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25/11/1998 | FRANCE | N°172407

France | France, Conseil d'État, 5 / 3 ssr, 25 novembre 1998, 172407


Vu la requête, enregistrée le 4 septembre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion, dont le siège est ..., Luxembourg-Kirchberg ; la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule pour excès de pouvoir la lettre du 4 juillet 1995 par laquelle le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel lui a fait savoir que le conseil souhaitait que puisse être renouvelée en l'état, pour une durée de trois ans, la convention liant la Compagnie luxembourgeoise de télédi

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Vu la requête, enregistrée le 4 septembre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion, dont le siège est ..., Luxembourg-Kirchberg ; la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule pour excès de pouvoir la lettre du 4 juillet 1995 par laquelle le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel lui a fait savoir que le conseil souhaitait que puisse être renouvelée en l'état, pour une durée de trois ans, la convention liant la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion au Conseil supérieur de l'audiovisuel pour la diffusion par câble, sur le territoire français, du programme RTL Télévision, devenu RTL 9 ;
2°) condamne l'Etat à lui verser une somme de 40 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de la communication, notamment ses articles 33 et 34-1 ;
Vu le décret n° 92-882 du 1er septembre 1992 ;
Vu la directive du conseil des communautés européennes en date du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Sanson, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion a demandé le 4 avril 1995 au Conseil supérieur de l'audiovisuel que soient introduits plusieurs amendements dans la convention passée entre elle et le Conseil supérieur de l'audiovisuel le 7 juillet 1993 et venant à expiration le 7 juillet 1995, relative à la diffusion sur les réseaux câblés français de services de télévision ; que ces amendements tendaient à ce que le programme de télévision "RTL 9", diffusé par la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion, soit regardé comme un service émis depuis le Luxembourg et non depuis la France et qu'il relève ainsi des dispositions du titre III et non du titre II du décret n° 92-882 du 1er septembre 1992 relatif au régime alors applicable aux services de radiodiffusion et de télévision distribués par câble ; que la convention, selon la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion, devait ainsi être modifiée, notamment en ce qui concerne les règles de diffusion d'oeuvres cinématographiques européennes et d'expression originale française ; que le Conseil supérieur de l'audiovisuel, par une lettre du 4 juillet 1995, soit quelques jours avant l'expiration de la convention en cause, a rejeté implicitement cette demande de modification de la convention, se bornant à proposer son renouvellement sans changement pour une durée de trois ans ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel :
Considérant que le Conseil supérieur de l'audiovisuel soutient, à titre principal, que la requête serait irrecevable, la décision attaquée n'ayant pas le caractère d'une décision faisant grief ;

Considérant toutefois qu'aux termes de l'article 34-1 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée, dans sa rédaction alors en vigueur : "Les services de radiodiffusion sonore et de télévision qui ne consistent pas en la reprise intégrale et simultanée soit d'un service fourni par une société nationale mentionnée à l'article 44 ou par la chaîne culturelle européenne, issue du traité signé le 2 octobre 1990, soit d'un service bénéficiaire d'une autorisation en application des articles 29, 30, 31 et 65, soit d'un service soumis au régime de la concession de service public ne peuvent être distribués par les réseaux câblés établis en application du présent chapitre qu'après qu'a été conclue avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel une convention définissant les obligations particulières à ces services (...) Cette convention, qui ne peut être conclue qu'avec une personne morale, définit, dans le respect des règles générales fixées enapplication de la présente loi et notamment de son article 33, les obligations particulières au service considéré ainsi que les prérogatives et les pénalités contractuelles dont dispose le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour assurer le respect des obligations conventionnelles (...)" ; que la convention passée en application de ces dispositions entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion valait autorisation d'émettre sur les réseaux câblés ; que la décision attaquée, qui refusait de modifier les conditions dans lesquelles le service doit être assuré et qui ne laissait d'autre possibilité à la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion que de signer une convention inchangée ou de renoncer à la diffusion en France de son programme RTL 9, constitue une décision faisant grief ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel doit être écartée ;

Sur la légalité de la décision attaquée :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
Considérant que l'article 2 de la directive dite "Télévision sans frontières" du conseil des communautés européennes du 3 octobre 1989 susvisée, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision litigieuse, dispose que : "1. Chaque Etat veille à ce que toutes les émissions de radiodiffusion télévisuelle transmises par des organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence ou par des organismes de radiodiffusion télévisuelle utilisant une fréquence ou la capacité d'un satellite accordée par cet Etat membre ou une liaison montante vers un satellite située dans cet Etat membre, tout en ne relevant de la compétence d'aucun Etat membre, respectent le droit applicable aux émissions destinées au public dans cet Etat membre" ; qu'aux termes de l'article 3 de la même directive : "1. Les Etats membres ont la faculté, en ce qui concerne les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence, de prévoir des règles plus strictes ou plus détaillées dans les domaines couverts par la présente directive. 2. Les Etats membres veillent, par les moyens appropriés, dans le cadre de leur législation, au respect, par les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence, des dispositions de la présente directive" ; que si le décret du 1er septembre 1992 susvisé fixant le régime alors applicable aux différentes catégories de services de radiodiffusion sonore et de télévision distribués par câble consacre son titre III aux dispositions applicables aux services émis depuis un pays membre de la communauté économique européenne, l'article 4 du même décret précise que les dispositions du titre II, "applicables aux services émis depuis la France ... sont également applicables, pour leur distribution par câble sur le territoire français, aux services ayant établi leur activité d'émission hors de France dans le seul but de se soustraire aux règles qui leur seraient applicables s'ils étaient établis en France, en vue de bénéficier d'un avantage par rapport aux services situés ou émettant en France" ; que le Conseil supérieur de l'audiovisuel s'est fondé sur les dispositions du titre II du décret précité pour imposer au service de télévision diffusant par câble le programme RTL 9 sur une partie du territoire français les règles relatives à la diffusion d'oeuvres cinématographiques applicables aux services émis depuis la France et pour refuser de modifier la convention du 7 juillet 1993 ;

Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier et du supplément d'instruction qui a été ordonné que le programme RTL 9, diffusé à partir du Grand Duché du Luxembourg, relève de deux sociétés de droit luxembourgeois, "RTL 9 SA et Compagnie SECS" et sa gérante, "RTL 9 SA", dont le siège social effectif est établi au Luxembourg ; que les décisions relatives à la politique de programmation et à l'assemblage final des programmes sont prises au Luxembourg ; que la circonstance qu'une partie du programme RTL 9 serait assurée par une société française de production, établie en France, la société "RTL-TVL", n'est pas de nature à faire regarder le programme RTL 9 comme un service émis par une société établie en France ;qu'il s'ensuit que le programme RTL 9 doit être regardé comme un service émis par une société établie, au sens de l'article 59 du traité de la communauté économique européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, dans un autre Etat membre de l'Union européenne, le Grand Duché du Luxembourg ; Considérant, d'autre part et en tout état de cause, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la société "RTL 9 et Compagnie SECS" et la société gérante, "RTL 9 SA", aient établi leur activité d'émission hors de France dans le seul but de se soustraire aux règles qui leur auraient été applicables, si elles s'étaient installées en France, au sens des dispositions précitées du décret du 1er septembre 1992 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion est fondée à demander l'annulation de la décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 4 juillet 1995 par laquelle ce dernier a refusé de modifier la convention existante pour la rendre compatible avec les dispositions du titre III du décret du 1er septembre 1992 alors en vigueur ;
Sur les conclusions de la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion une somme de 15 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel en date du 4 juillet 1995 est annulée.
Article 2 : L'Etat versera à la CLT-UFA une somme de 15 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion, au Conseil supérieur de l'audiovisuel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 5 / 3 ssr
Numéro d'arrêt : 172407
Date de la décision : 25/11/1998
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

COMMUNAUTES EUROPEENNES - REGLES APPLICABLES - EDUCATION ET CULTURE - Directive "Télévision sans frontières" du 3 octobre 1989 - Faculté pour les Etats-membres de prévoir des règles plus strictes ou plus détaillées en matière de radiodiffusion télévisuelle pour les organismes qui relèvent de leur compétence (article 3) - Règles relatives à la diffusion d'oeuvres cinématographiques applicables aux services émis depuis la France - Notion de service émis depuis la France.

15-05-08, 56-02-01 Un programme diffusé à partir du Grand Duché du Luxembourg, qui relève de deux sociétés de droit luxembourgeois dont le siège social effectif est établi au Luxembourg et pour lequel les décisions relatives à la politique de programmation et à l'assemblage final des programmes sont prises au Luxembourg n'est pas un service émis par une société établie en France au sens de l'article 59 du traité instituant la Communauté européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, alors même qu'une partie de ce programme est assurée par une société française de production établie en France.

- RJ1 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - REGLES DE PROCEDURE CONTENTIEUSE SPECIALES - RECEVABILITE - RECEVABILITE DU RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR EN MATIERE CONTRACTUELLE - Recours dirigés contre des actes détachables - Refus de modifier une convention conclue pour la distribution d'un service de radiodiffusion sonore et de télévision par les réseaux câblés (article 34-1 de la loi du 30 septembre 1986) (1).

39-08-01-01, 54-02-01-01, 56-04-03-02-02 La décision par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel refuse de modifier les conditions dans lesquelles un service de radiodiffusion sonore et de télévision par les réseaux câblés est assuré, ne laissant d'autre choix à la société assurant le service et qui était liée au Conseil par une convention signée en application de l'article 34-1 de la loi du 30 septembre 1986 venant à expiration que de renoncer à la diffusion de son programme ou de signer une convention inchangée, constitue une décision faisant grief pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (1).

- RJ1 PROCEDURE - DIVERSES SORTES DE RECOURS - RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR - RECOURS AYANT CE CARACTERE - Conseil supérieur de l'audiovisuel - Recours dirigé contre un refus de modification de la convention signée pour la distribution d'un service de radiodiffusion sonore et de télévision par les réseaux câblés en application de l'article 34-1 de la loi du 30 septembre 1986 (1).

RADIODIFFUSION SONORE ET TELEVISION - REGLES GENERALES - REGIME D'EMISSION - Faculté pour les Etats-membres de prévoir des règles plus strictes ou plus détaillées en matière de radiodiffusion télévisuelle pour les organismes qui relèvent de leur compétence (article 3 de la directive dite "Télévision sans frontières" du 3 octobre 1989 dans sa rédaction alors applicable) - Règles relatives à la diffusion d'oeuvres cinématographiques applicables aux services émis depuis la France - Notion de service émis depuis la France.

- RJ1 RADIODIFFUSION SONORE ET TELEVISION - SERVICES PRIVES DE RADIODIFFUSION SONORE ET DE TELEVISION - SERVICES DE TELEVISION - SERVICES AUTORISES - SERVICES DE TELEVISION PAR CABLE - Convention prévue par l'article 34-1 de la loi du 30 septembre 1986 - Refus de modification de la convention - Décision susceptible de recours pour excès de pouvoir - Existence (1).


Références :

Décret du 07 juillet 1993
Décret 92-882 du 01 septembre 1992 art. 4
Loi 86-1067 du 30 septembre 1986 art. 34-1
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75

1.

Rappr. 1997-06-16, Société Métropole Télévision (M6), n°175767


Publications
Proposition de citation : CE, 25 nov. 1998, n° 172407
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Aubin
Rapporteur ?: M. Sanson
Rapporteur public ?: M. Chauvaux
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1998:172407.19981125
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