Vu la requête, enregistrée le 3 juillet 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme Nicole X... et M. René Y... demeurant ... ; Mme X... et M. Y... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 26 avril 1996 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande de transfert de la société civile professionnelle d'huissiers de justice de Mme X... et de M. Z... à Annecy ;
2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice d'autoriser ledit transfert ou, subsidiairement, de prendre une nouvelle décision dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 20 000 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 75-770 du 14 août 1975 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu la loi n° 95-125 du 8 février 1995 modifiant la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Mitjavile, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Gatineau, avocat de Mme X... et M. Y...,
- les conclusions de M. Seban, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 37 du décret du 14 août 1975 susvisé : "L'arrêté portant transfert ou suppression d'un office d'huissier de justice est pris après avis des chambres départementale et régionale dont relèvent les huissiers de justice concernés par le transfert ou la suppression" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que deux des quatre membres composant la chambre départementale des huissiers de justice qui a été consultée, en application des dispositions précitées du décret du 14 août 1975, sur la demande présentée par Mme X... et M. Y..., huissiers de justice associés, tendant au transfert de leur office de Seynod à Annecy, et qui, à la différence de la chambre régionale, a émis un avis défavorable à cette demande, appartenaient à des sociétés civiles professionnelles elles-mêmes titulaires d'offices sis à Annecy ; que la participation de ces deux membres à la délibération a porté atteinte aux garanties d'objectivité que doit, en raison de sa nature, présenter une telle consultation ; que cette irrégularité a vicié la décision du 26 avril 1996 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, suivant l'avis émis dans ces conditions, a rejeté la demande de Mme X... et de M. Y... qui sont, dès lors, fondés, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, à demander l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ;
Sur les conclusions de Mme X... et M. Y... tendant à l'application de l'article 6-1 de la loi du 16 juillet 1980 :
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 6-1 de la loi du 16 juillet 1980 : "Lorsqu'il règle un litige au fond par une décision qui implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ... doit à nouveau se prononcer après une nouvelle instruction, le Conseil d'Etat, saisi de conclusions en ce sens, prescrit que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ..." ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à la consultation régulière des chambres départementale et régionale d'huissiers de justice compétentes en application des dispositions précitées du décret du 14 août 1975 susvisé, et de prendre une nouvelle décision sur la demande de Mme X... et M. Y... dans le délai de six moisà compter de la notification de la présente décision ;
Sur les conclusions de Mme X... et M. Y... tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions susvisées de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à verser la somme de 20 000 F à Mme X... et M. Y... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La décision du 26 avril 1996, par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de transfert de la société civile professionnelle d'huissier de justice de Mme X... et M. Z... à Annecy, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à la consultation régulière des chambres départementale et régionale d'huissiers de justice compétentes et de prendre une nouvelle décision sur la demande de Mme X... et M. Y... dans le délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à Mme X... et M. Y... la somme de 20 000 F.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Nicole X..., à M. René Y... et au garde des sceaux, ministre de la justice.