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17/05/1999 | FRANCE | N°199095

France | France, Conseil d'État, 1 / 4 ssr, 17 mai 1999, 199095


Vu la requête, enregistrée le 24 août 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le SYNDICAT SUD TRAVAIL, dont le siège est ..., représenté par Mme Aline Ducrest, membre du conseil national dudit syndicat, domiciliée en cette qualité au siège du SYNDICAT SUD TRAVAIL ; le SYNDICAT SUD TRAVAIL demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles D. 220-2, D. 220-4, D. 220-6 et D. 220-7, introduits dans le code du travail par le décret n° 98-496 du 22 juin 1998 relatif au repos quotidien ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive n° 93/104/CE

du Conseil de l'Union européenne, du 23 novembre 1994, notamment ses ...

Vu la requête, enregistrée le 24 août 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le SYNDICAT SUD TRAVAIL, dont le siège est ..., représenté par Mme Aline Ducrest, membre du conseil national dudit syndicat, domiciliée en cette qualité au siège du SYNDICAT SUD TRAVAIL ; le SYNDICAT SUD TRAVAIL demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles D. 220-2, D. 220-4, D. 220-6 et D. 220-7, introduits dans le code du travail par le décret n° 98-496 du 22 juin 1998 relatif au repos quotidien ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive n° 93/104/CE du Conseil de l'Union européenne, du 23 novembre 1994, notamment ses articles 3 et 17 ;
Vu le code du travail, notamment son article L. 220-1 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Lafouge, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la directive n° 93/104/CE du 23 novembre 1993 du Conseil de l'Union européenne concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail : "Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de vingt-quatre heures, d'une période minimale de repos de onze heures consécutives" ; que, toutefois, dans son article 17, la directive a autorisé les Etats membres à prévoir des dérogations à cette règle dans les hypothèses qu'elle énumère, "à condition que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ou que, dans des cas exceptionnels dans lesquels l'octroi de telles périodes de repos compensateur n'est pas possible pour des raisons objectives, une protection appropriée soit accordée aux travailleurs concernés" ;
Considérant que, pour assurer la transposition en droit interne de ces objectifs, la loi n° 98-641 du 13 juin 1998 a ajouté au code du travail un article L. 220-1 qui énonce, dans son premier alinéa, que : "Tout salarié bénéficie d'un repos quotidien d'une durée minimale de onze heures consécutives" ; que le deuxième alinéa du même article dispose qu'"une convention ou un accord collectif étendu peut déroger aux dispositions de l'alinéa précédent, dans des conditions fixées par décret, notamment pour des activités caractérisées par la nécessité d'assurer une continuité du service ou par des périodes d'intervention fractionnées" ; que, selon le troisième alinéa du même article : "Ce décret prévoit également les conditions dans lesquelles il peut être dérogé aux dispositions du premier alinéa à défaut de convention ou d'accord collectif étendu, et en cas de travaux urgents en raison d'un accident ou d'une menace d'accident ou de surcroît exceptionnel d'activité" ;
Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, le décret n° 98-496 du 22 juin 1998 a ajouté au code du travail des articles D. 220-1 à D. 220-7 ; que la requête du SYNDICAT SUD TRAVAIL conteste la légalité de certains de ces articles ;
En ce qui concerne l'article D. 220-2 :
Considérant qu'il résulte du rapprochement du deuxième et du troisième alinéa de l'article L. 220-1 du code du travail que le législateur a entendu réserver prioritairement à une convention ou à un accord collectif de travail "étendu" la faculté de déroger, dans le cadre préalablement défini par décret, à la règle du repos quotidien et n'a prévu la possibilité de déroger sur le seul fondement d'un décret auxdites dispositions qu'"à défaut de convention ou d'accord collectif étendu" et pour les cas limitativement énumérés au troisième alinéa de l'article L. 220-1 ; que, toutefois, la distinction ainsi introduite ne fait pas obstacle à ce que, dans l'exercice des prérogatives qu'il tient du troisième alinéa de l'article L. 220-1, le Premier ministre prenne en compte l'existence d'accords collectifs non étendus ;

Considérant qu'il suit de là que l'article D. 220-2 du code du travail a pu légalement disposer qu'en "cas de surcroît d'activité", lequel ne peut légalement concerner que le surcroît "exceptionnel" d'activité prévu par la loi, et sous réserve que la durée du repos quotidien ne soit pas inférieure à neuf heures comme le prescrit l'article D. 220-3, il pourra être dérogé à la durée légale de onze heures minimum, non seulement au titre d'une convention ou d'un accord collectif étendu mais également en vertu d'un accord d'entreprise ou d'établissement, en prévoyant dans ce dernier cas une exigence particulière tirée de la nécessité pour un tel accord de ne pas avoir fait l'objet de l'opposition d'organisations syndicales prévuepar l'article L. 132-26 du code du travail ; qu'ainsi, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que l'article D. 220-2 excèderait l'habilitation que le pouvoir réglementaire tient de la loi ;
En ce qui concerne l'article D. 220-4 :
Considérant que l'article D. 220-4 dispose qu'"En l'absence d'accord collectif, la dérogation prévue à l'article D 220-2 peut être mise en oeuvre dans les conditions définies aux articles D. 212-3 à D. 212-15" ; que les dispositions auxquelles il est ainsi renvoyé ont pour objet notamment de donner compétence à l'inspecteur du travail pour accorder une dérogation tout en permettant à l'employeur en cas d'urgence, de déroger sous sa propre responsabilité, à charge pour lui de présenter immédiatement à l'inspecteur du travail une demande de régularisation ;
Considérant que, si l'article D. 220-4 ne prévoit pas que les dérogations apportées sur son fondement à la règle de la durée minimale quotidienne de repos ouvrent au profit des travailleurs concernés "des périodes équivalentes de repos", comme le prévoit l'article 17 de la directive n° 93/104/CE du 23 novembre 1993, il ne saurait cependant être fait grief à l'auteur du décret attaqué d'avoir méconnu le droit communautaire dès lors que l'article D. 220-7, ajouté au code du travail par le décret attaqué, transpose dans l'ordre interne l'objectif fixé en la matière par la directive ;
En ce qui concerne l'article D. 220-6 :
Considérant qu'il résulte des termes mêmes du troisième alinéa de l'article L. 220-1 du code du travail qu'à défaut de convention ou d'accord collectif étendu, il ne peut être dérogé, sur le seul fondement d'un décret, à la règle du repos quotidien qu'"en cas de travaux urgents en raison d'un accident ou d'une menace d'accident" ou en cas "de surcroît exceptionnel d'activité" ; que la mise en oeuvre de ces dispositions, en l'absence de convention ou d'accord étendu, est assurée respectivement par l'article D. 220-5, s'agissant des travaux urgents et par les dispositions pertinentes de l'article D. 220-2 et de l'article D. 220-4, pour ce qui est de l'hypothèse d'un surcroît exceptionnel d'activité ;
Considérant qu'il suit de là qu'en prévoyant en outre une dérogation, en cas de travail par équipe successive, l'article D. 220-6, ajouté au code du travail par le décret attaqué, a excédé le champ de l'habilitation fixé par l'article L. 220-1 de ce code ; qu'il doit, pour ce motif, être annulé ;
En ce qui concerne l'article D. 220-7 :

Considérant qu'aux termes de l'article D. 220-7, introduit dans le code du travail par le décret contesté : "Il peut être fait application des dérogations prévues aux articles D. 220-1 à D. 220-6 à condition que des périodes au moins équivalentes de repos soient accordées aux salariés concernés. Lorsque l'octroi de ce repos n'est pas possible, une contrepartie équivalente doit être prévue par accord collectif" ;
Considérant, en premier lieu, que, si le syndicat requérant relève que cet article n'a pas défini la notion de période équivalente de repos, les dispositions dudit article impliquent simplement qu'en l'absence de précision donnée par une convention ou un accord collectif étendu, le salarié doit bénéficier d'un nombre d'heures de repos égal à celles dont il n'a pu bénéficier du fait de l'application de la dérogation ;
Considérant, en deuxième lieu, que, si le syndicat requérant fait grief à l'article D. 220-7 de ne prévoir aucune disposition dans l'hypothèse où, tout à la fois, il est impossible d'accorder un repos équivalent et où aucun accord collectif ne fixe de contrepartie, il résulte de l'économie générale du décret attaqué que, dans le cas ainsi visé, aucune dérogation ne peut être apportée à la règle du repos quotidien ;
Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutient la requête, la directive n° 93/104/CE du 23 novembre 1993 n'interdit pas que la "protection appropriée", qui doit être accordée aux salariés lorsque, dans des cas exceptionnels, l'octroi d'une période équivalente de repos n'est pas possible, soit librement négociée dans le cadre d'un accord collectif, ni que cette protection soit constituée par une contrepartie financière ; qu'ainsi, il ne saurait être utilement soutenu qu'en n'excluant pas une compensation de cette nature, le décret attaqué aurait méconnu les objectifs définis par la directive précitée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le syndicat requérant n'est fondé à demander l'annulation que des seules dispositions de l'article D. 220-6 du code du travail ;
Article 1er : L'article D. 220-6, ajouté au code du travail par le décret n° 98-496 du 22 juin 1998, est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du SYNDICAT SUD TRAVAIL est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT SUD TRAVAIL, au Premier ministre, au ministre de l'emploi et de la solidarité et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.


Synthèse
Formation : 1 / 4 ssr
Numéro d'arrêt : 199095
Date de la décision : 17/05/1999
Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES ADMINISTRATIFS - COMPETENCE - LOI ET REGLEMENT - HABILITATIONS LEGISLATIVES - Loi du 13 juin 1998 ajoutant un article L - 220-1 au code du travail - Décret du 22 juin 1998 pris sur ce fondement - Disposition prévoyant une dérogation supplémentaire à la règle du repos quotidien minimum (article D - 220-6 ajouté au code du travail) - Disposition ayant excédé l'habilitation législative.

01-02-01-04 Il résulte des termes mêmes du troisième alinéa de l'article L. 220-1 du code du travail qu'à défaut de convention ou d'accord collectif étendu, il ne peut être dérogé, sur le seul fondement d'un décret, à la règle du repos quotidien qu'"en cas de travaux urgents en raison d'un accident ou d'une menace d'accident" ou en cas "de surcroît exceptionnel d'activité". La mise en oeuvre de ces dispositions, en l'absence de convention ou d'accord étendu, est assuré respectivement par l'article D. 220-5, s'agissant des travaux urgents, et par les dispositions pertinentes des articles D. 220-2 et D. 220-4, pour ce qui est de l'hypothèse d'un surcroît exceptionnel d'activité. Il suit de là qu'en prévoyant en outre une dérogation en cas de travail par équipe successive, l'article D. 220-6, ajouté au code du travail par le décret du 22 juin 1998, a excédé l'habilitation fixée par l'article L. 220-1 du code du travail.

TRAVAIL ET EMPLOI - CONDITIONS DE TRAVAIL - Repos quotidien - Durée de onze heures minimum (article L - 220-1 du code du travail) - Possibilité de déroger à cette durée - a) Conditions - Convention ou accord collectif de travail étendu ou - à défaut - décret dans les cas limitativement énoncés - b) Disposition prévoyant une dérogation supplémentaire à la règle du repos quotidien minimum (article D - 220-6 ajouté au code du travail) - Disposition ayant excédé l'habilitation législative.

66-03 a) Il résulte du rapprochement du deuxième et du troisième alinéas de l'article L. 220-1 du code du travail que le législateur a entendu réserver prioritairement à une convention ou à un accord collectif de travail "étendu" la faculté de déroger, dans le cadre préalablement défini par décret, à la règle du repos quotidien et n'a prévu la possibilité de déroger sur le seul fondement d'un décret auxdites dispositions qu'"à défaut de convention ou d'accord collectif étendu" et pour les cas limitativement énumérés au troisième alinéa de l'article L. 220-1. Toutefois, la distinction ainsi introduite ne fait pas obstacle à ce que, dans l'exercice des prérogatives qu'il tient du troisième alinéa de l'article L. 220-1, le Premier ministre prenne en compte l'existence d'accords collectifs non étendus. Il suit de là que l'article D. 220-2 du code du travail a pu légalement disposer qu'en "cas de surcroît d'activité", lequel ne peut légalement concerner que le surcroît "exceptionnel" d'activité prévu par la loi, et sous réserve que la durée du repos quotidien ne soit pas inférieur à neuf heures comme le prescrit l'article D. 220-3, il pourra être dérogé à la durée légale de onze heures minimum, non seulement au titre d'une convention ou d'un accord collectif étendu mais également en vertu d'un accord d'entreprise ou d'établissement, en prévoyant dans ce dernier cas une exigence particulière tirée de la nécessité pour un tel accord de ne pas avoir fait l'objet de l'opposition d'organisations syndicales prévue par l'article L. 132-26 du code du travail. b) Il résulte des termes mêmes du troisième alinéa de l'article L. 220-1 du code du travail qu'à défaut de convention ou d'accord collectif étendu, il ne peut être dérogé, sur le seul fondement d'un décret, à la règle du repos quotidien qu'"en cas de travaux urgents en raison d'un accident ou d'une menace d'accident" ou en cas "de surcroît exceptionnel d'activité". La mise en oeuvre de ces dispositions, en l'absence de convention ou d'accord étendu, est assuré respectivement par l'article D. 220-5, s'agissant des travaux urgents, et par les dispositions pertinentes des articles D. 220-2 et D. 220-4, pour ce qui est de l'hypothèse d'un surcroît exceptionnel d'activité. Il suit de là qu'en prévoyant en outre une dérogation en cas de travail par équipe successive, l'article D. 220-6, ajouté au code du travail par le décret du 22 juin 1998, a excédé l'habilitation fixée par l'article L. 220-1 du code du travail.


Références :

CEE directive 93-104 du 23 novembre 1993 Conseil de l'Union européenne art. 3
Code du travail L220-1, D220-1 à D220-7, D220-2, L132-26, D220-3, D220-4, D220-6, D220-5
Décret 98-496 du 22 juin 1998 décision attaquée annulation partielle
Loi 98-641 du 13 juin 1998


Publications
Proposition de citation : CE, 17 mai. 1999, n° 199095
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vught
Rapporteur ?: M. Lafouge
Rapporteur public ?: M. Bonichot

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1999:199095.19990517
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