être ainsi créés ; que dans la mesure où elles ont pour conséquence, comme cela ressort de l'exemple chiffré donné auxparagraphes 66 et 67, en cas d'augmentation du nombre de parts entre la date de clôture de l'exercice et la date de distribution des produits du fonds, de permettre l'imputation par les porteurs de parts d'un montant global de crédit d'impôt supérieur au montant total attaché aux revenus perçus par le fonds, ces dispositions de l'instruction du 13 janvier 1983 ajoutent aux dispositions législatives précitées et sont, par suite, illégales ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'instruction 4-K-I-83 du 13 janvier 1983 n'a pu légalement autoriser le transfert par un fonds commun de placement à ses porteurs de parts d'un montant global de crédit d'impôt supérieur au montant total des crédits d'impôt attachés aux revenus perçus par ce fonds ; que les certificats de crédit d'impôt établis par le dépositaire d'un fonds commun de placement et délivrés aux porteurs de parts par le gérant de ce fonds ne peuvent, par suite, être tenus pour valablement établis au regard des règles légalement en vigueur dès lors que le montant global des crédits d'impôt certifiés excède le montant total des crédits d'impôt reçus par le fonds ;

Considérant toutefois qu'aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, "Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente" ; que les dispositions contenues dans les paragraphes 63 à 67 de l'instruction du 13 janvier 1983, qui ont le caractère d'une interprétation formelle de la loi fiscale et n'avaient pas encore été rapportées à la date des opérations en cause, sont susceptibles d'être invoquées par les contribuables pour faire échec à un redressement opéré par l'administration fiscale lorsque l'ensemble des conditions posées par l'instruction, et notamment celle posée au paragraphe 100 et relative au fonctionnement normal des fonds, sont remplies ;
Article 1er : Il est déclaré que les paragraphes 63 à 67 de l'instruction 4-K-I-83 du 13 janvier 1983 sont illégaux en ce qu'ils autorisent le transfert par un fonds commun de placement à ses porteurs de parts d'un montant global de crédit d'impôt supérieur au montant total des crédits d'impôt attachés aux revenus perçus par ce fonds ; que les certificats de crédit d'impôt établis par le dépositaire d'un fonds commun de placement et délivrés aux porteurs de parts par le gérant de ce fonds dans des conditions telles que le montant global des crédits d'impôt certifiés excède le montant total des crédits d'impôt reçus par le fonds ne peuvent être tenus pour valablement établis au regard des règles légalement en vigueur ; que, toutefois, les paragraphes 63 à 67 de ladite instruction sont susceptibles d'être invoqués par les contribuables pour faire échec à un redressement opéré par l'administration fiscale lorsque l'ensemble des conditions posées par l'instruction, et notamment celle posée au paragraphe 100 et relative au fonctionnement normal des fonds, sont remplies ;
Article 2 : Le jugement des conclusions de la requête de la SOCIETE ESSENCES ET CARBURANTS DE FRANCE tendant à ce qu'il soit répondu aux troisième, quatrième et cinquième questions préjudicielles posées par la cour d'appel de Paris est attribué au tribunal administratif de Paris.
Article 3 : La présente décision sera notifiée aux sociétés ESSENCES ET CARBURANTS DE FRANCE, Banque Dumenil-Leble et Cerus, au Premier Président de la cour d'appel de Paris, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au Président du tribunal administratif de Paris.


Sens de l'arrêt : Déclaration d'illégalité
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Analyses

- RJ1 COMPETENCE - COMPETENCE A L'INTERIEUR DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE - COMPETENCE DU CONSEIL D'ETAT EN PREMIER ET DERNIER RESSORT.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GENERALITES - TEXTES FISCAUX - LEGALITE DES DISPOSITIONS FISCALES - INSTRUCTIONS.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GENERALITES - TEXTES FISCAUX - OPPOSABILITE DES INTERPRETATIONS ADMINISTRATIVES (ART - L - 80 A DU LIVRE DES PROCEDURES FISCALES) - EXISTENCE.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GENERALITES - REGLES GENERALES D'ETABLISSEMENT DE L'IMPOT - ABUS DE DROIT.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - REVENUS DES CAPITAUX MOBILIERS ET ASSIMILABLES - REVENUS DISTRIBUES - DIVERS.


Références :

CGI Livre des procédures fiscales L80 A
Instruction du 13 janvier 1983
Loi 79-594 du 13 juillet 1979 art. 26

1.

Cf. décision identique du même jour : n° 189179


Publications
Proposition de citation: CE, 08 avr. 1998, n° 189180
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Collin
Rapporteur public ?: M. Goulard

Origine de la décision
Formation : Assemblee
Date de la décision : 08/04/1998
Date de l'import : 06/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 189180
Numéro NOR : CETATEXT000007984968 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1998-04-08;189180 ?
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