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06/11/1998 | FRANCE | N°156533

France | France, Conseil d'État, 9 / 8 ssr, 06 novembre 1998, 156533


Vu le recours du MINISTRE DU BUDGET enregistré le 25 février 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DU BUDGET demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 30 décembre 1993 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 6 novembre 1991 du tribunal administratif de Paris et déchargé Mme de X... du supplément d'impôt sur le revenu auquel elle avait été assujettie au titre de l'année 1984 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code civil ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juill

et 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administrativ...

Vu le recours du MINISTRE DU BUDGET enregistré le 25 février 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DU BUDGET demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 30 décembre 1993 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 6 novembre 1991 du tribunal administratif de Paris et déchargé Mme de X... du supplément d'impôt sur le revenu auquel elle avait été assujettie au titre de l'année 1984 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code civil ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Dulong, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Parmentier, avocat de Mme de X...,
- les conclusions de M. Loloum, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 156 du code général des impôts : "L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. Ce revenu net est déterminé ... sous déduction : I. Du déficit constaté pour une année dans une catégorie de revenus ; si le revenu global n'est pas suffisant pour que l'imputation puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté successivement sur le revenu global des années suivantes jusqu'à la cinquième année inclusivement ..." ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 767 du code civil : "Le conjoint survivant non divorcé, qui ne succède pas à la pleine propriété ..., a sur la succession du prédécédé un droit d'usufruit qui est : d'un quart, si le défunt laisse un ou plusieurs enfants soit légitimes, issus ou non du mariage, soit naturels ... - Jusqu'au partage définitif, les héritiers peuvent exiger, moyennant sûretés suffisantes et garantie du maintien de l'équivalence initiale, que l'usufruit de l'époux survivant soit converti en une rente viagère équivalente ..." ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une convention conclue le 11 janvier 1984, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 767 du code civil, l'usufruit du quart que Mme de X... avait sur la succession de son mari, décédé le 14 mars 1983, a été, sur la demande des cinq enfants nés du mariage de M. et Mme de X..., converti en une rente viagère d'une valeur égale aux revenus produits ou susceptibles d'être produits par l'usufruit et maintenue dans cette équivalence initiale par une indexation sur les variations de l'indice des prix à la consommation ; que cette convention stipulait que les arrérages de la rente commenceraient à courir rétroactivement de la date du décès de M. de X... et que, en contrepartie, Mme de X... restituerait les revenus encaissés par elle depuis cette date au titre de son droit d'usufruit ; que, conformément à cette stipulation, Mme de X... a reversé, en 1984, une somme de 564 918 F constituée, notamment, à concurrence de 559 057 F, par les revenus de capitaux mobiliers, incluant un avoir fiscal de 85 280 F, que l'exercice de son droit d'usufruit lui avait procurés en 1983 et qui avaient été compris dans les bases de l'impôt sur le revenu auquel elle a été assujettie au titre de ladite année ; que l'administration a admis que Mme de X... impute la somme ci-dessus mentionnée de 559 057 F sur les revenus de capitaux mobiliers, d'un montant de 24 255 F, qu'elle avait perçus à titre personnel en 1984 et que le déficit de 534 802 F constaté après cette imputation soit, pour la fraction, qui excédait le revenu global de l'intéressée, au titre de l'année 1984, arrêté à la somme non contestée de 308 406 F, obtenue en appliquant au montant total de la rente viagère indexée de 1 028 020 F qui lui avait été versée, la même année, au titre de la période écoulée entre le 14 mars 1983 et le 31 décembre 1984, la réduction de 70 % prévue, pour l'imposition dans la catégorie des traitements et salaires, des rentes viagères constituées à titre onéreux, en faveur des crédirentiers âgés de plus de 69 ans, par le 6. de l'article 158 du code général des impôts, soit reporté sur le revenu global des années 1985 et 1986 ; que l'impôt sur le revenu mis à la charge de Mme de X... au titre de ces deux années ayant été établi sans qu'il fut tenu compte de ce report, l'administration a prononcé, le 18 juillet 1988, au profit de l'intéressée, des dégrèvements de 54 071 F au titre de l'année 1985 et de 16 305 F au titre de l'année 1986 ; que, revenant toutefois sur sa position initiale, l'administration a estimé quel'imputation des reversements effectués par Mme de X... en application de la stipulation ci-dessus analysée de la convention du 11 octobre 1984, n'aurait pas dû comprendre l'avoir fiscalde 85 280 F dont elle avait bénéficié en 1983, et décidé que le dégrèvement, s'élevant au total à 70 376 F qu'elle avait accordé le 18 juillet 1988 à Mme de X..., ne donnerait lieu à restitution qu'à concurrence d'une somme de 33 654 F ; que, conformément aux conclusions de Mme de X..., la restitution du surplus, de 36 722 F, a été ordonnée par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris contre lequel est dirigé le pourvoi en cassation formé par le MINISTRE DU BUDGET ;

Considérant que celui-ci avait soutenu devant la cour administrative d'appel, comme il persiste à le faire devant le Conseil d'Etat, que ses services auraient dû refuser l'imputation sur les revenus de capitaux mobiliers perçus par Mme de X... en 1984, non seulement de l'avoir fiscal de 85 280 F compris dans le reversement de 559 057 F qu'elle avait effectué, mais de la totalité de cette dernière somme, au motif qu'en restituant celle-ci, Mme de X... aurait procédé à un emploi de fonds qui, étant destinés à lui permettre d'acquérir un droit à rente viagère, de caractère patrimonial, n'étaient pas susceptibles de concourir, en application de l'article 156 du code général des impôts, à la formation d'un déficit dans une catégorie quelconque de revenus ;
Mais considérant, d'une part, que la conversion en rente viagère, dans les conditions prévues par l'article 767 du code civil, de l'usufruit légal attribué au conjoint survivant sur la succession du prédécédé implique le maintien et la garantie d'une équivalence entre le montant de cette rente et celui de l'usufruit, lui-même déterminé d'après les revenus de toute nature qu'il procurait ou était susceptible de procurer à son titulaire ; que la substitution à ces revenus des arrérages de la rente viagère s'opère ainsi sans profit ni perte pour le conjoint survivant, qui n'est donc conduit à exposer aucune dépense en capital pour acquérir le droit à la rente viagère stipulée par la convention de conversion ; qu'il n'en va pas différemment dans le cas particulier où, comme en l'espèce, cette convention a subordonné le versement des arrérages de la rente dus au titre de la période écoulée depuis le décès du conjoint, à la condition que son bénéficiaire restitue les revenus qu'il a perçus au cours de la même période par l'exercice de son droit d'usufruit ; qu'au titre de l'année de restitution de ces revenus, leur perte, compensée par le paiement d'arrérages de rente équivalents et soumis à imposition, comme revenus, au titre de la même année, dans la catégorie des traitements et salaires, est imputable sur les revenus imposables de la catégorie dont ils relevaient, le déficit éventuellement constaté après cette imputation étant ensuite, sauf disposition législative contraire, déduit du revenu global du crédirentier, dans les conditions prévues par l'article 156.I précité du code général des impôts ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 158 bis du code général des impôts : "Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué : - par les sommes qu'elles reçoivent de la société ; par un avoir fiscal représenté par un crédit d'impôt ouvert sur le Trésor. Ce crédit d'impôt est égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société. Il ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. Il est reçu en paiement de cet impôt ..." ; qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions que l'avoir fiscal est un élément constitutif du revenu dont disposent les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises ; que le fait que l'avoir fiscal a été utilisé par son bénéficiaire pour acquitter l'impôt dans la base duquel son montant, ajouté à celui des dividendes versés, a été compris, ne lui ôte pas le caractère de revenu que lui attribue l'article 158 bis précité, dans le cas où, au cours d'une année postérieure à celle au titre de laquelle il a été ainsi employé, son bénéficiaire a dû, comme en l'espèce, reverser les revenus procurés par l'exercice d'un droit d'usufruit portant sur des actions de sociétés françaises ; que l'avoir fiscal inclus dans ces revenus entre, par suite, dans le calcul de la perte imputable sur les revenus de capitaux mobiliers imposables perçus par le contribuable au cours de l'année dureversement ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que les revenus de capitaux mobiliers que Mme de X... avait perçus en 1983, par l'exercice de son droit d'usufruit, et reversés en 1984 dans les conditions ci-dessus rappelées, étaient, pour leur montant total, s'élevant à la somme, déjà mentionnée, de 559 057 F, qui incluait un avoir fiscal de 85 280 F, imputables sur les revenus de la même catégorie dont elle avait disposé au cours de cette année 1984, et que l'excédent du déficit ayant résulté de cette imputation était reportable, en application du I. de l'article 156 du code général des impôts sur le revenu global imposable de l'intéressée au titre des années 1985 et 1986, la cour administrative d'appel n'a commis aucune erreur de droit ; que le MINISTRE DU BUDGET n'est, par suite, pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, de condamner l'Etat à payer à Mme de X... la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le recours du MINISTRE DU BUDGET est rejeté.
Article 2 : L'Etat paiera à Mme de X... une somme de 12 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à Mme de X....


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REGLES GENERALES - IMPOT SUR LE REVENU - DETERMINATION DU REVENU IMPOSABLE - CHARGES DEDUCTIBLES - Déficits catégoriels déductibles - Existence - Conversion d'usufruit en rente viagère (article 767 du code civil) - Restitution des revenus perçus depuis le décès du conjoint au titre de l'usufruit - Imputation de la perte sur les revenus imposables de la catégorie dont ils relevaient et déduction du déficit catégoriel éventuellement constaté - sous réserve des autres conditions prévues par le CGI.

19-04-01-02-03-04 La conversion en rente viagère, dans les conditions prévues par l'article 767 du code civil, de l'usufruit légal attribué au conjoint survivant sur la succession du prédécédé s'opère sans profit ni perte pour le conjoint survivant qui n'expose aucune dépense en capital pour acquérir le droit à la rente, y compris lorsque, comme en l'espèce, le versement des arrérages de la rente pour la période écoulée depuis le décès du conjoint a été subordonné, par la convention de conversion, à la restitution par le bénéficiaire des revenus perçus au cours de cette période au titre de son droit d'usufruit. L'année de restitution de ces revenus, leur perte est imputable sur les revenus imposables de la catégorie dont ils relevaient, le déficit éventuellement constaté dans cette catégorie de revenus pouvant ensuite être déduit du revenu global du crédirentier dans les conditions prévues par le CGI, tandis que le paiement des arrérages de la rente correspondants sont soumis à imposition comme revenus dans la catégorie des traitements et salaires.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - REVENUS DES CAPITAUX MOBILIERS ET ASSIMILABLES - a) Conversion d'usufruit en rente viagère (article 767 du code civil) - Restitution des revenus perçus depuis le décès du conjoint au titre de l'usufruit - Imputation sur les revenus de capitaux mobiliers - Déficit catégoriel déductible - Existence - b) Prise en compte de l'avoir fiscal - dont les dividendes perçus au titre de l'usufruit étaient assortis - dans le calcul de la perte imputable sur les revenus de capitaux mobiliers.

19-04-02-03 a) La conversion en rente viagère, dans les conditions prévues par l'article 767 du code civil, de l'usufruit légal attribué au conjoint survivant sur la succession du prédécédé s'opère sans profit ni perte pour le conjoint survivant qui n'expose aucune dépense en capital pour acquérir le droit à la rente, y compris lorsque, comme en l'espèce, le versement des arrérages de la rente pour la période écoulée depuis le décès du conjoint a été subordonné, par la convention de conversion, à la restitution par le bénéficiaire des revenus de capitaux mobiliers perçus au cours de cette période au titre de son droit d'usufruit. L'année de restitution de ces revenus, leur perte est imputable sur les autres revenus de capitaux mobiliers et le déficit éventuellement constaté dans cette catégorie peut être déduit du revenu global du crédirentier tandis que les arrérages de la rente correspondant sont soumis à imposition comme revenus dans la catégorie des traitements et salaires. b) La restitution de revenus de capitaux mobiliers procurés par l'exercice d'un droit d'usufruit en échange du versement d'arrérages d'une rente viagère, dans les conditions prévues par l'article 767 du code civil, comprend l'avoir fiscal auquel la perception de dividendes distribués par des sociétés françaises ouvre droit, nonobstant le fait que cet avoir ait été utilisé par son bénéficiaire initial pour acquitter l'impôt dans la base duquel cet avoir a été compris, et entre donc dans le calcul de la perte imputable sur les revenus de capitaux mobiliers imposables perçus par le contribuable au cours de l'année de reversement.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - REVENUS DES CAPITAUX MOBILIERS ET ASSIMILABLES - REVENUS DISTRIBUES - AVOIR FISCAL - Conversion d'usufruit en rente viagère (article 767 du code civil) - Restitution des revenus perçus depuis le décès du conjoint au titre de l'usufruit - Imputation sur les revenus de capitaux mobiliers - Déficit catégoriel déductible - Prise en compte de l'avoir fiscal - dont les dividendes perçus au titre de l'usufruit étaient assortis - dans le calcul de la perte imputable sur les revenus de capitaux mobiliers - Existence.

19-04-02-03-01-02 La restitution de revenus de capitaux mobiliers procurés par l'exercice d'un droit d'usufruit en échange du versement d'arrérages d'une rente viagère, dans les conditions prévues par l'article 767 du code civil, comprend l'avoir fiscal auquel la perception de dividendes distribués par des sociétés françaises ouvre droit, nonobstant le fait que cet avoir ait été utilisé par son bénéficiaire initial pour acquitter l'impôt dans la base duquel cet avoir a été compris, et entre donc dans le calcul de la perte imputable sur les revenus de capitaux mobiliers imposables perçus par le contribuable au cours de l'année de reversement.


Références :

CGI 156, 158, 158 bis
Code civil 767
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation: CE, 06 nov. 1998, n° 156533
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Groux
Rapporteur ?: M. Dulong
Rapporteur public ?: M. Loloum

Origine de la décision
Formation : 9 / 8 ssr
Date de la décision : 06/11/1998
Date de l'import : 06/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 156533
Numéro NOR : CETATEXT000007976663 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1998-11-06;156533 ?
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