Vu la requête enregistrée le 22 décembre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Lukombo X... demeurant Tour janvier 5, résidence Les Hautes Bergères aux Ulis (91940) ; M. X... demande au président de la section du Contentieux du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 24 novembre 1995 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 septembre 1992 du préfet de Seine-et-Marne décidant sa reconduite à la frontière ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir ledit arrêté ainsi que la décision fixant le pays de renvoi ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, notamment par la loi du 2 août 1989, la loi du 10 janvier 1990 et la loi du 26 février 1992 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Balmary, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article R. 200 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, rendues applicables au contentieux des arrêtés de reconduite à la frontière par l'article R. 241-15 du même code, les jugements doivent contenir les noms et conclusions des parties, les visas des pièces et des dispositions législatives et réglementaires dont ils font application ; que le jugement attaqué, s'il contient l'indication des conclusions présentées pour M. X..., ne comporte ni dans ses visas, ni dans ses motifs, l'analyse de l'ensemble des moyens développés à l'appui de ces conclusions ; qu'ainsi, le jugement attaqué est irrégulier ; que M. X... est pour ce motif fondé à en demander l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et d'examiner la demande présentée pour M. X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du préfet de Seine-et-Marne relative à la reconduite à la frontière de M. X... :
Considérant que, par arrêté du 23 septembre 1992, le préfet de Seine-et-Marne a ordonné la reconduite à la frontière de M. X... ; que, par une décision du 22 novembre 1995, le préfet des Hauts-de-Seine a ordonné le placement de M. X... dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire et fixé le pays de renvoi en vue d'exécuter l'arrêté susmentionné du 23 septembre 1992 ;
Considérant que lorsqu'un arrêté de reconduite à la frontière a été dépourvu de mesure d'exécution pendant une durée anormalement longue, caractérisée par un changement de circonstances de fait ou de droit, et que ce retard est exclusivement imputable à l'administration, l'exécution d'office d'une reconduite à la frontière doit être regardée comme fondée non sur l'arrêté initial, mais sur un nouvel arrêté de reconduite à la frontière, dont l'existence est révélée par la mise en oeuvre de l'exécution d'office elle-même et qui doit être regardé comme s'étant substitué à l'arrêté initial ;
Considérant qu'en l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que le retard de trois ans mis à exécuter l'arrêté de reconduite à la frontière du 23 septembre 1992 n'est pas exclusivement imputable à l'administration ; qu'antérieurement à l'arrêté du 22 novembre 1995 du préfet des Hauts-de-Seine décidant le placement en rétention de l'intéressé en vue de l'exécution de sa reconduite à la frontière, M. X... avait formé auprès de l'office français de protection des réfugiés et apatrides une demande de réexamen de son cas, tendant à l'octroi du statut de réfugié lequel lui avait été refusé par une précédente décision devenue définitive en date du 13 février 1990 ; que M. X... se trouvait, dès lors, à la date du 22 novembre 1995, dans une situation juridique nouvelle faisant obligation au préfet, en vertu de l'article 31 bis del'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 de lui accorder le droit au maintien sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur sa nouvelle demande d'asile, sauf à estimer, sous le contrôle du juge, que cette nouvelle demande avait un caractère abusif ou dilatoire au sens du 4° du même article ; qu'ainsi la décision prise par le préfet des Hauts-de-Seine le 22 novembre 1995 qui s'est substituée à la précédente décision en date du 23 septembre 1992 ordonnant la reconduite à la frontière et qui ne se fonde pas sur ce dernier motif, était par là-même illégale et ne peut dès lors qu'être annulée ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision distincte fixant le pays de renvoi et de la décision plaçant l'intéressé dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire :
Considérant que ces décisions ont été prises pour l'application de l'arrêté de reconduite à la frontière susmentionné qui, en vertu de ce qui précède doit être annulé pour illégalité ; que lesdites décisions ne peuvent en conséquence qu'être annulées ;
Article 1er : Le jugement du 24 novembre 1995 du conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 22 novembre 1995 du préfet des Hauts-de-Seine fixant le pays de renvoi de M. X... et son placement en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire est annulé.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Lukombo X..., au préfet de Seine-etMarne, au préfet des Hauts-de-Seine et au ministre de l'intérieur.