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14/12/1998 | FRANCE | N°171861

France | France, Conseil d'État, 7 /10 ssr, 14 décembre 1998, 171861


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 août et 11 décembre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.A.R.L. LEVAUX dont le siège est ... BP 1107 à Evry (91911) ; la S.A.R.L. LEVAUX demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 12 juin 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 4 mai 1993 ayant lui-même rejeté sa demande tendant à la condamnation de la régie immobilière de la Ville de Paris à l

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Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 août et 11 décembre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.A.R.L. LEVAUX dont le siège est ... BP 1107 à Evry (91911) ; la S.A.R.L. LEVAUX demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 12 juin 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 4 mai 1993 ayant lui-même rejeté sa demande tendant à la condamnation de la régie immobilière de la Ville de Paris à lui verser une somme de 6 912 794,14 F avec les intérêts de droit y afférents ;
2°) de condamner la régie immobilière de la Ville de Paris à lui verser la somme de 20 000 F au titre des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 97-1177 du 24 décembre 1997 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Edouard Philippe, Auditeur,
- les observations de :
- la SCP Delaporte, Briard, avocat de la S.A.R.L. LEVAUX,
- et de Me Choucroy, avocat de la Régie immobilière de la ville de Paris RIVP-,
- les conclusions de M. Savoie, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête :
Considérant que, pour demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 12 juin 1995, la S.A.R.L. LEVAUX soutient que la cour a commis une erreur de droit en estimant que la règle d'ordre public, selon laquelle une personne publique ne peut être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas, fait obstacle à ce que la régie immobilière de la Ville de Paris, agissant au nom de la Ville de Paris, soit condamnée à verser à la société requérante la somme qu'elle demande au titre du décompte définitif relatif aux marchés de construction signés le 7 avril 1987, du fait de l'expiration du délai prévu par les stipulations du marché pour contester les observations formulées par la requérante sur ledit décompte ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, ainsi que l'a relevé la cour, la commune intention des parties a été de se référer, parmi les documents contractuels du marché litigieux, au cahier des clauses générales applicables aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés dit "norme française homologuée NFP 03.001", sans qu'aucune autre pièce du marché ne modifie ces stipulations ;
Considérant qu'aux termes de l'article 16-6 dudit cahier : "16-6-1 - Le maître d'oeuvre examine le mémoire définitif et établit le décompte définitif des sommes dues en exécution du marché. Il remet ce décompte au maître de l'ouvrage ; 16-6-2 - Le maître de l'ouvrage notifie à l'entrepreneur ce décompte définitif dans le délai de 60 jours de la réception du mémoire définitif par le maître d'oeuvre. Ce délai est porté à 6 mois à dater de la réception des travaux dans le cas d'application de l'article 16-5-4. ; 16-6-3 - L'entrepreneur dispose de 30 jours à compter de la notification pour présenter, par écrit, ses observations éventuelles aumaître d'oeuvre et pour en aviser simultanément le maître de l'ouvrage. Passé ce délai, il est réputé avoir accepté le décompte définitif ; 16-6-4 - Le maître de l'ouvrage dispose de 40 jours pour faire connaître, par écrit, s'il accepte ou non les observations de l'entrepreneur. Passé ce délai, il est réputé avoir accepté ces observations." ;
Considérant qu'ainsi que le relève la cour, il ressort des pièces du dossier que les observations de la société requérante ont été reçues par le maître d'oeuvre dans le délai de 30 jours à compter de la notification, par le maître de l'ouvrage, du décompte définitif ; que le maître de l'ouvrage en a été simultanément avisé ; que, cependant, il n'a pas, dans le délai de 40 jours qui lui était imparti, fait connaître par écrit s'il acceptait ou non les observations de l'entrepreneur ; qu'il est ainsi réputé avoir accepté ces observations et, par suite, avoir admis être redevable de la somme réclamée ; que cette somme était donc due ; que, dès lors, en écartant le moyen tiré de l'application des stipulations précitées du cahier des clauses générales applicable au marché, au motif qu'une personne publique ne peut être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; qu'il suit de là que la S.A.R.L. LEVAUX est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisé du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ; Considérant qu'ainsi qu'il vient d'être dit, la régie immobilière de la Ville de Paris doit être réputée avoir admis être redevable de la somme réclamée ; que, par suite, la S.A.R.L. LEVAUX est fondée à demander que ladite régie lui paye la somme de 6 912 794,11 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que la S.A.R.L. LEVAUX a droit au paiement des intérêts au taux contractuel sur la somme de 6 912 794,11 F à compter du 29 janvier 1991 ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la S.A.R.L. LEVAUX a demandé la capitalisation des intérêts les 17 mars 1997 et 12 octobre 1998 ; qu'à chacune de ces deux dates il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les conclusions de la S.A.R.L. LEVAUX tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 susvisée :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner la régie immobilière de la Ville de Paris à payer à la S.A.R.L. LEVAUX la somme de 20 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 12 juin 1995 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 4 mai 1993 sont annulés.
Article 2 : La régie immobilière de la Ville de Paris est condamnée à payer à la S.A.R.L. LEVAUX la somme de 6 912 794,11 F avec intérêts de droit à compter du 25 janvier 1991. Les intérêts échus seront capitalisés à la date du 17 mars 1997 et du 12 octobre 1998 pour porter eux-mêmes intérêt.
Article 3 : La régie immobilière de la Ville de Paris paiera à la S.A.R.L. LEVAUX la somme de 20 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la S.A.R.L. LEVAUX, à la régie immobilière de la Ville de Paris et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 7 /10 ssr
Numéro d'arrêt : 171861
Date de la décision : 14/12/1998
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

- RJ1 COMPTABILITE PUBLIQUE - DETTES DES COLLECTIVITES PUBLIQUES - AUTRES QUESTIONS - Interdiction de condamner des personnes publiques à payer des sommes qui ne sont pas dues - Possibilité d'écarter des stipulations contractuelles ayant pour effet de rendre ce principe sans portée - Existence - Application à des stipulations réputant les prétentions indemnitaires du constructeur acceptées par l'effet du silence du maître d'ouvrage - Absence (1).

18-05, 39-05-02-01, 39-08-03-02, 54-07-01-04-01-02-02 Le maître de l'ouvrage n'ayant pas, dans le délai de 40 jours qui lui était imparti en vertu de l'article 16-6-4 du cahier des clauses générales applicables aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés dit "norme française homologuée NFP 03.001", auquel la commune intention des parties a été de se référer, et aux termes duquel "passé ce délai, il est réputé avoir accepté ces observations", fait connaître par écrit s'il acceptait ou non les observations de l'entrepreneur, il est réputé avoir admis être redevable de la somme réclamée. Cette somme étant due, la cour administrative d'appel ne pouvait, sans commettre une erreur de droit, écarter l'application des stipulations précitées au motif qu'une personne publique ne peut être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas (1).

- RJ1 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - EXECUTION FINANCIERE DU CONTRAT - REGLEMENT DES MARCHES - DECOMPTE GENERAL ET DEFINITIF - Stipulations réputant les observations du constructeur acceptées par l'effet du silence du maître d'ouvrage - Stipulations ayant pour effet de rendre sans portée l'interdiction de condamner des personnes publiques à payer des sommes qui ne sont pas dues - Absence - Impossibilité d'écarter d'office l'application de ces stipulations (1).

- RJ1 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - REGLES DE PROCEDURE CONTENTIEUSE SPECIALES - POUVOIRS ET OBLIGATIONS DU JUGE - POUVOIRS DU JUGE DU CONTRAT - Moyens d'ordre public - Interdiction de condamner des personnes publiques à payer des sommes qui ne sont pas dues - Possibilité d'écarter des stipulations contractuelles ayant pour effet de rendre ce principe sans portée - Existence - Application à des stipulations réputant les observations du constructeur acceptées par l'effet du silence du maître d'ouvrage - Absence (1).

- RJ1 PROCEDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GENERALES - MOYENS - MOYENS D'ORDRE PUBLIC A SOULEVER D'OFFICE - EXISTENCE - INTERDICTION DE CONDAMNER DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC A PAYER DES SOMMES QUI NE SONT PAS DUES - Possibilité d'écarter des stipulations contractuelles ayant pour effet de rendre ce principe sans portée - Existence - Application à des stipulations réputant les prétentions indemnitaires du constructeur acceptées par l'effet du silence du maître d'ouvrage - Absence (1).


Références :

Code civil 1154
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75

1. Inf. CAA de Paris, 1995-06-12, Société Levaux, p. 529


Publications
Proposition de citation : CE, 14 déc. 1998, n° 171861
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vught
Rapporteur ?: M. Edouard Philippe
Rapporteur public ?: M. Savoie

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1998:171861.19981214
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