Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 8 septembre et 20 décembre 1995, présentés pour la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU GARD, dont le siège social est ... ; cette CAISSE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 28 juin 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du 2 décembre 1993 du tribunal administratif de Montpellier, rejetant sa demande en réduction des suppléments d'impôt sur les sociétés, ainsi que des pénalités y afférentes, auxquels elle a été assujettie au titre des années 1982 à 1984 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Liebert-Champagne, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Odent, avocat de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU GARD,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, la créance acquise sur un tiers par une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés doit être rattachée à l'exercice au cours duquel cette créance est devenue certaine dans son principe et son montant ; que, dans le cas où la créance se rapporte à la fourniture de services, le 2 bis de l'article 38 précise qu'elle doit être rattachée à l'exercice au cours duquel intervient l'achèvement de la prestation ; que le même texte énonce, toutefois, que les produits correspondant, soit à des prestations continues rémunérées notamment par des intérêts ou des loyers, soit à des prestations discontinues, mais à échéances successives échelonnées sur plusieurs exercices, doivent être pris en compte au fur et à mesure de leur exécution ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours des années 1982 à 1984, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU GARD plaçait auprès de sa clientèle divers produits d'épargne pour le compte de la Caisse nationale de crédit agricole, qui lui versait, dès la date de souscription de ces produits, une commission de placement fixe dont le taux était égal à 0,6 % de la valeur nominale des souscriptions, d'autre part, à la date de remboursement des titres, une commission variable, dont le taux, calculé selon un barème fixé par accord entre la caisse nationale et la caisse régionale, allait de 0,020 % à 0, 30 %, suivant la durée de conservation du titre par le client ; que, par cette rémunération variable, la caisse régionale était incitée à convaincre ses clients de garder leurs titres jusqu'à une date aussi proche que possible de l'échéance ; que la commission variable rémunérait ainsi la prestation continue de suivi du placement fournie par la caisse régionale à la caisse nationale pendant la période comprise entre la souscription du titre et son remboursement ; que, par application des dispositions ci-dessus rappelées de l'article 38-2 bis du code général des impôts, et alors même que la caisse nationale les comptabilisait en charges à payer, dès l'année de souscription, pour les montants correspondant à leur taux maximal, qu'elles n'étaient versées à la caisse régionale qu'à la date de remboursement des titres et qu'elles étaient dues à la caisse ayant reçu la souscription, y compris dans le cas où le remboursement était effectué par une autre caisse régionale, les commissions variables devaient être prises en compte au fur et à mesure de l'exécution des prestations correspondantes ; qu'ainsi, en jugeant que les commissions perçues par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU GARD en contrepartie du placement de produits d'épargne effectué pour le compte de la Caisse nationale de crédit agricole au cours des années 1982 à 1984 ne rémunéraient que ce placement et devaient être regardées comme acquises, dans leur totalité, dès la conclusion des contrats de souscription et, par suite, rattachées, pour ce montant total, aux résultats imposables des exercices correspondants, la cour administrative d'appel de Bordeaux a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et appliqué de manière erronée les dispositions de l'article 38-2 bis du code général des impôts, relatives aux produits correspondant à des prestations de services continues ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU GARD est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué,en tant qu'il rejette ses conclusions ayant trait à la détermination de l'exercice de rattachement des commissions variables qui lui ont été versées par la Caisse nationale de crédit agricole, de 1982 à 1984 ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer le jugement de ces conclusions à la cour administrative d'appel de Marseille ;
Considérant que, dans les mêmes circonstances, il y a lieu, aussi, par application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, de condamner l'Etat à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU GARD la somme qu'elle demande, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative de Bordeaux du 28 juin 1995 est annulé, en tant qu'il rejette les conclusions de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU GARD, relatives à la détermination de l'exercice de rattachement des commissions variables perçues par elle en contrepartie du placement de produits d'épargne effectué pour le compte de la Caisse nationale de crédit agricole, au cours des années 1982 à 1984.
Article 2 : Le jugement des conclusions mentionnées à l'article 1er ci-dessus est renvoyé à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : L'Etat paiera à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU GARD une somme de 15 000 F, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU GARD et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au président de la cour administrative d'appel de Marseille.