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28/07/1999 | FRANCE | N°193494

France | France, Conseil d'État, 1 ss, 28 juillet 1999, 193494


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 janvier et 22 mai 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS, dont le siège est à Neyrac-les-Bains (07380), représentée par ses représentants légaux ; la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 20 novembre 1997 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 11 janvier 1996, par lequel le tribunal administratif de Lyon ava

it rejeté sa demande tendant ce que l'Etat soit condamné à lui verse...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 janvier et 22 mai 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS, dont le siège est à Neyrac-les-Bains (07380), représentée par ses représentants légaux ; la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 20 novembre 1997 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 11 janvier 1996, par lequel le tribunal administratif de Lyon avait rejeté sa demande tendant ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 1 365 009 F, plus les intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de l'abattement illégal de 10 % pratiqué par les arrêtés préfectoraux fixant, en application de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale, les tarifs des soins thermaux pouvant être pratiqués pour les années 1988 à 1992, sur les forfaits et suppléments qui incluent une pratique dispensée plus de neuf fois au cours d'une cure et rejeté sa demande indemnitaire ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 365 009 F augmentée des intérêts et d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 24 120 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié notamment par le décret n° 97-1177 du 24 décembre 1997 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Eoche-Duval, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :
Considérant que la société requérante a produit les pièces attestant des qualités et pouvoirs des représentants légaux qui ont formé le pourvoi en cassation dont le Conseil d'Etat est saisi ; qu'ainsi, la fin de non-recevoir invoquée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ne peut qu'être écartée ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ; Considérant que la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS se pourvoit en cassation contre un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon, en tant que cet arrêt a, sur recours du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, annulé un jugement rendu par le tribunal administratif de Lyon, condamnant l'Etat à lui verser la somme de 1 365 009 F en réparation du préjudice résultant pour elle de l'application aux tarifs de certaines catégories de soins thermaux pour les années 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992 d'un abattement illégal de 10 %, et a rejeté la demande présentée par la société requérante devant le tribunal administratif de Lyon ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS, qui exploite un établissement thermal, avait fait notamment valoir, pour établir la réalité du préjudice que lui avait causé l'application de l'abattement susmentionné durant la période litigieuse et demander le rejet du recours formé par le ministre, que l'imposition dudit abattement lui avait fait perdre une chance sérieuse d'obtenir la majoration à due concurrence des tarifs de responsabilité, qui sont fixés chaque année par voie d'avenant à la convention thermale du 26 juin 1972 passé entre la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, d'une part, et les établissements thermaux, d'autre part ; que la cour administrative d'appel n'a pas répondu à ce moyen ; que l'arrêt attaqué doit, par suite, être annulé, en tant qu'il a annulé le jugement du tribunal administratif de Lyon statuant sur la demande présentée par la société requérante ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur l'existence d'un préjudice financier lié à l'intégration d'un abattement illégal dans les tarifs applicables aux soins thermaux :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale : "Sans préjudice des dispositions du présent code relatives aux conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie et les professions de santé, les ministres chargés de l'économie, de la santé et de la sécurité sociale peuvent fixer par arrêté les prix et les marges des produits et les prix des prestations de services pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Cette fixation tient compte de l'évolution des charges, des revenus et du volume d'activité des praticiens ou entreprises concernés" ; qu'en application de ces dispositions, les ministres compétents ont fixé pour chacune des années 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992 le taux de hausse applicable aux tarifs des soins dispensés par les établissements thermaux et ont prévu que les tarifs des forfaits et suppléments incluant une pratique dispensée plus de neuf fois au cours d'une cure devraient être minorés d'un abattement de 10 % ; que, saisi d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces décisions, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, par un arrêt en date du 1er juillet 1992, a jugé ces dernières dispositions illégales et a annulé les décisions attaquées en tant qu'elles prévoyaient l'abattement de 10 % sans l'assortir d'aucune justification ; que cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique, pour autant qu'elle entraîne un préjudice direct et certain ;
Considérant que la société requérante demande la réparation du préjudice résultant pour elle de la prescription, par les ministres compétents, de l'application dudit abattement de 10 % aux tarifs des forfaits et suppléments incluant des pratiques dispensées plus de neuf fois au cours d'une cure pour les années 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992 ; qu'elle fait valoir, à titre principal, que les tarifs fixés en application des dispositions précitées de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale, s'agissant de ces catégories de soins, auraient dû être majorés de 10 % .
Considérant toutefois que le préjudice dont la société requérante est fondée à obtenir réparation correspond à la différence existant, le cas échéant, entre les recettes que l'établissement thermal qu'elle exploite a perçues sur la base des tarifs de soins incluant l'abattement illégal et les recettes que cet établissement aurait perçues sur la base de tarifs tels qu'ils pouvaient être légalement fixés par les ministres compétents en application des dispositions précitées de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les ministres compétents auraient pu, sans entacher leurs décisions d'erreur manifeste d'appréciation, compte tenu, d'une part, de l'évolution des charges, des revenus et du volume d'activité de l'ensemble des entreprises du secteur thermal, lequel a bénéficié jusqu'en 1990 d'une hausse régulière et importante du nombre de curistes, ainsi que de l'impératif de limitation des dépenses de l'assurance maladie, qui n'est pas étranger à l'objectif que s'est fixé le législateur en édictant les dispositions de l'article L. 162-38 et, d'autre part, de l'importance des dérogations en matière de prix autorisées par les décisions portant sur les années 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992, retenir pour cette période une grille de tarifs au niveau national qui aurait assuré aux établissements thermaux dans leur ensemble des recettes de même montant que celles qu'ils ont effectivement perçues ; que, par ailleurs, il n'est pas allégué par la société requérante que les tarifs applicables à son établissement auraient été fixés à un niveau trop bas au regard de l'évolution de ses charges et de ses revenus ; que, par suite, l'existence d'un manque à gagner résultant pour la société requérante de l'inclusion par les ministres compétents d'un abattement illégal dans les tarifs des soins thermaux pour les années 1988 à 1992 n'est pas établie ;
Considérant par ailleurs que la société requérante fait valoir, à titre subsidiaire, qu'elle a perdu, du fait de la prescription par les ministres compétents, pour les années 1988 à 1992, dudit abattement de 10 %, une chance sérieuse de voir les tarifs de responsabilité appliqués par la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés majorés dans les mêmes proportions ; qu'il résulte en effet de l'instruction que les tarifs pratiqués par l'établissement thermal durant la période litigieuse, s'agissant des soins dispensés aux assurés sociaux, correspondaient, non aux tarifs fixés par arrêté interministériel en application des dispositions précitées de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale, mais à des tarifs distincts fixés chaque année par voie d'avenant à la convention susmentionnée conclue en 1972 entre la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés et les établissements thermaux ;

Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux de la sécurité sociale ; qu'au nombre de ces principes figure celui selon lequel le tarif des soins délivrés aux assurés sociaux peut être fixé par voie de convention passée avec les professionnels de santé concernés ; que si un arrêté interministériel du 8 juin 1960, modifié par un arrêté interministériel du 15 décembre 1969, a prévu que les frais de traitement dans les établissements thermaux sont réglés sur la base de forfaits fixés par des conventions entre la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés et les établissements thermaux intéressés, ces dispositions, qui sont dépourvues de toute base législative, sont entachées d'incompétence ; que, par suite et en tout état de cause, la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, qui ne disposait pas, par ailleurs, de compétences tarifaires propres, et les établissements thermaux ne pouvaient légalement fixer pour la période considérée, par voie d'accord conclu chaque année, des tarifs supérieurs à ceux déterminés par les ministres compétents en vertu des dispositions précitées de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale ; qu'ainsi, l'application durant la période litigieuse d'un abattement illégal de 10 % sur les tarifs de certains soins thermaux fixés par les ministres compétents sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 162-38 du code de la sécurité sociale n'a pu entraîner pour la société requérante la perte d'une chance sérieuse de voir réévaluer dans les mêmes proportions les tarifs de responsabilité pratiqués par la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie et des finances est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande présentée devant le tribunal administratif de Lyon par la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS ;
Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés au cours de l'instance et non compris dans les dépens :
Considérant que la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS, qui succombe dans la présente instance, n'est pas fondée à demander le remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 20 novembre 1997 est annulé, en tant qu'il a annulé le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 11 janvier 1996 statuant sur la demande présentée par la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS.
Article 2 : Le jugement rendu par le tribunal administratif de Lyon en date du 11 janvier 1996 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS devant le tribunal administratif de Lyon et le surplus de ses conclusions devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DES THERMES DE NEYRAC-LES-BAINS et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Type d'affaire : Administrative

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - CARACTERE CERTAIN DU PREJUDICE - EXISTENCE.

SANTE PUBLIQUE - AUTRES ETABLISSEMENTS A CARACTERE SANITAIRE - ETABLISSEMENTS THERMAUX.

SECURITE SOCIALE - RELATIONS AVEC LES PROFESSIONS ET LES ETABLISSEMENTS SANITAIRES - RELATIONS AVEC LES ETABLISSEMENTS DE SOINS.


Références :

Code de la sécurité sociale L162-38
Constitution du 04 octobre 1958 art. 34
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11


Publications
Proposition de citation: CE, 28 jui. 1999, n° 193494
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eoche-Duval
Rapporteur public ?: M. Bonichot

Origine de la décision
Formation : 1 ss
Date de la décision : 28/07/1999
Date de l'import : 05/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 193494
Numéro NOR : CETATEXT000008058707 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1999-07-28;193494 ?
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