La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/12/1998 | FRANCE | N°188233

France | France, Conseil d'État, 10 / 7 ssr, 30 décembre 1998, 188233


Vu 1°), sous le n° 188 233, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 9 juin 1997 et le 7 octobre 1997, présentés pour le SYNDICAT NATIONAL DES PERSONNELS DE L'EDUCATION SURVEILLEE - PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE - FEDERATION SYNDICALE UNITAIRE (SNPS-PJ-FSU), dont le siège est ... ; la FEDERATION JUSTICE (CFDT), dont le siège est ... (75950 cédex 19) ; le SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, dont le siège est ... ; le SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE, dont le siège est ... ; ces syndicats demandent au Conseil d'E

tat d'annuler pour excès de pouvoir un arrêté du garde des sc...

Vu 1°), sous le n° 188 233, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 9 juin 1997 et le 7 octobre 1997, présentés pour le SYNDICAT NATIONAL DES PERSONNELS DE L'EDUCATION SURVEILLEE - PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE - FEDERATION SYNDICALE UNITAIRE (SNPS-PJ-FSU), dont le siège est ... ; la FEDERATION JUSTICE (CFDT), dont le siège est ... (75950 cédex 19) ; le SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, dont le siège est ... ; le SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE, dont le siège est ... ; ces syndicats demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice en date du 27 mars 1997 portant création d'un traitement automatisé d'informations nominatives relatif au suivi des populations de jeunes sous protection judiciaire dans la région Haute et Basse-Normandie ;
Vu 2°), sous le n° 188 234, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 9 juin 1997 et le 7 octobre 1997, présentés pour les mêmes syndicats que ceux auteurs de la requête n° 188 233 ; ces syndicats demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du garde dessceaux, ministre de la justice en date du 27 mars 1997 portant création d'un traitement automatisé d'informations nominatives relatif au suivi des populations des jeunes sous protection judiciaire dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur-Corse ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu le code pénal ;
Vu la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
Vu le décret n° 84-828 du 17 juillet 1984 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mochon, Auditeur,
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat du SYNDICAT NATIONAL DES PERSONNELS DE L'EDUCATION SURVEILLEE - PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE - FEDERATION SYNDICALE UNITAIRE (SNPS-PJ-FSU) et autres,
- les conclusions de M. Combrexelle, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes du SYNDICAT NATIONAL DES PERSONNELS DE L'EDUCATION SURVEILLEE - PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE -, de la FEDERATION JUSTICE CFDT, du SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, du SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE, présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la légalité externe des arrêtés attaqués :
Considérant qu'au terme de l'article 15 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, "hormis les cas où ils doivent être autorisés par la loi, les traitements automatisés d'informations nominatives opérés pour le compte de l'Etat, d'un établissement public ou d'une collectivité territoriale, ou d'une personne morale de droit privé gérant un service public, sont décidés par un acte réglementaire pris après avis motivé de la commission nationale de l'informatique et des libertés. Si l'avis de la commission est défavorable, il ne peut être passé outre que par un décret pris sur avis conforme du Conseil d'Etat ou, s'agissant d'une collectivité territoriale, en vertu d'une décision de son organe délibérant approuvé par décret pris sur avis conforme du Conseil d'Etat ; Si au terme d'un délai de deux mois renouvelable une seule fois sur décision du président, l'avis de la commission n'est pas notifié, il est réputé favorable." ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 31 de la loi susvisée du 6 janvier 1978, "il est interdit de mettre ou conserver en mémoire informatisée, sauf accord exprès de l'intéressé, des données nominatives qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou les appartenances syndicales des personnes." et du 3ème alinéa du même article "pour des motifs d'intérêt public, il peut aussi être fait exception à l'interdiction ci-dessus sur proposition ou avis conforme de la commission par décret en Conseil d'Etat" ;
Considérant que si l'article 15 précité fait référence aux cas dans lesquels les traitements automatisés d'informations nominatives doivent être autorisés par la loi, il se borne ainsi à faire référence au domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution ; qu'aucune disposition de ce dernier article n'imposait en l'espèce de recourir à la loi pour autoriser le garde des sceaux, ministre de la justice, à créer un traitement automatisé d'informations nominatives relatif au suivi des populations de jeunes sous protection judiciaire ;
Considérant que la mention dans les traitements litigieux des noms, prénoms, pays et départements de naissance des jeunes sous protection judiciaire ne suffit pas à révéler, directement ou indirectement, l'origine raciale de ces jeunes ; qu'il n'y avait donc pas lieu de recourir à la procédure dérogatoire imposée par le troisième alinéa précité de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 pour autoriser la collecte et la mise en mémoire informatisée de ces mentions ;

Considérant que le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse était compétent, en vertu de la délégation de signature qu'il avait reçue par arrêté du garde des sceaux en date du 15 janvier 1996 publiée au journal officiel du 16 janvier 1996, pour signer les arrêtés attaqués ;
Considérant que les traitements contestés, dont l'objet se limite à mettre en mémoire informatisée des données déjà contenues dans les dossiers administratifs et judiciaires des jeunes sous protection judiciaire, pour les besoins des services du ministre de la justice et non à des fins d'information générale, n'ont eu ni pour effet, ni pour objet de déclencher une "enquête statistique" au sens de la loi susvisée du 7 juin 1951 ; qu'ils n'avaient pas, en conséquence, à être précédés du visa du conseil national de l'information statistique institué par la loi précitée et le décret susvisé du 17 juillet 1984 pris pour son application ;
Considérant que, comme l'a écrit le président de la commission nationale de l'informatique et des libertés par deux lettres en date des 14 et 21 mars 1997 adressées au ministre de la justice, l'avis favorable émis par la commission à la création des traitements contestés n'a pas été donné de manière explicite mais a été acquis tacitement du fait du silence gardé pendant plus de deux mois par la commission sur les demandes d'avis dont l'avait saisi le ministre de la justice, comme le prévoit le troisième alinéa précité de l'article 15 de la loi du 6 janvier 1978 ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la commission n'aurait pas délibéré des projets de traitements doit être écarté ;
Sur la légalité interne des arrêtés attaqués :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 6 janvier 1978 "L'informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s'opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques" et qu'aux termes du premier alinéa de l'article 2 de la même loi "aucune décision de justice impliquantune appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé d'information donnant une définition du profil ou de la personnalité de l'intéressé." ;
Considérant que les arrêtés attaqués n'établissent en rien un lien automatique entre, d'une part, les mesures de protection judiciaire ou plus généralement les décisions de justice dont peuvent être l'objet les jeunes figurant dans les traitements automatisés et, d'autre part, les données nominatives recueillies dans ces traitements ; qu'ils ont seulement pour objet, grâce à la mise en mémoire informatisée des données déjà contenues dans les dossiers administratifs et judiciaires, de permettre une observation statistique plus fine des populations en cause et un suivi plus efficace des jeunes par les établissements chargés de leur protection judiciaire ainsi que par les magistrats et les avocats en charge du dossier des intéressés dans le respect des prescriptions des articles 1 et 2 - deuxième alinéa - de la loi du 6 janvier 1978 ; que le moyen tiré de la violation de ces dernières dispositions doit donc être écarté ;

Considérant qu'en autorisant la collecte de données nominatives concernant "la santé du jeune", les décisions attaquées permettent seulement la mise en mémoire informatisée de notes, de rapports ou de comptes rendus d'entretien, déjà contenus dans les dossiers administratifs et judiciaires, retraçant, y compris sur les aspects de santé, l'évolution de la situation des jeunes pris en charge ; qu'elles n'ont ni pour objet, ni pour effet de rendre possible la divulgation à des tiers d'informations confiées par les jeunes en cause à leur médecin et dont le caractère secret serait protégé par l'article 226-13 du code pénal ; que le moyen tiré de la violation du secret médical doit donc être écarté ;
Considérant qu'aucune disposition de la loi du 6 janvier 1978 n'interdit l'enregistrement des données concernant "l'origine du signalement à la justice du mineur" ou "le suivi antérieur du jeune et de sa famille" ; que si la mention de la prescription et de l'amnistie n'est pas explicitement rappelée par les décisions contestées, cette omission n'a pas pour effet de dispenser les services du ministre de la justice du respect des mesures législatives de prescription ou d'amnistie applicables aux faits ou aux décisions de justice intéressant les jeunes en cause ;
Considérant que les traitements autorisés par les décisions attaquées prévoient explicitement que, parmi les destinataires des informations saisies, seul l'établissement ou le service chargé des mesures de protection judiciaire du jeune, ainsi que les juges appelés à statuer sur son cas et les avocats chargés de sa défense, peuvent avoir accès aux données personnelles concernant ce jeune ; que les autres destinataires, et notamment les directions départementales et régionales de la protection judiciaire de la jeunesse, n'ont connaissance que des résultats statistiques des données recueillies, sans pouvoir identifier autrement que par un numéro d'ordre, l'identité des jeunes dont les données personnelles ont été collectées ; que la durée de conservation des données recueillies est limitée à un an après la fin de la mesure de protection judiciaire ; que compte-tenu de toutes ces précautions et de la finalité des traitements litigieux, les décisions attaquées ne portent pas atteinte à la vie privée ou aux autres intérêts protégés par l'article 1er de la loi du 6 janvier 1978 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les syndicats requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des arrêtés attaqués ;
Article 1er : La requête des syndicats requérants est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT NATIONAL DES PERSONNELS DE L'EDUCATION SURVEILLEE - PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE -, à la FEDERATION JUSTICE CFDT, au SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, au SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 10 / 7 ssr
Numéro d'arrêt : 188233
Date de la décision : 30/12/1998
Type d'affaire : Administrative

Analyses

26-06-02 DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - ACCES AUX DOCUMENTS ADMINISTRATIFS - COMMUNICATION DE TRAITEMENTS INFORMATISES D'INFORMATIONS NOMINATIVES (LOI DU 6 JANVIER 1978).


Références :

Arrêté du 15 janvier 1996
Code pénal 226-13
Décret 84-828 du 17 juillet 1984
Loi 51-711 du 07 juin 1951
Loi 78-17 du 06 janvier 1978 art. 15, art. 31, art. 1, art. 2


Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 1998, n° 188233
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Mochon
Rapporteur public ?: M. Combrexelle

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1998:188233.19981230
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award