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30/12/1998 | FRANCE | N°198125

France | France, Conseil d'État, 10 / 7 ssr, 30 décembre 1998, 198125


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 21 juillet 1998 et 6 août 1998 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.A.R.L. 1965 BROADWAY, dont le siège social est ..., représentée par son gérant en exercice ; la S.A.R.L. 1965 BROADWAY demande que le Conseil d'Etat annule l'arrêté en date du 29 janvier 1998 du ministre de l'intérieur portant interdiction de vente aux mineurs et d'exposition de la revue "Penthouse" édition française, éditée par la société requérante ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la conven

tion européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamen...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 21 juillet 1998 et 6 août 1998 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.A.R.L. 1965 BROADWAY, dont le siège social est ..., représentée par son gérant en exercice ; la S.A.R.L. 1965 BROADWAY demande que le Conseil d'Etat annule l'arrêté en date du 29 janvier 1998 du ministre de l'intérieur portant interdiction de vente aux mineurs et d'exposition de la revue "Penthouse" édition française, éditée par la société requérante ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi du 2 avril 1947 ;
Vu la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949, modifiée ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Rousselle, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la S.A.R.L. 1965 BROADWAY,
- les conclusions de M. Combrexelle, Commissaire du gouvernement ;

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :
Sur le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure :
Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 16 juillet 1949 modifiée susvisée : "Il est institué au ministère de la justice, une commission chargée de la surveillance et du contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence ... La commission est chargée de proposer toutes mesures susceptibles d'améliorer les publications destinées à l'enfance et à l'adolescence. Elle doit signaler aux autorités compétentes les infractions à la présente loi, ainsi que tous agissements ou infractions de nature à nuire, par la voie de la presse, à l'enfance et à l'adolescence." et qu'aux termes de l'article 14 de la même loi : " ... La commission chargée de la surveillance et du contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence a qualité pour signaler les publications qui lui paraissent justifier ces interdictions" ; que de telles dispositions ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne faisaient obligation au ministre de l'intérieur de consulter ladite commission avant de prendre l'arrêté attaqué en vertu de l'habilitation que lui confère l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 ;
Sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation :
Considérant qu'un arrêté prononçant une ou plusieurs des interdictions prévues par l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 modifiée susvisée sur les publications destinées à la jeunesse est au nombre des décisions qui doivent être motivées en vertu de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Considérant que l'arrêté en date du 29 juin 1998, par lequel le ministre de l'intérieur a interdit, sous les peines prévues au sixième alinéa de l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949, de proposer, donner ou vendre à des mineurs et d'exposer la revue intitulée "Penthouse, édition française", s'est fondé sur "le caractère particulièrement pornographique (représentation complaisante de scènes outrancières tant en ce qui concerne les textes de diverse nature que les photographies et la présentation extérieure que le contenu) ainsi que le danger que représente cette revue pour les mineurs qui pourraient l'acquérir ou simplement la consulter" ; que de tels motifs, qui comportent les éléments de fait et de droit de nature à fonder la mesure prise, satisfont aux prescriptions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susmentionnée ;
Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :
Sur le moyen tiré de la violation des dispositions de la loi du 16 juillet 1949 :

Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 modifiée susvisée : "Le ministre de l'intérieur est habilité à interdire : - de proposer, de donner ou de vendre à des mineurs de dix-huit ans les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère licencieux ou pornographique, ou de la place faite au crime ou à la violence, à la discrimination ou à la haine raciale, à l'incitation, à l'usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants ; - d'exposer ces publications à la vue du public en quelquelieu que ce soit, et notamment à l'extérieur ou à l'intérieur des magasins ou des kiosques, et de faire pour elles de la publicité par la voie d'affiches ; - d'effectuer, en faveur de ces publications, de la publicité au moyen de prospectus, d'annonces ou insertions publiées dans la presse, de lettres circulaires adressées aux acquéreurs éventuels ou d'émissions radiodiffusées ou télévisées. Toutefois, le ministre de l'intérieur a la faculté de ne prononcer que les deux premières, ou la première, de ces interdictions ..." ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment de l'examen du contenu de la revue "Penthouse, édition française" que celle-ci revêt un caractère pornographique qui présente un danger pour la jeunesse ; que l'arrêté attaqué par lequel le ministre de l'intérieur a interdit de proposer, de donner ou de vendre à des mineurs cette revue et de l'exposer ne présente pas de caractère excessif nonobstant la circonstance que cette double interdiction a pour effet de provoquer, en vertu des dispositions des articles 2 et 6 de la loi du 2 avril 1947, une exclusion de la revue de l'accès aux sociétés coopératives de presse prévues par cette loi et qui prennent en charge le groupage et la distribution ; que par suite le moyen tiré de ce que le ministre de l'intérieur aurait fait en l'espèce une inexacte application des dispositions précitées de la loi du 16 juillet 1949 modifiée ne saurait être accueilli ;
Considérant que si la société requérante allègue que cette publication serait vendue sous enveloppe plastique scellée transparente, il ressort du dossier que les couvertures comportent des photographies et des textes de nature à justifier la mesure d'interdiction d'exposition à la vue du public ;
Sur le moyen tiré de la violation du principe d'égalité devant la loi :
Considérant que la circonstance alléguée par la société requérante que des publications analogues à celle qu'elle édite ne seraient pas frappées de la même double interdiction est sans influence sur la légalité dudit arrêté ;
Sur le moyen tiré de la violation des articles 7 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

Considérant qu'en vertu des stipulations du premier alinéa de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise" ; qu'une mesure de police ne constituant pas une peine au sens de l'article 7 de ladite convention, le moyen tiré de la violation dudit article est inopérant ;
Considérant qu'en vertu des stipulations du 2ème alinéa de l'article 10 de ladite convention, l'exercice de la liberté d'expression "peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique ... à la protection de la santé ou de la morale" ; que les mesures faisant l'objet de l'arrêté attaqué entrent dans le champ d'application de ces dernières stipulations, et qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les interdictions prononcées par l'arrêté attaqué aient porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, eu égard au but poursuivi par ces mesures ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la S.A.R.L. 1965 BROADWAY n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté en date du 29 juin 1998 duministre de l'intérieur ;
Article 1er : La requête de la S.A.R.L. 1965 BROADWAY est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la S.A.R.L. 1965 BROADWAY et au ministre de l'intérieur.


Type d'affaire : Administrative

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - LIBERTES PUBLIQUES - LIBERTE DE LA PRESSE.

PRESSE - LIBERTE DE LA PRESSE - QUESTIONS GENERALES.


Références :

Loi 47-585 du 02 avril 1947 art. 2, art. 6
Loi 49-956 du 16 juillet 1949 art. 3, art. 14
Loi 79-587 du 11 juillet 1979 art. 1


Publications
Proposition de citation: CE, 30 déc. 1998, n° 198125
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Rousselle
Rapporteur public ?: M. Combrexelle

Origine de la décision
Formation : 10 / 7 ssr
Date de la décision : 30/12/1998
Date de l'import : 06/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 198125
Numéro NOR : CETATEXT000007985873 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1998-12-30;198125 ?
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