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28/07/1999 | FRANCE | N°140393

France | France, Conseil d'État, 1 ss, 28 juillet 1999, 140393


Vu le recours du MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DU DEVELOPPEMENT RURAL, enregistré le 13 août 1992 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DU DEVELOPPEMENT RURAL demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 9 juin 1992 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé, à la demande de M. et Mme Y..., la décision du 16 janvier 1991 par laquelle la commission départementale d'aménagement foncier de Meurthe-et-Moselle a rejeté leur réclamation concernant le remembrement de la commune de Thuilley-aux-Groseilles ;
2°) de r

ejeter la demande présentée par M. et Mme Y... devant le tribunal...

Vu le recours du MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DU DEVELOPPEMENT RURAL, enregistré le 13 août 1992 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DU DEVELOPPEMENT RURAL demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 9 juin 1992 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé, à la demande de M. et Mme Y..., la décision du 16 janvier 1991 par laquelle la commission départementale d'aménagement foncier de Meurthe-et-Moselle a rejeté leur réclamation concernant le remembrement de la commune de Thuilley-aux-Groseilles ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme Y... devant le tribunal administratif de Nancy ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Forray, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un premier jugement en date du 2 décembre 1982, le tribunal administratif de Nancy a annulé, à la suite de la demande introduite par M. et Mme Y..., la décision de la commission départementale de réorganisation foncière et de remembrement de Meurthe-et-Moselle en date du 12 novembre 1979 concernant les opérations de remembrement de la commune de Thuilley-aux-Groseilles au motif que les attributions de la commune avaient été à tort augmentées par prélèvement sur l'ensemble des terres à remembrer d'une superficie nécessaire pour dégager l'assiette d'un chemin départemental ; que, par un second jugement rendu le 10 novembre 1987, le tribunal administratif a annulé la décision du 24 février 1983 de la commission départementale d'aménagement foncier de Meurthe-et-Moselle relative aux opérations de remembrement de la commune précitée, en tant qu'elle concerne la propriété de M. et Mme Y..., faute pour la commission départementale d'avoir déterminé les attributions des intéressés dans les conditions où celles-ci auraient dû être fixées au cas où la masse commune de terres illégalement constituée aurait été répartie entre tous les propriétaires intéressés et d'avoir modifié le remembrement de la commune dans la mesure nécessaire à l'obtention de ce résultat ;
Considérant que, même pour pourvoir à l'exécution de la chose jugée par les jugements susanalysés, la commission départementale ne pouvait apporter au remembrement de la commune de Thuilley-aux-Groseilles d'autres modifications que celles qui étaient nécessaires pour assurer à M. et Mme Y... les attributions qui eussent été les leurs dans le cas où les opérations de remembrement auraient été régulières ;
Considérant que, par sa décision du 16 janvier 1991, la commission départementale a statué non seulement sur la réclamation de M. et Mme Y..., dont elle restait saisie, mais également sur la situation des autres propriétaires intéressés ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, s'agissant des biens de M. Jacques Y... et de Mme Danièle Y..., les apports réduits des intéressés n'aient pas été relevés dans une mesure tenant suffisamment compte de la disparition de la masse commune ou que les attributions définitives n'aient pas été équivalentes aux apports réduits ainsi réévalués ; qu'ainsi, le ministre requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision de la commission départementale d'aménagement foncier du 16 janvier 1991, en tant qu'elle concerne les biens de M. Jacques Y... et Mme Danièle Y..., le tribunal administratif de Nancy s'est fondé sur ce que cette décision méconnaissait l'autorité absolue de chose jugée résultant de ses précédents jugements ;
Considérant qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. Jacques Y... et Mme Danièle Y... devant le tribunal administratif de Nancy ;
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la commission départementale a statué sur une réclamation dont elle aurait été dessaisie :

Considérant que, sous l'empire des dispositions de l'article 30-2, ajouté au coderural par la loi du 4 juillet 1980, la commission départementale d'aménagement foncier était dessaisie au profit de la commission nationale d'aménagement foncier, faute de s'être prononcée dans le délai d'un an à compter de la date à laquelle une annulation contentieuse d'une de ses décisions était devenue définitive ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la première annulation des opérations de remembrement de la commune de Thuilley-aux-Groseilles prononcée par un jugement du tribunal administratif de Nancy du 2 décembre 1982, le délai d'un an suivant la date à laquelle ledit jugement est devenu définitif faute d'appel interjeté à son encontre dans le délai de deux mois à compter de sa notification, n'était pas expiré à la date du 24 février 1983 à laquelle la commission départementale d'aménagement foncier de Meurthe-et-Moselle a pris une nouvelle décision ; qu'ainsi, la commission nationale d'aménagement foncier ne s'est pas trouvée automatiquement saisie de la réclamation des époux Y... ;
Considérant que, sous l'empire des articles 2-7 et 2-8 du code rural, dans leur rédaction issue de la loi du 31 décembre 1985, lorsque la commission départementale d'aménagement foncier, saisie à nouveau à la suite d'une annulation par le juge administratif, n'a pas pris de nouvelle décision dans le délai d'un an suivant la date à laquelle cette annulation est devenue définitive, l'affaire "peut être déférée" à la commission nationale d'aménagement foncier par le ministre de l'agriculture ou par les intéressés ; qu'il est constant qu'à la suite de l'annulation prononcée par le jugement du tribunal administratif de Nancy du 10 novembre 1987 de la décision de la commission départementale du 24 février 1983, ni le ministre, ni les propriétaires intéressés n'ont fait usage de la faculté qui leur était ouverte de soumettre la contestation à la commission nationale ; qu'ainsi, les consorts Y... ne sont pas fondés à soutenir que la décision en date du 16 janvier 1991 de la commission départementale d'aménagement foncier émanerait d'une autorité administrative qui aurait cessé d'être compétente ;
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la commission départementale aurait été irrégulièrement composée :
Considérant que dans le dernier état de leurs écritures, les consorts Y... reconnaissent que le membre de la commission départementale d'aménagement foncier dont ils contestaient l'impartialité n'a pas siégé lors de la séance au cours de laquelle cet organisme a statué à nouveau sur leur réclamation ; qu'ainsi, le moyen tiré de la présence au sein de la commission d'une personne ayant un lien de parenté avec un propriétaire de la commune de Thuilley-aux-Groseilles doit, en tout état de cause, être écarté ; que la circonstance que le membre de la commission départementale ainsi mis en cause aurait siégé au cours de séances antérieures de la commission est sans influence sur la légalité de la décision du 16 janvier 1991 qui est seule contestée dans la présente instance ;
En ce qui concerne les vices de procédure allégués :

Considérant que, si dans l'hypothèse où un propriétaire n'a pas été informé de ce qu'une réclamation était formulée au sujet d'une parcelle lui appartenant, il appartient à l'administration de l'en aviser et de provoquer ses observations, en revanche lorsque la commission départementale est saisie d'une réclamation écrite d'un propriétaire, l'article 11 du décret n° 86-1415 du 31 décembre 1986 ne lui fait obligation d'entendre son auteur que si celui-ci en a fait préalablement la demande ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les consorts Y..., qui avaient devant la commission départementale la qualité de demandeur, aient formulé une semblable demande ;
Considérant que la circonstance que la décision de la commissiondépartementale ne mentionne pas expressément la délégation donnée par Mme X... Jeannot, épouse de M. Louis Y... à son fils Bernard Y..., est sans influence sur la régularité de la procédure suivie dès lors que la représentation de Mme Y... dans les divers actes de la procédure a été effectivement assurée par son fils ;
Considérant que s'il est allégué un défaut de publication des comptes de la commune de Thuilley-aux-Groseilles, cette circonstance est sans influence sur la régularité de la procédure ; qu'au demeurant, la commune, lorsqu'elle se présentait comme un propriétaire privé a été traitée à l'instar des autres propriétaires concernés par les opérations de remembrement ;
En ce qui concerne le vice de forme allégué :
Considérant que, contrairement à ce qui a été soutenu, la décision de la commission départementale, qui se prononce sur l'ensemble des moyens invoqués par les demandeurs, est suffisamment motivée ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 19 du code rural :
Considérant qu'aux termes de l'article 19 du code rural, dans sa rédaction applicable à l'espèce : "Le nouveau lotissement ne peut allonger la distance moyenne des terres du centre d'exploitation principal, si ce n'est dans la mesure nécessaire au regroupement parcellaire" ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. Louis Y..., qui avait apporté au remembrement 59 parcelles dispersées, s'est vu attribuer cinq nouveaux lots bénéficiant ainsi d'un regroupement parcellaire ; que, contrairement à ce qui est soutenu, ni l'attribution de la parcelle ZB 53 "Au Chaperon" qui n'est pas enclavée, ni celle des parcelles ZB 28 et ZB 29 "Sous les Vignes", qui sont susceptibles du fait de leur regroupement d'une exploitation normale, ni enfin celle de la parcelle ZH 19 qui est de nature à faciliter l'exploitation de la parcelle ZB 9 "La Corvée", n'entraînent de déséquilibre des conditions d'exploitation ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 20 du code rural :

Considérant qu'en vertu de l'article 20 du code rural, dans sa rédaction applicable à l'espèce, doivent être réattribuées à leurs propriétaires, sauf accord contraire, et ne subir que les modifications de limites indispensables à l'aménagement, les terrains qui, en raison de leur situation à l'intérieur du périmètre d'agglomération, peuvent être considérés comme terrains à bâtir et, de façon générale, les immeubles dont les propriétaires ne peuvent bénéficier de l'opération de remembrement en raison de l'utilisation spéciale desdits immeubles ;
Considérant que la parcelle C 195, nouvellement désignée ZH 38, a été réattribuée ; que la circonstance que la parcelle B 21 incluse dans la nouvelle parcelle ZH 57, ainsi que la parcelle E 206, soient plantées d'arbres fruitiers, ne suffit pas à leur conférer le caractère d'immeubles à utilisation spéciale au sens des dispositions susmentionnées ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette même parcelle E 206, non plus que les parcelles B 223, B 225 et B 227 qui étaient, à la date de l'arrêté ordonnant les opérations de remembrement, situées dans une zone de faible densité d'habitat et en dehors du périmètre d'agglomération, aient eu le caractère de terrains à bâtir ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 21 du code rural :
Considérant qu'aux termes de l'article 21 du code rural, dans sa rédaction alors en vigueur : "Chaque propriétaire doit recevoir par la nouvelle distribution, une superficie globaleéquivalente en valeur de productivité réelle à celle des terrains qu'il a apportés, déduction faite de la surface nécessaire aux ouvrages collectifs" ; que ces dispositions ne garantissent aux propriétaires ni une égalité absolue entre la surface qui leur est attribuée et celle de leurs apports, ni une équivalence parcelle par parcelle ou classe par classe entre ces terres ; que les commissions de remembrement sont seulement tenues d'attribuer des lots équivalents en valeur de productivité réelle aux apports de chaque propriétaire après déduction de la surface nécessaire aux ouvrages collectifs ;

Considérant qu'il ressort des fiches de répartition que, dans l'unique nature de culture "terres" qui a été retenue, pour des apports réduits de 11 hectares 69 ares 35 centiares d'une valeur de 79 179 points, le compte n° 99 de M. Louis Y... a reçu 12 hectares 27 ares 27 centiares pour une valeur de 78 678 points ; que, pour des apports réduits de 12 hectares 34 ares 87 centiares d'une valeur de 87 690 points, le compte n° 60 de la communauté des époux Y... s'est vu attribuer 11 hectares 14 ares 26 centiares pour une valeur de 87 827 points ; que, pour des apports réduits de 6 hectares 25 ares 23 centiares d'une valeur de 46 715 points, le compte n° 61 de Mme X... Jeannot, épouse de M. Louis Y..., a bénéficié d'attributions de 5 hectares 95 ares 67 centiares pour une valeur de 47 159 points ; que les écarts de valeur de productivité entre les parcelles apportées et les parcelles attribuées ne sont pas tels que la règle de l'équivalence puisse être regardée en l'espèce comme n'ayant pas été respectée ; qu'en admettant que certaines parcelles attribuées contiennent des terrains d'une qualité inférieure à celle des apports, cette circonstance est sans influence sur la légalité de la décision contestée dès lors que la productivité de l'ensemble des lots relatifs à un même compte équivaut à celle de l'ensemble desdits apports sans entraîner de déséquilibre des conditions d'exploitation ; que, par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance de la règle d'équivalence susrappelée ne saurait être accueilli ;
En ce qui concerne les moyens tirés de la violation de l'article 25 du code rural :
Considérant que la contestation soulevée par les consorts Y... au sujet de la soumission du ruisseau du "Moulin" au régime des cours d'eau non domaniaux manque en fait ;
Considérant que le moyen tiré de ce que deux chemins d'exploitation auraient été établis à tort n'a pas été soumis à la commission départementale d'aménagement foncier et ne peut être présenté directement au juge de l'excès de pouvoir ; que, par suite, comme le fait valoir l'administration, il est irrecevable ;
En ce qui concerne l'indemnisation des dommages allégués :
Considérant que la contestation présentée de ce chef par les consorts Y... est dépourvue de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ; qu'ainsi, et en tout état de cause, elle ne peut qu'être écartée .
En ce qui concerne les autres moyens invoqués :
Considérant que, si les consorts Y... critiquent l'insuffisance de contrôle de l'utilisation des subventions allouées à l'association foncière et la non-exécution par cet établissement public de certains travaux, de tels moyens ne sont pas susceptibles d'être utilement présentés à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une décision de la commission départementale statuant sur la situation de leur propriété dans le cadre des opérations de remembrement ;
Considérant que la date de transfert de propriété prononcée par arrêté préfectoral sur le fondement de l'article 30 du code rural n'a pas à être notifiée en même temps que la décision par laquelle la commission départementale statue sur une réclamation ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la forêt est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision en date du 16 janvier 1991 de la commission départementale d'aménagement foncier de Meurthe-et-Moselle, en ce qu'elle concerne les biens de M. Jacques Y... et Mme Danièle Y... ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy en date du 9 juin 1992 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. et Mme Y... devant le tribunal administratif de Nancy est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'agriculture et de la pêche, à M. Jacques Y... et à Mme Danièle Y....


Synthèse
Formation : 1 ss
Numéro d'arrêt : 140393
Date de la décision : 28/07/1999
Type d'affaire : Administrative

Analyses

03-10 AGRICULTURE, CHASSE ET PECHE - DIVERS.


Références :

Code rural 2-7, 2-8, 19, 20, 21, 25, 30
Décret 86-1415 du 31 décembre 1986 art. 11


Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 1999, n° 140393
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Forray
Rapporteur public ?: M. Bonichot

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1999:140393.19990728
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