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25/05/1998 | FRANCE | N°159385

France | France, Conseil d'État, 2 / 6 ssr, 25 mai 1998, 159385


Vu la requête enregistrée le 17 juin 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le COMITE SOMPORT D'OPPOSITION TOTALE A L'AUTOROUTE CAEN-RENNES dont le siège est au lieu-dit "Le Méhédiot" à Curcy-sur-Orne (14220) ; le COMITE SOMPORT D'OPPOSITION TOTALE A L'AUTOROUTE CAEN-RENNES demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 22 avril 1994, déclarant d'utilité publique et urgents les travaux de mise aux normes autoroutières sur la section RN 175 actuelle de Caen (Calvados) à Coulvain (Calvados) et de construction de l'aut

oroute A 83 sur la section Coulvain-Avranches-échangeur avec la RN...

Vu la requête enregistrée le 17 juin 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le COMITE SOMPORT D'OPPOSITION TOTALE A L'AUTOROUTE CAEN-RENNES dont le siège est au lieu-dit "Le Méhédiot" à Curcy-sur-Orne (14220) ; le COMITE SOMPORT D'OPPOSITION TOTALE A L'AUTOROUTE CAEN-RENNES demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 22 avril 1994, déclarant d'utilité publique et urgents les travaux de mise aux normes autoroutières sur la section RN 175 actuelle de Caen (Calvados) à Coulvain (Calvados) et de construction de l'autoroute A 83 sur la section Coulvain-Avranches-échangeur avec la RN 175 à Poilley (Manche), classant dans la catégorie des autoroutes la section Caen-Poilley et mettant en compatibilité les plans d'occupation des sols de Poilley, Ponts, Saint-Martin des Champs et Saint Senier-sous-Avranches ;
2°) d'ordonner le sursis à exécution de ce décret ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 000 F sur le fondement de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le protocole de Sofia sur les émissions d'oxyde d'azote, signé le 1er novembre 1988, en complément de la convention de Genève sur la pollution atmosphérique et publié par décret du 2 octobre 1991 ;
Vu la convention cadre des Nations-Unis sur les changements climatiques, ratifiée par la loi du 5 février 1994 et publiée le 8 février 1994 ;
Vu la déclaration annexée à la décision du 15 décembre 1993 du Conseil de l'Union européenne approuvant la convention cadre de Rio sur les changements climatiques ;
Vu la directive n° 85-337 du 27 juin 1985 du Conseil des Communautés européennes ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code rural ;
Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 ;
Vu la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 ;
Vu la loi n° 83-360 du 12 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 ;
Vu le décret n° 84-617 du 17 juillet 1984 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Ribadeau Dumas ,
- les conclusions de M. Abraham, Commissaire du gouvernement ;

Sur l'intervention de l'association pour la protection du bocage de l'Avranchin :
Considérant que l'association pour la sauvegarde du bocage de l'Avranchin a intérêt à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi son intervention est recevable ;
Sur la légalité externe :
Sur le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact :
Considérant, d'une part, que l'article 2 du décret du 12 octobre 1977 pris pourl'application de l'article 2 de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, dans sa rédaction antérieure à celle qui résulte du décret du 25 février 1993, impliquait déjà que fussent étudiés dans l'étude d'impact les effets tant directs qu'indirects du projet sur l'environnement ; qu'ainsi le décret du 12 octobre 1977 était compatible avec les objectifs fixés par la directive du Conseil des communautés européennes du 27 juin 1985 ;
Considérant, d'autre part, qu'il ressort de l'examen du dossier soumis à enquête que l'étude d'impact comportait une analyse des éléments énumérés aux 1°), 2°), 3°), 4°) de l'article 2 du décret du 12 octobre 1977 et que son contenu était en relation avec l'importance des travaux projetés et leurs incidences prévisibles sur l'environnement ;
Sur le moyen tiré de la violation de la circulaire du ministre de l'équipement du 15 décembre 1992 :
Considérant que la circulaire du ministre de l'équipement du 15 décembre 1992 qui n'a pas de caractère réglementaire, n'est pas susceptible d'être utilement invoquée à l'encontre du décret attaqué ;
Sur le moyen relatif à l'appréciation des dépenses :
Considérant que le dossier soumis à l'enquête comprend obligatoirement, aux termes de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : "I. Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages ( ...) 5°) L'appréciation sommaire des dépenses" ; qu'il ressort de l'examen du dossier soumis à l'enquête que celui-ci indiquait le coût réel de l'opération tel qu'il pouvait être raisonnablement apprécié à la date de l'enquête ;
Sur le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'évaluation socio-économique :

Considérant qu'une étude d'évaluation socio-économique figurait au dossier d'enquête, conformément aux dispositions de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; que cette étude contenait les éléments essentiels de l'évaluation imposée par les dispositions de l'article 4 du décret du 17 juillet 1984, pris pour l'application de l'article 14 de la loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs, et indiquait notamment les coûts de construction et d'exploitation des ouvrages, le taux de rentabilité économique et les raisons du choix du projet, ses effets prévisibles sur les autres modes de transport et un bilan prévisionnel de ses avantages et inconvénients ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de l'insuffisance des dispositions concernant les aires de repos et de service :
Considérant que le moyen tiré de l'insuffisante précision de la localisation des aires de repos et de service dans le dossier soumis à l'enquête manque en fait ;
Sur le moyen tiré de l'insuffisante publicité de l'avis d'enquête :
Considérant que, contrairement à ce que soutient le comité requérant, l'avis d'enquête a été publié dans deux journaux nationaux, conformément aux dispositions de l'article R. 11-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; qu'ainsi le moyen manque enfait ;
Sur le moyen tiré de l'irrégularité du rapport de la commission d'enquête :
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article R. 11-10 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique que, si la commission d'enquête doit examiner les observations consignées au registre, elle n'est pas tenue de répondre à chacune des observations qui lui sont soumises ; qu'il ressort de l'examen du rapport de la commission d'enquête que les lettres d'observations recueillies ont été consignées au dossier et qu'elles ont été examinées par les commissaires-enquêteurs ; que la circonstance qu'une lettre d'observation émanant d'une association n'aurait pas été consignée au dossier ne constitue pas un vice substantiel de nature à entraîner l'irrégularité de la procédure, dès lors que les observations contenues dans cette lettre étaient proches de celles contenues dans d'autres lettres consignées au dossier ;
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 12 juillet 1983 : "Le rapport doit faire état des contre-propositions qui auraient été produites durant l'enquête" ; que si une lettre mentionnée au rapport de la commission d'enquête comprenait une section intitulée "contreproposition" se prononçant en faveur d'une modernisation de la route nationale et de la voie ferrée existantes, le rapport de la commission d'enquête en fait suffisamment état en mentionnant "l'opposition des associations de protection de l'environnement à la primauté accordée au transport par route au détriment du transport ferroviaire moins polluant et déstructurant" ;

Considérant que la commission d'enquête, si elle doit examiner les observations du public, doit exprimer l'avis personnel de ses membres ; qu'ainsi, en portant un jugement sur les avis hostiles au projet recueillis, la commission n'a pas fait preuve de partialité ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article L. 123-8 du code de l'urbanisme :
Considérant qu'il ressort des articles L. 123-8, L. 121-6 et L. 121-7 du code de l'urbanisme que lorsque la déclaration d'utilité publique n'est pas compatible avec les plans d'occupation des sols des communes concernées, les chambres de commerce et d'industrie, les chambres de métiers et les chambres d'agriculture sont associées à leur demande à la procédure de mise en compatibilité des plans d'occupation des sols ; qu'ainsi, dès lors qu'il n'est pas allégué que les chambres de commerce et d'industrie ou les chambres de métiers des départements concernés avaient demandé à être consultées, le comité requérant n'est pas fondé à soutenir que des consultations requises par l'article L. 123-8 du code de l'urbanisme n'ont pas été effectuées ;
Sur la légalité interne :
Sur le moyen tiré de ce que la construction de l'autoroute projetée violerait les engagements internationaux de la France :
Considérant que les stipulations de la convention de Genève sur la pollution atmosphérique et de son protocole signé à Sofia relatif aux émissions d'oxyde d'azote, d'une part, de la convention signée à Rio relative aux changements climatiques et de la décision du Conseil de l'Union européenne du 15 décembre 1993, d'autre part, fixent pour objectif aux parties contractantes de ne pas dépasser à compter du 31 décembre 1994 le niveau des émissions annuelles nationales d'oxyde d'azote de 1987 et à compter de l'an 2000 le niveau des émissions annuelles nationales de dioxyde d'azote de 1990 ;
Considérant que le comité requérant n'apporte aucun élément au soutien de sesallégations selon lesquelles la construction de l'autoroute projetée empêcherait la France d'atteindre ces objectifs ; que par suite, le moyen tiré de la violation de ces stipulations ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article L. 211-1 du code rural :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 211-1 du code rural, dans sa rédaction en vigueur à la date du décret attaqué : "Lorsqu'un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine biologique national justifient la conservation d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées, sont interdits ( ...) 3° La destruction, l'altération ou la dégradation du milieu particulier à ces espèces animales ou végétales." ;
Considérant que les requérants n'apportent aucun élément à l'appui de leurs affirmations concernant la destruction ou l'altération des biotopes d'espèces protégées qu'entraînerait la réalisation de l'autoroute projetée ; que par suite le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait irrégulier au regard des dispositions précitées ne peut qu'être écarté ;
Sur l'utilité publique du projet :

Considérant qu'une opération ne peut légalement être déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, éventuellement, les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à d'autres intérêts publics qu'elle comporte, ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente ;
Considérant que la section Caen-Avranches de l'A 83, laquelle reliera Caen à Niort, s'inscrit dans le projet de "route des estuaires" destinée à désenclaver la façade maritime Ouest de la France et à offrir des liaisons rapides, évitant la région parisienne, entre le Nord et le Sud de l'Europe ; qu'elle répond également à un objectif d'amélioration de la desserte régionale ; qu'elle devrait enfin accroître la sécurité des déplacements routiers ; que sa réalisation présente ainsi un caractère d'utilité publique ; qu'eu égard tant à l'importance de l'opération qu'aux précautions prises et, en particulier, au fait que l'administration a procédé à des modifications de tracé pour lever les réserves formulées par la commission d'enquête, ni les inconvénients de toute nature du projet, notamment pour l'environnement, ni son coût financier ne peuvent être regardés comme excessifs par rapport à l'intérêt que l'opération présente ; que, dès lors, ces inconvénients ne sont pas de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique ;
Considérant que si le comité requérant soutient qu'en privilégiant le trafic routier au détriment du trafic ferroviaire, le décret méconnaîtrait l'article 1er de la loi du 31 décembre 1982, aux termes duquel "le système de transports intérieurs doit satisfaire les besoins des usagers dans les conditions économiques et sociales les plus avantageuses pour la collectivité", il n'appartient pas au Conseil d'Etat statuant au contentieux de contrôler l'appréciation à laquelle le gouvernement s'est livré en choisissant la construction de l'ouvrage envisagé, plutôt que la réalisation d'autres infrastructures de transport ;
Considérant que si les requérants soutiennent que la mise en conformité de la déviation ouest d'Avranches aurait permis la réalisation d'un autre tracé de cette partie du projet, aux conséquences économiques et écologiques plus avantageuses pour la collectivité, il n'appartient pas au Conseil d'Etat statuant au contentieux de se prononcer sur le tracé retenu par l'administration ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le comité requérant n'est pasfondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué ;
Sur les conclusions des requérants tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer au comité requérant la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que l'association pour la protection du bocage de l'Avranchin qui n'est pas partie à l'instance ne peut davantage prétendre au versement d'une somme au titre de tels frais ;
Article 1er : L'intervention de l'association pour la protection du bocage de l'Avranchin est admise.
Article 2 : La requête du COMITE SOMPORT D'OPPOSITION TOTALE A L'AUTOROUTE CAEN-RENNES est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l'association pour la protection du bocage de l'Avranchin tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au COMITE SOMPORT D'OPPOSITION TOTALE A L'AUTOROUTE CAEN-RENNES, à l'association pour la protection du bocage de l'Avranchin, au Premier ministre et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.


Synthèse
Formation : 2 / 6 ssr
Numéro d'arrêt : 159385
Date de la décision : 25/05/1998
Type d'affaire : Administrative

Analyses

34 EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE.


Références :

CEE Directive 85-337 du 27 juin 1985 Conseil
CEE Décision du 15 décembre 1993 Conseil
Circulaire du 15 décembre 1992
Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique R11-3, R11-4, R11-10
Code de l'urbanisme L123-8, L121-6, L121-7
Code rural L211-1
Convention du 13 novembre 1979 Genève pollution atmosphérique
Convention du 09 mai 1992 Rio changements climatiques
Décret 77-1141 du 12 octobre 1977 art. 2
Décret 84-617 du 17 juillet 1984 art. 4
Décret 93-245 du 25 février 1993
Loi 76-629 du 10 juillet 1976 art. 2
Loi 82-1153 du 30 décembre 1982 art. 1, art. 14
Loi 83-360 du 12 juillet 1983 art. 4
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75
Protocole du 01 novembre 1988 Sofia émissions d'oxyde d'azote


Publications
Proposition de citation : CE, 25 mai. 1998, n° 159385
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Ribadeau Dumas
Rapporteur public ?: M. Abraham

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1998:159385.19980525
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