Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 mai 1997 et 12 septembre 1997 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.A.R.L. COMPAGNIE TELEPHONIQUE, dont le siège est ... représentée par ses représentants légaux, agissant en exécution d'un jugement du 24 février 1997 du tribunal de commerce de Bayonne ; la S.A.R.L. COMPAGNIE TELEPHONIQUE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'apprécier la légalité de l'article D. 732-1 du code du travail, en tant qu'il se réfère à la nomenclature issue du décret du 16 janvier 1947 et de déclarer que cette disposition est entachée d'illégalité ;
2°) de condamner la caisse régionale d'Aquitaine pour congés payés du bâtiment à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 47-142 du 16 janvier 1947 ;
Vu le décret n° 92-1129 du 2 octobre 1992 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Boissard, Auditeur,
- les observations de Me Hemery, avocat de la S.A.R.L. COMPAGNIE TELEPHONIQUE et de Me Odent, avocat de la caisse régionale d'Aquitaine pour congés payés du bâtiment,
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par un jugement du 24 février 1997, le tribunal de commerce de Bayonne a sursis à statuer dans l'instance pendante entre la S.A.R.L. COMPAGNIE TELEPHONIQUE et la caisse régionale d'Aquitaine pour congés payés du bâtiment jusqu'à ce que la juridiction administrative compétente se soit prononcée sur l'exception tirée de ce que la partie du décret du 30 avril 1949 codifié sous l'article D. 732-1 du code du travail, "en tant qu'il se réfère à la nomenclature issue du décret du 19 janvier 1947", serait devenue illégale en raison du changement des circonstances de fait ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 223-16 du code du travail figurant dans le chapitre relatif aux congés annuels : "Des décrets déterminent les professions, industries et commerces et, en particulier, ceux où les salariés ne sont pas habituellement occupés d'une façon continue chez un même employeur au cours de la période reconnue pour l'appréciation du droit au congé, où l'application des dispositions du présent chapitre comporte des modalités spéciales, sous forme notamment de la constitution de caisses de congés auxquelles doivent obligatoirement s'affilier les employeurs intéressés ( ...)" ; que, pris en application de ces dispositions, l'article D. 732-1 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 30 avril 1949, dispose que : "Le service des congés payés est obligatoirement assuré par des caisses constituées à cet effet dans les entreprises appartenant aux groupes ci-après de la nomenclature des entreprises, établissements et toutes activités collectives : 33, à l'exception des numéros 33.411, 33.430 (en ce qui concerne la fabrication d'éléments de maison métalliques), 33.561, 33.751 (en ce qui concerne la fabrication de paratonnerres) et à l'exception du sous-groupe 33.8 ; 34, à l'exception du sous-groupe 34.9. Le régime institué par le présent chapitre s'applique également aux carrières annexées aux entreprises susvisées ainsi qu'aux ateliers, chantiers et autres établissements travaillant exclusivement pour le fonctionnement et l'entretien de ces entreprises, qu'ils soient ou non annexés à celles-ci" ; qu'il résulte de ces dispositions que l'article D. 732-1 institue un régime spécial de congés payés applicable aux entreprises dont l'activité est définie par les groupes de la nomenclature des entreprises, établissements et activités collectives annexée au décret du 16 janvier 1947, alors en vigueur, qu'il énumère, c'est-à-dire aux entreprises appartenant au secteur du bâtiment et des travaux publics ;
Considérant que, si une décision réglementaire peut cesser d'être applicable en raison d'un changement dans les circonstances qui ont pu légalement motiver son édiction, enmatière économique, et plus généralement dans les matières où l'administration dispose de pouvoirs étendus pour adapter son action à l'évolution des circonstances de fait, un tel changement ne peut entraîner l'illégalité d'un acte réglementaire que s'il revêt le caractère d'un bouleversement tel qu'il ne pouvait entrer dans les prévisions de l'auteur de la mesure et qu'il a eu pour effet de retirer à celle-ci son fondement juridique ;
Considérant, en premier lieu, que l'évolution de la délimitation du secteur du bâtiment et des travaux publics, telle qu'elle résulte du rapprochement de la nomenclature des entreprises, établissements et toutes activités collectives annexée au décret susmentionné du 16 janvier 1947 et de la nomenclature d'activités et de produits annexée au décret du 2 octobre 1992 actuellement en vigueur, n'a pas revêtu une importance telle qu'elle puisse être considérée comme un bouleversement des circonstances de fait susceptible de priver de base légale les dispositions de l'article D. 732-1 du code du travail, en tant que cet article s'applique à l'ensemble des catégories d'entreprises exerçant, partiellement ou totalement, leur activité dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, tel qu'il est défini par la nomenclature susmentionnée de 1947, y compris les entreprises ayant une activité d'installation de matériel téléphonique ;
Considérant, en second lieu, qu'il n'est pas établi que les changements intervenus depuis l'entrée en vigueur du décret du 30 avril 1949 repris à l'article D. 732-1 du code du travail, en ce qui concerne l'organisation du travail dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, aient revêtu une ampleur telle qu'ils aient rendu illégal le maintien pour les entreprises de ce secteur d'un régime spécial de congés payés ; qu'en tout état de cause, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 223-16 du code du travail, l'autorité administrative n'est pas tenue, lorsqu'elle institue un régime dérogatoire au régime de droit commun des congés annuels dans un secteur d'activité, de tenir compte uniquement du caractère discontinu de l'emploi des salariés de ce secteur ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la S.A.R.L. COMPAGNIE TELEPHONIQUE n'est pas fondée à soutenir que l'article D. 732-1 du code du travail, en tant qu'il se réfère pour la détermination de son champ d'application à la nomenclature des entreprises, établissements et toutes activités collectives annexée au décret du 16 janvier 1947, serait devenu illégal par suite d'un changement dans les circonstances de fait ;
Sur les conclusions de la S.A.R.L. COMPAGNIE TELEPHONIQUE tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que la caisse régionale d'Aquitaine pour congés payés du bâtiment, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à la S.A.R.L. COMPAGNIE TELEPHONIQUE la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de la S.A.R.L. COMPAGNIE TELEPHONIQUE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la S.A.R.L. COMPAGNIE TELEPHONIQUE, à la caisse régionale d'Aquitaine pour congés payés du bâtiment et au ministre de l'emploi et de la solidarité.