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28/07/1999 | FRANCE | N°196860

France | France, Conseil d'État, 1 / 4 ssr, 28 juillet 1999, 196860


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juin et 2 octobre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS", représentée par son liquidateur, M. Y..., demeurant ..., et les héritiers de M. Arthur X..., demeurant ..., qui demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 19 mars 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, sur le recours du ministre de la santé et de l'action humanitaire, annulé le jugement du 22 octobre 1992 du tribunal administratif de Strasbourg

qui avait condamné l'Etat à leur payer une somme de 800 000 F, ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juin et 2 octobre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS", représentée par son liquidateur, M. Y..., demeurant ..., et les héritiers de M. Arthur X..., demeurant ..., qui demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 19 mars 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, sur le recours du ministre de la santé et de l'action humanitaire, annulé le jugement du 22 octobre 1992 du tribunal administratif de Strasbourg qui avait condamné l'Etat à leur payer une somme de 800 000 F, avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 1989, en réparation du préjudice ayant résulté pour eux de la décision du ministre de supprimer 25 lits de chirurgie, lors de la vente de la Clinique Saint-François à l'association "Hospitalor" ;
2°) de condamner l'Etat à leur payer une somme de 15 000 F, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970, modifiée ;
Vu le décret n° 72-923 du 28 septembre 1972 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Eoche-Duval, Auditeur,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. Y... et autres,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 26 octobre 1984, le secrétaire d'Etat à la santé a fait connaître au préfet de la région de Lorraine, préfet de la Mosellle, qui l'avait saisi du dossier relatif au projet de rachat de l'établissement sanitaire privé, ne participant pas à l'exécution du service public et hospitalier, exploité à Forbach par la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS", dont M. X... était alors administrateur, à l'Association Hospitalière Lorraine (Hospitalor), qui gérait, dans la même commune, une clinique participant à l'exécution du service public hospitalier, de ne donner une suite favorable à ce projet que sous réserve, notamment, de la suppression de 25 des 35 lits de chirurgie que comportait, entre autres, la Clinique Saint- François et du transfert par "Hospitalor" des 10 autres lits dans son établissement de Saint-Avold ; qu'estimant que cette décision du 26 octobre 1984 était illégale, la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS" et M. X... ont demandé à ce que l'Etat soit condamné à les indemniser du préjudice ayant résulté de la réduction qu'elle les avait obligés à consentir sur le prix de la cession faite à Hospitalor, le 28 février 1985, de la Clinique Saint-François ; que le liquidateur judiciaire de la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS" et les héritiers de M. X..., décédé, se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 19 mars 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement du 22 octobre 1992 du tribunal administratif de Strasbourg, qui, faisant droit à leur demande, avait condamné l'Etat à leur payer une somme de 800 000 F, assortie des intérêts au taux légal, à compter de la date du 31 août 1989, à laquelle ils avaient présenté leur réclamation à l'administration ;
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées du premier alinéa de chacun des deux articles 22-1 et 41-1, ajoutés par les articles 4 et 9 de loi n° 79-1140 du 29 décembre 1979 à la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970, portant réforme hospitalière, alors en vigueur, le ministre chargé de la santé peut, lorsque l'intérêt des malades ou le fonctionnement d'un établissement le justifient et dans les limites des besoins de la population tels qu'ils résultent de la carte sanitaire, et après consultation de la commission régionale de l'équipement sanitaire, demander au conseil d'administration d'un établissement privé participant à l'exécution du service public hospitalier "d'adopter les mesures nécessaires, comportant éventuellement la suppression ( ...) de lits d'hospitalisation ( ...)" ; que le second alinéa del'article 41-1 prévoit que, dans le cas où la demande du ministre n'est pas suivie d'effet dans le délai de quatre mois, l'établissement peut être rayé, par décret, de la liste des établissements participant au service public hospitalier ;

Considérant qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions que les établissements privés qui ne participent pas à l'exécution du service public hospitalier ne sont pas compris dans leur champ d'application ; qu'ainsi, en estimant que la décision du 26 octobre 1984 par laquelle le secrétaire d'Etat à la santé avait, dans les circonstances ci-dessus rappelées, prescrit une réduction du nombre des lits de chirurgie de la Clinique Saint-François, qui ne participe pas au service public hospitalier, reposait sur la mise en oeuvre à l'égard de l'association "Hospitalor", qui projetait de racheter cette clinique, des dispositions combinées des articles 22-1 et 41-1 de la loi du 31 décembre 1970, modifiée, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit ; que, pour ce motif, l'arrêt attaqué doit être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'en vertu de l'article 31 de la loi du 31 décembre 1970, la création ou l'extension de tout établissement sanitaire privé comportant des moyens d'hospitalisation est soumise à autorisation ; qu'aux termes de l'article 33 de la même loi : "L'autorisation est accordée si l'opération envisagée : 1° répond aux besoins de la population tels qu'ils résultent de la carte sanitaire ... 2° est conforme aux normes définies par décret, et est assortie de l'engagement de respecter la réglementation relative à la qualification des personnels ..." ; que, selon l'article 36 de la loi du 31 décembre 1970, lorsque les prescriptions de l'article 33 cessent d'être respectées, l'autorisation de fonctionner peut être, soit suspendue, soit retirée ;
Considérant que l'article 35 de ladite loi précise que l'autorisation ne peut être cédée avant le commencement des travaux ; qu'aux termes de l'article 11 du décret n° 72-923 du 28 septembre 1972, alors en vigueur : "Dans le cas de cession d'autorisation, qui ne peut être faite avant le commencement des travaux, le cessionnaire est tenu d'adresser, suivant le cas, au ministre de la santé publique ou au préfet de région une demande de confirmation de l'autorisation ... Le ministre ou le préfet de région statue sur cette demande suivant les modalités prévues pour une demande d'autorisation. Il ne peut refuser la confirmation de l'autorisation que si, compte tenu des pièces et documents produits et eu égard aux modifications liées à la cession, l'autorisation aurait dû être, soit refusée par application de l'article 33, soit retirée par application de l'article 36 de la loi susvisée du 31 décembre 1970" ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, dans le cas de cession, à titre onéreux, d'un établissement sanitaire privé autorisé, sans qu'il y ait augmentation de sa capacité ou de ses moyens, l'autorité administrative ne peut, lorsqu'elle statue sur la demande de confirmation de l'autorisation présentée par le cessionnaire, faire porter son contrôle que sur le respect des normes et conditions mentionnées au 2°) de l'article 33 de la loi du 31 décembre 1970 ; qu'ainsi, la décision prise par le secrétaire d'Etat à la santé le 26 octobre 1984 de n'"autoriser" la cession à l'association "Hospitalor" de la Clinique Saint-François, que sous réserve de la suppression de 25 des lits de chirurgie de cet établissement, est entachée d'illégalité et est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'il résulte de l'instruction que le préjudice ayant résulté pour la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS" de la cession de son établissement à un prix inférieur à celui qui avait été initialement fixé, trouve son origine dans l'obligation qui lui a été illégalement imposée par l'administration de réduire le nombre de lits devant fairel'objet de cette cession ; que, eu égard aux justifications produites par la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS" et par M. X..., il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'Etat à leur verser une indemnité de 600 000 F, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du 31 août 1989, à laquelle ils ont présenté leur réclamation à l'administration ; que, par suite, le ministre de la santé et de l'action humanitaire n'est fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 22 octobre 1992, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à la demande d'indemnité présentée par la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS" et par M. X..., que dans la mesure où le tribunal leur a accordé une indemnité d'un montant supérieur à 600 000 F ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article 75-I de la loi 10 juillet 1991, de condamner l'Etat à payer à la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS" et aux héritiers de M. X... la somme qu'ils demandent, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 19 mars 1998 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS" et aux héritiers de M. X... une indemnité de 600 000 F, qui portera intérêts au taux légal à compter du 31 août 1989.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 octobre 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : Le surplus des conclusions du recours présenté par le ministre de la santé et de l'action humanitaire devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejeté.
Article 5 : L'Etat paiera à la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS" et aux héritiers de M. X... une somme globale de 25 000 F, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Luc Y..., liquidateur de la SOCIETE ANONYME "CLINIQUE SAINT-FRANCOIS" à Mme X..., à MM. Philippe, Charles-Henri et Emmanuel X... et au ministre de l'emploi et de la solidarité.


Synthèse
Formation : 1 / 4 ssr
Numéro d'arrêt : 196860
Date de la décision : 28/07/1999
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

61-07-01-03-01,RJ1 SANTE PUBLIQUE - ETABLISSEMENTS PRIVES D'HOSPITALISATION - AUTORISATIONS DE CREATION, D'EXTENSION OU D'INSTALLATION D'EQUIPEMENTS MATERIELS LOURDS - CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION - BESOINS DE LA POPULATION -Cession d'une clinique sans augmentation de sa capacité ou de ses moyens - Confirmation de l'autorisation demandée par le cessionnaire - Possibilité pour l'administration de confirmer l'autorisation sous réserve de la suppression de lits - Absence (1).

61-07-01-03-01 Il résulte des dispositions de la loi du 31 décembre 1970 et de l'article 11 du décret du 28 septembre 1972 alors en vigueur qu'en cas de cession, à titre onéreux, d'un établissement sanitaire privé autorisé, sans qu'il y ait augmentation de sa capacité ou de ses moyens, l'autorité administrative ne peut, lorsqu'elle statue sur la demande de confirmation de l'autorisation présentée par le cessionnaire, faire porter son contrôle que sur le respect des normes et conditions mentionnées au 2) de l'article 33 de la loi du 31 décembre 1970. Illégalité de la décision du secrétaire d'Etat à la santé n'"autorisant" la cession d'une clinique que sous réserve de la suppression de 25 des lits de chirurgie de cet établissement.


Références :

Décret 72-923 du 28 septembre 1972 art. 11
Loi 70-1318 du 31 décembre 1970 art. 41-1, art. 22-1, art. 31, art. 33, art. 36, art. 35
Loi 79-1140 du 29 décembre 1979
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11

1.

Rappr. Section 1982-03-05, Ministre de la santé et de la sécurité sociale, p. 104


Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 1999, n° 196860
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Groux
Rapporteur ?: M. Eoche-Duval
Rapporteur public ?: M. Bonichot
Avocat(s) : SCP Piwnica, Molinié, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1999:196860.19990728
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