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30/12/1998 | FRANCE | N°160676

France | France, Conseil d'État, 6 / 2 ssr, 30 décembre 1998, 160676


Vu le recours du MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT, enregistré au secrétariat de la Section du Contentieux du Conseil d'Etat le 4 août 1994 ; le ministre demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 27 mai 1994 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le préfet de l'Isère sur la demande de l'association de chasse de Haute-Jarrie tendant au retrait des parcelles de M. Noël X... du territoire de l'association communale de chasse agréée de Brie-etAngonnes, et condamné l'Etat à verser la somme

de 3 000 F au titre des frais irrépétibles ;
2°) rejette la dem...

Vu le recours du MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT, enregistré au secrétariat de la Section du Contentieux du Conseil d'Etat le 4 août 1994 ; le ministre demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 27 mai 1994 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le préfet de l'Isère sur la demande de l'association de chasse de Haute-Jarrie tendant au retrait des parcelles de M. Noël X... du territoire de l'association communale de chasse agréée de Brie-etAngonnes, et condamné l'Etat à verser la somme de 3 000 F au titre des frais irrépétibles ;
2°) rejette la demande présentée par l'association de chasse de Haute-Jarrie devant le tribunal administratif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code rural ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. de la Verpillière, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Seban, Commissaire du gouvernement ;

Sur la recevabilité du recours du MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT :
Considérant, en premier lieu, que le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 27 mai 1994 dont le MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT fait appel lui a été notifié le 22 juin 1994 ; que son recours a été enregistré au secrétariat de la section du Contentieux du Conseil d'Etat le 4 août 1994 , soit avant l'expiration du délai du recours contentieux ;
Considérant, en deuxième lieu, que la réglementation de la chasse relève de la compétence du MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT qui est, dès lors, recevable, alors même qu'il n'est pas l'auteur de la décision attaquée en première instance, à faire appel du jugement qui en a prononcé l'annulation ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des dispositions combinées de l'arrêté du MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT du 19 avril 1993 portant délégation de signature à M. Z..., directeur de la nature et des paysages et du décret du 21 mai 1993 publié au Journal officiel du 23 mai 1993 attribuant cette délégation de signature, en cas d'empêchement ou d'absence de M. Z..., à M. Y..., ingénieur du génie rural, des eaux et des forêts que celui-ci avait qualité pour introduire l'instance devant le Conseil d'Etat au nom du ministre ;
Sur la légalité de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le préfet de l'Isère sur la demande de l'association de chasse de Haute-Jarrie :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 222-15 du code rural : "L'apport de ses droits de chasse par le propriétaire ou le détenteur de droits de chasse entraîne l'extinction de tous autres droits de chasser, sauf clause contraire passée entre les parties" ;
Considérant que, lors de la constitution de l'association communale de chasse de Brie-et-Angonnes, agréée par un arrêté du préfet de l'Isère du 25 août 1972, M. Noël X... lui a fait apport sans restriction des parcelles dont il était propriétaire et qui constituaient un territoire de chasse d'un seul tenant d'une superficie supérieure à 20 hectares ; que cet apport a rendu l'association communale de chasse agréée de Brie-et-Angonnes seule titulaire du droit de chasse ; que, dans ces conditions, seule la personne lui ayant fait apport du droit de chasse pouvait exercer le droit de retrait dans les conditions prévues par l'article L. 22217 du code ; que, par suite, l'acte du 22 août 1988, qui n'a d'ailleurs pas date certaine, par lequel M. X... a entendu céder gratuitement le droit de chasse à l'association de chasse de Haute-Jarrie, ne pouvait conférer à cette dernière association qualité pour demander le retrait des parcelles en cause du territoire de l'association communale de chasse agréée de Brie-etAngonnes ; que, dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision attaquée en tant qu'elle refusele retrait des parcelles de M. X..., le tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur l'acte du 22 août 1988 ;
Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'association de chasse de Haute-Jarrie devant le tribunal administratif de Grenoble ;

Considérant, en premier lieu, que l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : "1 Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. /2 L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat" ;
Considérant que la loi du 10 juillet 1964, aujourd'hui codifiée au livre II du nouveau code rural, a institué des associations communales de chasse agréées dans le but d'assurer une meilleure organisation technique de la chasse en France ; qu'en vue de mettre ces organismes à même d'exécuter la mission de service public qui leur est confiée, diverses prérogatives de puissance publique leur ont été conférées ; que, dès lors, en tout état de cause, les stipulations précitées ne sauraient être utilement invoquées pour contester la légalité de la décision attaquée du préfet de l'Isère ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'article 1er du protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : "Toute personne physique et morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ( ...)" ;

Considérant que la circonstance que des terres ont été incluses dans le périmètre d'une association communale de chasse agréée et que les titulaires du droit de chasse peuvent venir y pratiquer cette activité ne prive pas le propriétaire de son bien, mais apporte seulement des limitations à son droit d'usage conformément aux règles édictées par la loi, lesquelles ne sont pas disproportionnées par rapport à l'objectif d'intérêt général poursuivi ; qu'il en résulte que le moyen tiré de ce que la loi du 10 juillet 1964 et le décret d'application du 6 octobre 1966, méconnaitraient le droit de propriété au regard des stipulations susmentionnées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son protocole additionnel, ne peut être accueilli ; qu'il n'appartient pas au Conseil d'Etat d'apprécier la conformité d'une loi aux dispositions de nature constitutionnelle ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la loi du 10 juillet 1964 méconnaîtrait l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen est inopérant ; que le moyen tiré d'une prétendue violation des articles 544 et 546 du code civil et de l'article 365 du code rural ne saurait davantage être accueilli à l'encontre de la loi du 10 juillet 1964 ; que le décret du 6 octobre 1966 ne méconnaît aucune disposition de la loi dont il fait application ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DEL'ENVIRONNEMENT est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du préfet de l'Isère rejetant la demande de l'association de chasse de Haute-Jarrie relative aux terres de M. X... ;
Sur les conclusions incidentes de l'association de chasse de Haute-Jarrie :
Considérant que le jugement du tribunal administratif déféré au Conseil d'Etat a, d'une part, annulé la décision implicite du préfet de l' Isère en tant qu'elle a rejeté la demande de l'association de chasse de Haute-Jarrie tendant au retrait des parcelles appartenant à M. Noël X... du périmètre de l'association communale de chasse agréée de Brie-et-Angonnes et, d'autre part, rejeté les autres demandes de l'association de chasse de Haute-Jarrie ; que le recours du MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT tend à l'annulation de ce jugement en tant seulement qu'il a annulé la décision du préfet de l'Isère en tant qu'elle porte sur les parcelles de M. X... ; que les conclusions du recours incident de l'association de chasse de HauteJarrie dirigées contre le même jugement en tant qu'il n'a pas annulé la décision du préfet de l'Isère en ce qui concerne les autres terrains dont elle avait demandé le retrait de l'association communale de chasse agréée de Brie-et-Angonnes, soulèvent un litige différent de celui qui résulte de l'appel principal ; que, dès lors, présentées après l'expiration du délai imparti pour faire appel, elles ne sont pas recevables ;
Sur la demande de l'association de chasse de Haute-Jarrie tendant à l'application des dispositions de l'article 75 -I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser à l'association de chasse de Haute-Jarrie la somme de 8 000 F qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 27 mai 1994 est annulé en tant qu'il a annulé la décision implicite du préfet de l'Isère en tant qu'elle a rejeté la demande de l'association de chasse de Haute-Jarrie tendant au retrait des parcelles appartenant à M. X... du périmètre de l'association communale de chasse agréée de Brie-etAngonnes et a condamné l'Etat à verser la somme de 3 000 F à ladite association.
Article 2 : La demande de l'association de chasse de Haute-Jarrie devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée ainsi que ses conclusions d'appel incident et ses conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement et à l'association de chasse de Haute-Jarrie.


Synthèse
Formation : 6 / 2 ssr
Numéro d'arrêt : 160676
Date de la décision : 30/12/1998
Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

03-08-01 AGRICULTURE, CHASSE ET PECHE - CHASSE - ASSOCIATIONS COMMUNALES ET INTERCOMMUNALES DE CHASSE AGREEES -Apport de droits de chasse à une association communale de chasse agréée - Possibilité de céder ces droits ultérieurement à une autre association - Exclusion hors l'exercice du droit de retrait dans les conditions prévues à l'article L. 222-17 du code rural.

03-08-01 Lors de la constitution d'une association communale de chasse agréée, M. B. lui a fait apport sans restriction des parcelles dont il était propriétaire et qui constituaient un territoire de chasse d'un seul tenant d'une superficie supérieure à 20 hectares, la rendant ainsi seule titulaire du droit de chasse, conformément à l'article L. 222-15 du code rural. Dans ces conditions, seule la personne lui ayant fait apport du droit de chasse pouvait exercer le droit de retrait, dans les conditions prévues par l'article L. 222-17 du code. L'acte par lequel M. B. a entendu céder gratuitement le droit de chasse à une association de chasse ne pouvait conférer à cette dernière qualité pour demander le retrait des parcelles en cause du territoire de l'association communale de chasse agréée.


Références :

Code civil 544, 546
Code rural L222-15, L22217, 365
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 art. 17
Décret du 06 octobre 1966 art. 75
Décret du 21 mai 1993
Loi du 10 juillet 1964
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 1998, n° 160676
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Aubin
Rapporteur ?: M. de la Verpillière
Rapporteur public ?: M. Seban

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1998:160676.19981230
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